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Le Noël du BDS

Merry Palestinian Christmas in Amsterdam


Le Noël du BDS
Grands magasins De Bijenkorf, Amsterdam. DR.

Les militants du mouvement « Boycott, désinvestissement et sanctions » sont des pros de la « sensibilisation ». Analyse d’une de leurs campagnes d’évangélisation dans une galerie marchande aux Pays-Bas. Pour ces détracteurs d’Israel, cette année, Noël est « annulé ».


La scène se passe à Amsterdam, la veille de Noël, pendant la journée du 24 décembre 2023 (voir notre vidéo ci-après). Nous sommes dans l’enceinte du grand centre commercial Bijenkorf. Le public déambule entre les rayons, jeunes couples et personnes entre deux âges, jeunes mères avec de petits enfants, adolescents décontractés, dans une atmosphère doucement consumériste, mais cependant gentiment festive, puisque le soir même, chacun sera en famille ou avec des amis pour célébrer l’Avent. Et voilà que descend du dernier étage, comme du ciel, une nuée d’étoiles blanches s’approchant de terre, une pluie de tracts, des tracts par centaines, en vagues régulières, lancés depuis les hauteurs par des silhouettes vêtues de noir, aux visages indistincts. Ces feuilles maculées d’un dessin de mains tâchées de sang, virevoltent, créent la surprise, avant d’atterrir sur le sol, après avoir frôlé la tête ou les épaules des passants. Pendant que ces messages para-célestes tendent vers leur point de chute improvisée, au hasard de leur trajectoire ciblée, une voix féminine, de tonalité aéroportuaire, et qui semble celle d’une annonce, s’insinue dans l’air. Une voix féminine et douce, d’une douceur un peu métallique, au timbre continu, déroule en anglais, avec un phrasé régulier, légèrement martelé, le propos que voici[1] :

 « Chers clients bienvenus chez Bijenkorf pendant que les bombes tombent
Environ 20 000 personnes ont été tuées à Gaza cet hiver, avec l’argent de vos impôts
Lorsque vous achetez des marques telles que L’Oréal, Chanel et Dior, vous permettez à Israël de poursuivre son génocide contre les Palestiniens
Pendant que vous recherchez le cadeau parfait, Israël tue six enfants par heure… six enfants par heure
Au cours des deux derniers mois et demi, 800 enfants ont été tués
Montrez votre solidarité avec le peuple palestinien opprimé, instruisez-vous sur le génocide
Parlez à votre entourage de l’occupation
Noël est annulé
Fermez vos sacs, arrêtez de faire des achats, et boycottez les marques qui permettent à Israël de perpétrer un génocide contre les Palestiniens
Boycottez L’Oréal, boycottez Dior
Boycottez Chanel, boycottez Puma
Du fleuve à la mer la Palestine sera libérée. »

Nous sommes à Amsterdam, à quelques heures de la nuit de Noël, et quelqu’un a filmé à dessein quelqu’un d’autre en train de baigner de tracts hostiles à Israël la foule qui se presse dans ce grand magasin de la ville. La voix féminine profère une comptine, toute de tension moralisatrice, qui se veut de portée pédagogique, mais aussi didactique. Le montage est parfait : sur papier, il a aussi les principales qualités du carton d’invitation. Son entête : Merry Palestinian Christmas in Amsterdam ; sa signature : le graphisme miniaturisé de la pastèque, suggestion fruitée des couleurs du drapeau palestinien.

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Cette interpellation collective illustre l’une des facettes des campagnes militantes, menées depuis le début des années 2000, à l’échelle de toute l’Europe, par le mouvement du BDS – acronyme de Boycott Désinvestissement Sanction, et qui fédère depuis lors ce que la nouvelle internationale antijuive, aux seules fins de naturaliser dans l’opinion la délégitimation d’Israël, sous le double rapport de la discrimination et de l’incitation à la haine, non seulement de l’Etat et des ses citoyens, mais encore de quiconque serait enclin à manifester une solidarité quelconque ou de la sympathie à leur endroit.

Frapper les esprits. Dupliquer, en la détournant, la geste évangélique de la catéchèse, instrumentaliser l’évènement de Noël, pour divulguer l’éternelle nouvelle du maléfice d’Israël, voilà qui signe l’identité de marque du discours de propagande, lequel choisit toujours son moment pour propager sous les dehors de la passion morale l’enseignement du mépris.

A mesure que les mots de ce discours se déposent dans nos oreilles, nous nous apercevons que cette même voix lit pratiquement le message imprimé sur le tract tombé du ciel, ces nombreux tracts aux multitudes enveloppantes, comme les paroles d’une révélation- le jour de Noël. La profération de cette voix, à la progression insistante, sème doucement le trouble d’un contraste cognitif et perceptif dans une atmosphère conviviale, peu à peu ressaisie en espace d’inquisition subliminale. Il s’agit d’un message perlé, qui semble venir du fond des âges, fait de brefs contenus et d’injonctions binaires, mais incisives. On y reconnaît la réalité d’une mimésis depuis longtemps familière. Que nous dit-elle au juste ?

