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Non aux bébés sur catalogue!

Trois femmes en croisade contre le marché des ventres


Non aux bébés sur catalogue!
Consultation médicale, AFP. 067_305858.

Dans leurs essais respectifs, Marianne Durano, Aude Mirkovic et Blanche Streb s’élèvent contre l’aliénation du corps féminin, que les progrès de la science et le désir d’enfant réduisent de plus en plus à sa fonction reproductrice. Pour une écologie vraiment humaine, tournons le dos à la reproduction artificielle. 


Dans ces années un peu folles où les pères ne sont plus toujours à la mode, certaines femmes refusent de faire un bébé toutes seules. Marianne Durano, Aude Mirkovic et Blanche Streb ne sortent pas de la chanson de Jean-Jacques Goldman mais de la société civile. Elles sont femmes, épouses, mères, engagées ; elles sont titulaires d’une agrégation ou d’un doctorat, donnent des conférences. Et, depuis quelques mois, elles sont dans toutes les bonnes librairies : trois essais inquiets et corrosifs, trois ouvrages qui offrent une mise en perspective des enjeux soulevés par les états généraux de la bioéthique, au cours desquels a été débattue l’ouverture de la PMA.

L’amour, c’est mieux à deux

Et l’élargissement de la procréation médicalement assistée à toutes les femmes ne leur paraît pas une bonne idée. Mais alors, pas du tout…

Durano, Mirkovic et Streb jugent d’abord que l’amour, c’est mieux à deux. « La fonction de reproduction est la seule fonction du corps humain qui se vit dans l’altérité sexuelle », écrit Blanche Streb. « Maintenant, regrette cette docteure en pharmacie, le désir d’enfant tend à s’individualiser, comme si la reproduction était un attribut de la personne elle-même. » Et de constater que lors de l’irruption de la technique dans le domaine de la procréation, en particulier avec la PMA, « la procréation s’est, petit à petit, coupée du corps du père et de la mère » : or ce passage « de la couette à l’éprouvette » est non seulement moins bio, mais aussi inévitablement moins glamour.

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Avec cette individualisation de la procréation, c’est l’exclusion du père qui les inquiète. D’autant que dans le cadre d’un enfant conçu d’une PMA effectuée par une femme qui ne vit pas en couple avec un homme, « l’effacement du père ne serait plus le résultat de la malchance et des hasards de la vie mais la conséquence d’un choix délibéré de la mère », constate Aude Mirkovic.

Et le droit au père?

Et la juriste de s’appuyer sur les nombreux témoignages qu’elle a recueillis auprès de personnes, nées d’un don de gamètes anonymes ou sous X, qui ne connaissent pas leurs vrais parents : les souffrances qu’ils expriment conduisent Aude Mirkovic à juger que la « PMA sans père » entre en contradiction avec les droits de l’enfant. Droits que la France s’est pourtant engagée de protéger en ratifiant, en 1990, la Convention internationale des droits de l’enfant, laquelle énonce en son article 7, alinéa 1, un « droit à connaître ses parents et être élevés par eux ».

Ce droit de l’enfant, elles l’opposent souvent à l’apparition d’un « droit à l’enfant », c’est-à-dire ce que Blanche Streb définit comme « l’ère de l’enfant si je veux, quand je veux ». Loin d’elle l’idée cependant de mépriser le désir d’enfant ressenti par de nombreuses femmes, à l’origine de nouvelles revendications qui ont suscité tant de débats lors de la consultation bioéthique : « le désir d’avoir un enfant est le désir le plus naturel, l’un des plus forts qui soit » ajoute-t-elle. Mais l’enjeu lui paraît trop grand : l’effacement de la généalogie et du lien biologique au profit d’une origine artificielle, qui plus est privée de toute branche paternelle, empêche un enfant « d’être complètement lui-même, et non ce que d’autres ont voulu qu’il soit. »

