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Maroc: l’équation impossible de la Génération Z

La jeunesse grogne dans le royaume chérifien


Maroc: l’équation impossible de la Génération Z
Rabat, Maroc, 30 septembre 2025 © Mosa'ab Elshamy/AP/SIPA

Au Maroc, le collectif Gen Z 212 bat le pavé depuis le week-end dernier réclamant de meilleurs services publics. Le mouvement a pris de l’ampleur après le décès de huit femmes enceintes lors de césariennes dans un hôpital d’Agadir, un drame qui a choqué l’opinion. Les jeunes contestataires fustigent par ailleurs les investissements massifs liés à la Coupe du monde 2030, qu’ils jugent déconnectés des priorités sociales. (Ce texte a été rédigé lundi, avec que les premières violences se produisent dans certaines villes).


Le weekend dernier, des jeunes issus de la Génération Z (nés après 2000) se sont donné rendez-vous dans plusieurs villes du Maroc pour exiger le droit à la santé, à l’éducation et la fin de la corruption.

La police était là, en plus grand nombre à mon avis que les manifestants.

Grâce aux réseaux sociaux, on a vu des jeunes propres sous tous rapports se faire embarquer par des policiers, à peine plus âgés qu’eux. Le peuple vs le peuple. Je ne dis jamais que le peuple a raison et que l’État a tort par principe. Loin de là. Je me méfie des foules et des masses, ces tyrans obstinés et sadiques. Mais, cette fois, mon cœur a vibré avec les jeunes. Ils n’ont rien demandé d’excessif. Ils n’ont rien cassé. Ils n’ont pas l’air d’être mal-élevés. J’étais comme eux à vingt ans, gentil et sérieux sauf que moi je ne faisais qu’étudier. J’avais peur de descendre dans la rue, mes parents m’auraient crucifié si j’avais osé manifester.

Manque d’empathie maghrébine

Pour connaître un peu le Maroc, je pense qu’ils ont raison de demander ce qu’ils demandent. Mais, est-ce que l’Etat peut leur donner satisfaction ?

Le problème au Maroc comme dans tous les pays arabes et africains n’est pas matériel. Il est humain, c’est-à-dire moral. Nous avons des médecins hors pairs, des budgets suffisants et des équipements modernes mais nous n’avons pas envie de prendre soin les uns des autres. Nous sommes intrinsèquement violents, d’une violence froide comme le venin qu’une femme administre à son mari par petites gouttes dans la nourriture, jour après jour, jusqu’à ce qu’il succombe. L’empathie et l’amour n’ont aucune place dans la plupart de nos hôpitaux. Il faut toujours payer les uns et les autres : acheter l’attention avec l’argent au lieu de l’attirer par la sensibilité.

Une fois, j’ai accompagné ma grand-mère dans un hôpital public. Les agents de sécurité privée faisaient le tri et la régulation. Les infirmiers et les médecins étaient invisibles, camouflés dans leurs habits civils, personne ne voulait porter de blouse blanche pour ne pas être sollicité.

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Quelques années plus tôt, un autre hôpital (privé celui-ci) a refusé de soigner mon père, en pleine crise cardiaque, car il n’avait pas d’argent sur lui. On nous demandait l’équivalent de 1000 euros cash pour l’admettre aux urgences cardiologiques.

À l’école, c’est pareil. Comment voulez-vous transmettre un trésor (le savoir) aux enfants de gens que vous détestez ou qui sont pour vous des « proies » à alléger de leurs économies ?

Quant à la corruption, elle habite notre inconscient collectif. Elle est un « médicament » que nous avons trouvé contre la toute-puissance de l’État, ce concept occidental que nous avons encore du mal à digérer. Jusqu’à la colonisation, le pouvoir de l’administration était irrégulier et rarement hégémonique. La dissidence est plus proche de notre état politique normal que l’obéissance. Alors, nous trouvons dans la corruption un moyen « d’acheter » l’État en même temps qu’elle permet de priver autrui de son droit légitime. Quand je donne un bakchich à un agent de sécurité à l’hôpital, j’achète le droit de passer devant un autre malade, je l’évince et me situe au-dessus de lui. L’Inégalité est notre valeur fondamentale, nous l’aimons alors que nous nous mentons à nous-mêmes en exigeant l’Égalité. Les Français aiment peut-être l’Égalité, pas nous.

Révolution morale

Que dire aux jeunes qui ont manifesté ?

Je crois que l’affaire est pliée. Il n’y a rien à faire.

Et il y a tout à faire. Le Maroc, comme l’Algérie ou la Tunisie et tout pays du tiers-monde, a besoin d’une révolution morale. Il doit changer de valeurs et de sensibilité.

Quelles élites pourront conduire ce « grand reset » ? Des élites prophétiques car il faut avoir quelque chose de presque surnaturel pour convaincre un peuple de changer en profondeur sa manière de vivre ?

Peut-être que l’on pourrait commencer modestement, peut-être que l’on pourrait s’arranger pour neutraliser les éléments les plus toxiques, ceux qui vont aux extrêmes lorsqu’il s’agit d’écraser autrui par la corruption, la fraude et le népotisme, ceux qui se déchaînent sans vergogne sur plus faibles qu’eux.

Je crois qu’une élite extrêmement forte et déterminée peut éventuellement mener à terme cette mission. Il lui faudra beaucoup d’autorité et beaucoup de chance. Très certainement, la démocratie ne sera pas son système préféré car les « enfoirés » s’y multiplient, sous couvert de droits de l’homme et d’égalité. Seul un pouvoir fort, implacable et sûr de son bon droit, peut libérer les bons médecins, les bons profs et les bons fonctionnaires de l’emprise des cyniques et des blasés. Seul un pouvoir qui se fiche de sa popularité peut dire leurs quatre vérités aux corrompus et aux médiocres et les renvoyer chez eux sans perte de temps. Il y a des gens bien partout, ils sont là, ils résistent mais ils n’ont pas d’impact ou très peu. J’en connais à tous les endroits. Ils ont besoin d’aide. Qui va dire aux jeunes de ce weekend que la démocratie est l’ennemi de leur cause ? Il vaut mieux les laisser rêver. Peut-être qu’ils inventeront un chemin auquel je n’ai pas pensé…



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Ecrivain et diplômé en sciences politiques, il vient de publier "De la diversité au séparatisme", un ebook consacré à la société française et disponible sur son site web: www.drissghali.com/ebook. Ses titres précédents sont: "Mon père, le Maroc et moi" et "David Galula et la théorie de la contre-insurrection".

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