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Quelle parole publique n’est pas disqualifiée ?

Le billet justice de Philippe Bilger


Quelle parole publique n’est pas disqualifiée ?
Philippe Bilger © Olivier Coret/SIPA

Que ce soit dans les domaines de la Justice, des médias ou de la culture, les excès d’une minorité des acteurs ont tendance à saper la légitimité des interventions des autres.


Il y a une telle dégradation de nos institutions et, par voie de conséquence, tant de défiance à leur égard que la moindre analyse sur l’une en particulier est généralisable et justifie une réflexion qui ne pousse pas à l’optimisme.

Ainsi, quand une sociologue, Céline Béraud, publie une tribune dans Le Monde sur des évêques, je n’ai pu m’empêcher de l’appliquer à tant d’autres pouvoirs et hiérarchies. Elle écrit que « certains évêques ont bien compris que leur prise de parole publique sur les questions de sexualité est disqualifiée ». Comment ne pas relier cette pertinente observation à la mise en cause globale d’institutions et de services publics, à cause de la perte de légitimité de plusieurs de leurs titulaires ?

Pour la Justice, il est clair que le Syndicat de la magistrature, par ses outrances et sa politisation affichée, notamment avec le lamentable Mur des cons et sa participation honteuse à la fête de l’Humanité, a rendu inaudible toute parole publique qui viendrait défendre la magistrature dans son ensemble, la majorité de ses pratiques judiciaires et son importance démocratique dans un État de droit remis d’aplomb sur le plan du bon sens et de l’efficacité.

Comme pour le sujet qu’a traité Céline Béraud – les défaillances graves d’une minorité d’hommes d’Église pervers ayant gangrené l’expression de la majorité pourtant irréprochable -, on est confronté à ce terrible constat que les faiblesses, les imperfections, les indécences, les dérives et les provocations de quelques-uns domineront et feront perdre à l’ensemble d’une communauté sa crédibilité et son honneur dans sa relation avec l’opinion publique.

On aurait la certitude que le pire dans les propos et les attitudes pourrait être circonscrit à l’univers délétère d’où il a surgi, il y aurait un moindre mal. Mais la morosité républicaine et le désenchantement politique démontrent par exemple que LFI ne s’est pas contentée de perdre son crédit mais a vicié le lien du citoyen avec l’ensemble de ses représentants et que plus personne n’est capable d’argumenter, sans être contredit, en faveur de la classe politique et d’une démocratie d’allure dans la forme et d’intelligence pluraliste pour le fond.

Un président de la République qui n’offre jamais à la société une parole de courage, de sincérité et de stabilité n’est forcément plus cru.

Lorsque Sandrine Rousseau s’en prend bêtement aux agriculteurs, elle blesse gravement l’écologie raisonnable et responsable.

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Quand le directeur du Festival d’Avignon subventionné par des fonds publics trahit ostensiblement sa mission de neutralité et méprise l’intérêt général, il entraîne avec lui la multitude du monde de la culture, qui, quoi qu’elle en ait, est atteinte par contagion d’un esprit partisan et d’un engagement militant.

Ce mouvement qui conduit à la disqualification de la parole publique, presque inéluctablement, est aggravé par ce que je nommerais la périphérie des silencieux ou des complices.

On n’entend pas assez, contre les stigmatisations globales à cause de minorités dévastant bien au-delà d’elles-mêmes, les apologies qui conviendraient, le verbe de la nuance et l’honnêteté de la mesure. Parfois même on assiste à un accompagnement de ces extrémismes par des personnalités dont on devrait espérer la retenue et la contradiction.

Ainsi pour la vision équilibrée que notre pays devrait avoir de la Justice, j’ai souvent déploré le rôle négatif d’esprits brillants comme ceux d’Alain Finkielkraut et d’Eric Zemmour qui demeurent fixés sur une ligne dépassée depuis longtemps.

Pour la culture, vouloir la rendre populaire est une offense à l’élitisme de gauche.

Les médias publics ont déshonoré le beau concept de pluralisme en prétendant le respecter alors qu’il s’arrête à ceux qui pensent comme eux.

Le fait qu’aujourd’hui, plus aucune parole publique, même la plus estimable, ne soit écoutée et considérée, est un drame civique et intellectuel.

C’est au fond une question morale. Que les justes étouffent, partout, la voix des partisans.

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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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