Le Petit Palais présentait la première rétrospective consacrée à Ilya Répine (1844-1930). L’œuvre de ce peintre, proche de nombreuses personnalités de premier plan, témoigne de l’effervescence qu’a connue le monde de l’art, des lettres et des sciences au tournant du xxe siècle, jusqu’aux bouleversements qui ont déchiré son pays.
Peu d’étudiants en histoire de l’art échappent à la lecture des textes de Clement Greenberg (1909-1994). Il est l’un des plus fameux critiques d’art du xxe siècle. Son nom reste associé au triomphe de l’école de New York. Il pense qu’il y a un art d’élite apprécié par les gens comme lui. Il y a aussi un art bas de gamme, un art qu’il qualifie de kitsch (terme allemand signifiant « bon à jeter »), un art qui plaît au peuple. Disons qu’il a un peu la grosse tête. En outre, il ne s’intéresse guère à la peinture ancienne, mais sa famille, originaire de Lituanie, alors province russe, lui transmet l’idée qu’Ilya Répine (1844-1930) est le peintre russe le plus célèbre.
L’ombre de la modernité
Dans un texte célèbre de 1939 (Avant-garde et Kitsch) Greenberg explique sa conception du high art et du low art, de l’avant-garde et de l’arrière-garde. Pour cela, il compare des œuvres de Picasso à une scène de bataille qu’il attribue à Ilya Répine. Picasso, dit-il, a « des valeurs supérieures décelées par le spectateur cultivé ». Répine, quant à lui, plaît aux « paysans ignorants ». L’intellectuel marxiste en vient même à regretter que le régime stalinien n’impose pas Picasso et les
avant-gardes au peuple russe, pour son bien.
L’art et la vie
Parmi les reproches adressés à Répine, il y en a un qui se retourne complètement : alors que Picasso est célébré parce qu’il serait « austère » et « difficile », en ce qui concerne Répine on apprend que chez lui, « il n’y a pas d’interruption entre l’art et la vie ». Traduisons : Picasso s’éloigne du monde, il s’en abstrait. Répine, au contraire, se passionne pour la vie des hommes, pour son temps, pour l’histoire. Il a, en particulier, un don exceptionnel pour faire comprendre une personnalité en la portraiturant. Il fait en peinture exactement ce que son proche ami Tolstoï opère avec le roman. Répine est l’un des premiers peintres russes à être qualifié de réaliste. Il fait partie du groupe des Peredvijniki, autrement dit des Ambulants, ces artistes qui sillonnent leur immense pays pour exposer et pour s’inspirer de la vie rurale et des paysages.
La musique des formes
Répine possède aussi une grande qualité, c’est sa picturalité très aboutie. Il voyage en Europe et observe la manière de nombreux artistes. Il prend le temps d’y réfléchir. En particulier, il vient souvent à Paris. Il y séjourne même trois ans. Il connaît parfaitement l’impressionnisme et ses suites, mais il considère que c’est trop simpliste, que c’est « une impasse ». La facture de Répine est à la fois riche et subtile. Une merveille ! Pour en finir avec Greenberg, cet homme de « vraie culture » prouve qu’il a, en réalité, plus d’arrogance que de culture.
À voir absolument : « Ilya Répine (1844-1930) : peindre l’âme russe », Petit Palais, Paris, jusqu’au 23 janvier.