Tout le pouvoir aux médecins

Nos trois essayistes s’inquiètent encore de l’apparition d’un véritable marché de la procréation, qui n’est pour elles rien d’autre qu’un marché d’humains… dans un pays qui interdit la vente d’organes. Mais pour combien de temps ? Citant le Conseil consultatif national d’éthique (CCNE), Aude Mirkovic rappelle ainsi que « la rareté des ressources biologiques » rend de plus en plus probable le risque d’une marchandisation du don de gamètes. Faut-il s’en étonner, alors que le président du CCNE lui-même, Jean-François Delfraissy, avait de toute manière déclaré dans une interview que « les lignes rouges sont relatives, elles aussi » ? L’incitation au don de gamètes, observe Marianne Durano, dissimule sous des slogans racoleurs (« devenez donneuse de bonheur ») combien est lourd le don d’ovocytes pour une femme. Et de s’inquiéter elle aussi de la marchandisation de l’humain : « le marché des gamètes est le Far West de la médecine de reproduction ». A qui profite le crime ? Selon Aude Mirkovic, « la PMA est une activité valorisante et confortable pour les médecins : ils ont affaire à des patients dont la vie n’est pas en danger, ce qui permet une planification des actes pour un confort d’emploi du temps et un profit maximum ». Médecins dont on rappellera qu’ils étaient surreprésentés lors des conférences organisées à l’occasion des états généraux de la bioéthique…

La face sombre de la révolution sexuelle

En cause aussi, et peut-être surtout, une révolution sexuelle dont nos trois auteurs remettent aujourd’hui en question les conséquences. A commencer par la contraception, responsable pour Blanche Streb d’une « dissociation entre la sexualité et la procréation ». Nous y voilà : c’est finalement « l’aliénation technique du corps féminin », qui est en cause pour Marianne Durano, ce technicisme qui « interdit toute réflexion sur la technique elle-même » au nom du « mythe de la neutralité de la technique ». Elle dénonce dans son livre cette désappropriation de son propre corps par la science, qu’elle juge être une nouvelle forme de violence faite aux femmes, bien que plus discrète et plus tue que celles dénoncées par les féministes du tweet. Ce qui l’a poussée à écrire ce livre, qui est plus encore un témoignage personnel qu’un essai pamphlétaire, c’est cette impression que la femme est devenue « un être désincarné », dont l’acceptabilité sociale est conditionnée par sa capacité à être autre chose que son corps… au risque d’invisibiliser ce dernier : « notre corps n’est pas seulement un inconnu, c’est un intrus ». Contre la domination technique du corps féminin et l’irruption du corps médical dans sa plus stricte intimité, cette professeure de philosophie refuse obstinément la honte : elle lui préfère l’émerveillement devant le corps féminin et la vie naissante.

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Cet émerveillement ressemble à s’y méprendre à celui de Blanche Streb devant les connaissances acquises par l’homme sur la procréation. Mais celle qui a également dressé la (très longue) liste des dérives technicistes qui menacent l’authenticité de la procréation humaine, de la FIV à trois parents aux embryons génétiquement modifiés, redoute l’eugénisme que permettent ces techniques. Et il n’est plus question de science-fiction : le « monde des meilleurs », qui est bien loin d’être le meilleur des mondes, est déjà là : « il est possible de choisir sur catalogue des donneurs d’ovules ou de sperme, en feuilletant leurs caractéristiques physiques, psychologiques, sociales, leurs loisirs, leur religion ou leurs goûts culinaires » constate-t-elle amèrement, avant de demander combien de temps il faudra pour pouvoir choisir un jour les embryons de la même manière, et plus seulement les gamètes.

Le transhumanisme qui vient

Derrière cette inquiétude, on discerne en creux le spectre du transhumanisme et d’un rapport vicié entre l’homme et sa propre technique. Face à ce risque, c’est au contraire une « éthique du don », opposée à la tentation individualiste de toute-puissance, que prône Blanche Streb, citant les inquiétudes d’un Hans Jonas face au progrès technique. Il s’agit de repenser à nouveau frais le sens du mot « progrès » : en s’autolimitant pour mieux se préserver, l’homme pourrait voir au contraire dans le « principe vulnérabilité » la racine d’une nouvelle forme de progrès humain, qui ne dépasse pas l’homme mais qui le replace au centre de l’éthique.

A ce stade, conclut Marianne Durano, « le féminisme devrait être un écologisme, parce que les équilibres qui sont les plus menacés, ce sont d’abord les nôtres. » Le corps féminin, son ventre comme le reste, devient alors la première des « ZAD »…

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est journaliste.

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