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Manifestation des policiers, la fin du politiquement correct?

35 000 policiers étaient présents devant l'Assemblée nationale


Manifestation des policiers, la fin du politiquement correct?
Manifestation des policiers le 19 mai 2021 devant l'Assemblée nationale.Les policiers réclament plus de moyens et plus de sévérité contre leurs agresseurs ©ROMUALD MEIGNEUX/SIPANuméro de reportage : 01020059_000003

Nicolas Lévine était présent à la manifestation des policiers du 19 mai 2021. Il nous livre ses impressions sur ce rassemblement.


J’ai beau, depuis l’enfance, essayer, et même m’améliorer en vieillissant, je n’arrive pas à être en retard. C’est dingue. Même quand je devrais l’être, quand je pars trop tard, quand j’ai des choses à faire en chemin, je trouve toujours le moyen d’arriver au mieux pile à l’heure. C’est très embêtant, surtout en France où la coutume veut qu’on se fasse attendre afin de donner l’impression qu’on a une trop riche vie sociale et/ou professionnelle, qu’on ne donne pas trop d’importance à celui – et encore plus à celle, quand on est un homme – qu’on rejoint. C’est une marque de légèreté, l’inexactitude, et c’est très bien vu par cet étrange peuple français.

Un rassemblement républicain

Voyez mercredi, à Paris. Je me rendais à la manifestation organisée par les syndicats de policiers. Il fallait y être à une heure de l’après-midi. Eh bien, malgré le bureau et cent petites choses à faire dans la journée, j’arrivais devant l’Assemblée à une heure moins le quart. Cette fois, du reste, mon excessive ponctualité s’avérait utile ; sans elle, je n’aurais pas pu me placer tout près de la grande tribune où, durant une heure, des responsables syndicaux allaient dire hélas moins la colère que le désespoir des forces de l’ordre. Car il y avait du monde, beaucoup de monde, dès avant le début de la manifestation, sur le Quai d’Orsay. De la Concorde, où j’étais descendu, à ce dernier, pour accéder à la foule, des cordons de policiers obligeaient à faire le tour du Palais Bourbon, en passant donc par la place du même nom ; sur celle-ci, alors que le ciel mentait sur ses desseins, on pouvait voir, groupés, une soixantaine de députés, leurs assistants et des journalistes. Les époux Ménard, Julien Aubert, et surtout des tas d’autres que Wikipédia aura oubliés avant la fin de leur mandat, se préparaient donc, de toute évidence, à venir assister à la manifestation. À l’instar, bien entendu, du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. Philippe de Villiers disait de Nicolas Sarkozy qu’il n’avait pas de « colonne vertébrale idéologique ». Darmanin singe en tout, et surpasse même, l’ancien président.

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Immédiatement, donc, ce qui frappait était le nombre. Une foule déjà compacte remplissait le Quai sur trois cents mètres. Venu seul, je laissais traîner une oreille indiscrète en m’approchant, avec l’expérience d’un amoureux des boîtes de nuit, du grand écran où plusieurs clips allaient être diffusés. Des petites grappes de policiers s’échappaient d’imparables banalités sur les collègues, la famille, le dernier week-end. Les « citoyens », conviés eux aussi à la manifestation, étaient surtout composés de fringants retraités. À treize heures précises, le patron de l’intersyndicale lançait les hostilités. C’était parti pour une heure, précise aussi, de laïus, de clips, de témoignages et de brefs « coucous » proférés par des vedettes. En introduction, le patron de l’intersyndicale avait bien pris garde de dire que ce rassemblement était « républicain ». Et la première vidéo diffusée, beaucoup trop longue, était raccord avec cet adjectif. En effet, pour illustrer la violence à laquelle les policiers font face de nos jours, ladite vidéo s’attardait presque intégralement sur… les Gilets jaunes. Et lorsque la célèbre séquence dite du boxeur passa, à ma gauche, un gaillard ne put retenir un vibrant : « Mais regarde-moi cet enc… ! » La violence des banlieues, elle, était réduite à un feu d’artifice horizontal de trois secondes. Enfin, raccord, cette fois, avec l’époque, le court métrage s’achevait sur l’image d’une bougie.

La justice vilipendée

Trois responsables syndicaux, si ma mémoire est bonne, prirent la parole. Le deuxième, celui d’Alliance, fut le meilleur. Lui, il accusa : « Le problème de la police, dit-il, c’est la justice » – sentence dont, depuis mercredi, la gauche ne se remet pas, qui l’encourage, bien sûr, à comparer cette manifestation très sage au 6 février 34. Il fit huer l’incroyable Éric Dupond-Moretti, avocat millionnaire, homme de conviction qui défendait un pédophile le lundi et la victime d’un pédophile le lendemain, dont la reconversion dans le théâtre n’a surpris personne et doit même expliquer en partie pourquoi Emmanuel Macron, lui-même comédien dans l’âme, l’a nommé Place Vendôme, et qui tente, comme le premier Daniel Vaillant venu, de nous refaire le coup du « sentiment d’insécurité » au moment où, du moins quand on n’est pas électeur LREM, bourgeois de naissance ou, comme lui, parvenu, il n’est plus possible de sortir de chez soi sans redouter une balayette pour une clope refusée, une main aux fesses pour une jupe trop courte, un égorgement pour une caricature de Mahomet dessinée pourtant par des personnes qui détestent la France à peu près autant que ceux qui égorgent. Trois fois, dont une digne des pires cauchemars bretons, la pluie vint contrarier le raout. J’en profitais, je le confesse, pour me réfugier sous le parapluie de deux très jolies flics – d’ailleurs, je dois dire que les jolies filles ne manquent pas, visiblement, dans la police.

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N’en déplaise à Jean-Luc Mélenchon et la gauche honnête en général, ce moment n’avait rien de « séditieux ». Au contraire, outre l’épithète « républicain » répété comme un mantra, les intervenants déploraient bien plus qu’ils n’excitaient ; et comme revendications, ils n’avaient en vérité que celle d’un retour des « peines planchers » – que la magistrature refusa d’appliquer quand elles existaient, entre 2007 et 2014, du fait du techniquement commode et idéologiquement sacré, pour cette même magistrature, principe de l’individualisation de la peine. Gérard Lanvin et Vincent Moscato vinrent saluer la foule ; le patron de l’intersyndicale précisa que « plusieurs artistes », quoique sympathisants de la cause, n’avaient pas osé venir s’afficher à la tribune. Pour tout dire, on s’ennuyait un peu. Mon ennui fut brisé quand un mouvement bizarre, propre aux manifestations, annonça le passage, pas loin, d’Éric Zemmour. Et lorsqu’un rappeur, un certain Karim, vint livrer une stupéfiante ode tout à la fois à l’ordre et à la diversité. J’étais déçu, à présent. Jusqu’au poignant témoignage d’un jeune gardien de la paix de Saint-Denis, qui avait été poignardé sur un marché de la ville, et, plus encore, jusqu’à ces deux magnifiques Marseillaise plus murmurées que chantées par ces 35 000 personnes qui, c’est certain, aiment leur pays, et n’en peuvent plus de la brutalisation, chaque jour plus insupportable, de la société française, mais qui n’osent toujours pas, en tout cas pas publiquement, dire clairement quelle en est la principale – et de très loin – source.

Là est bien le problème, à mes yeux. Éric Zemmour expliquait justement, le soir même dans Face à l’Info qu’il avait l’impression que les digues du politiquement correct était en train de craquer. À en juger par la manifestation en question, moi, j’en doute.

L'incident

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Nicolas Lévine est écrivain

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