D’abord, la voix délivre un propos dissonant. Elle s’immisce d’emblée dans la compréhension de chacun par une expression de bon accueil qui autorise le détournement subreptice de ce qui serait normalement attendu : Chers clients bienvenue chez Bijenkorf… pendant que les bombes tombent. L’adresse se fait directe, elle se veut maintenant moralisation rapide du public, entre culpabilisation à peine manifeste et devoir d’enseigner, une sorte de formation continue en accéléré : Environ 20 000 personnes ont été tuées à Gaza cet hiver, avec l’argent de vos impôts lorsque vous achetez des marques telles que L’Oréal, Chanel et Dior. La voix se fait aussi pesamment que prétendument informative : Pendant que vous recherchez le cadeau parfait, Israël tue six enfants chaque heure, six enfants chaque heure. L’auditoire innocent est discrètement pris à partie, mais l’intention moralisatrice première se mue aussitôt en intention mieux inspirée, presque amicale, consistant à changer le reproche tacite en interpellation complice, ce qui constitue ainsi l’auditeur en témoin. L’auditeur alors ne pourra plus se réfugier dans le refus de savoir, puisque dorénavant il sait : Au cours des deux derniers mois et demi 800 enfants ont été tués.

Tout cela est bien embarrassant pour les « sionistes » que l’on devine très inquiets de ces révélations si abruptes ! Parce que les images, qui se lèvent dans les esprits à l’entente de ces mots, brouillent indélicatement l’horizon d’attente des acheteurs en goguette : l’évocation des noms de grandes marques – Chanel, Dior, L’Oréal- qui évoquent le luxe, la prospérité et la sécurité que procure l’agrément (vêtements chics, parfums délicats)- jure avec la vue mentale de la tuerie organisée ; ces paroles jurent avec la fabrication mentale d’une vision de misère, et font lever dans l’esprit  du divertissement le choc d’une injustice insigne.

Mais le message que profère la voix céleste se fait aussi engagement à adhérer. L’engagement voudra bien remplacer les habituelles bonnes résolutions de fin d’année, au profit d’une véritable résolution, à la fois éthique et sympathique. Ce message nous sensibilise, et comment ne pas l’être toute affaire cessante, sous le coup de la ‘’découverte’’ de l’affreuse condition faite à l’éternelle victime de l’iniquité d’Israël qu’il faut à toute force faire cesser : Montrez votre solidarité avec le peuple palestinien opprimé, instruisez-vous sur le génocide.

Ce n’est peut être pas une voix divine qui parle, mais à l’évidence elle s’est mise en recherche de nouveaux apôtres : Parlez à votre entourage de l’occupation.

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La voix de Noël entendue ce jour-là, s’apparente intimement à une catéchèse de substitution. Il ne s’agit pas tant de s’adresser aux disciples du Christ, en leur rappelant le message de l’amour du prochain – du reste issue ‘’de la Torah qui vient de Sion’’- que de s’adresser, à travers eux, aux nouvelles armées de prosélytes en puissance de la sacro-sainte ‘’cause palestinienne’’, dans le récit mythique de laquelle il convient désormais, dans l’Occident post-hitlérien, de trouver la matière du nouvel évangile. Léon Poliakov aurait dit : la matière du bréviaire du nouvel antisémitisme. En effet, tout au long de ce message très calculé, l’économie de la rhétorique discriminante tient notamment à la construction objective du champ associatif du nom d’Israël, ici réduit au seul réseau énonciatif suivant : ‘’bombe’’, ‘’tuer’’ (adultes/enfants), ‘’argent’’, ‘’génocide’’, ‘’occupation’’,  ‘’peuple palestinien opprimé’’. Ce réseau associatif dresse incidemment le psycho-portrait d’Israël : celui du criminel de masse dont il faut urgemment débarrasser la terre.

Nous l’aurons compris, en la circonstance, il y a plus important que Noël, puisque le Noël chrétien a été irréversiblement enténébré par le crime présumé d’Israël, qui tue aujourd’hui à Gaza, pour la seule joie de tuer, comme naguère Israël aurait tué Jésus… A regret, décidément, nous ne pourrons fêter Noël que lorsque les Juifs et leurs complices de l’industrie de luxe auront été punis : « Noël est annulé ». Cette comptine est presque une réussite poétique : répétition, rime intérieure, assonance, petit refrain, rien ne manque afin qu’on ne l’oublie pas. La douce voix féminine para-céleste lui ajoute enfin sa chute logique, à mesure que l’on s’abaisse à la faire sienne : Du fleuve à la mer la Palestine sera libérée.

Ce message a circulé sur les réseaux sociaux, il a été ‘’partagé’’ des milliers de fois. Comme une évidence, les concepteurs de ce message ont trouvé dans Tik tok, le support tout désigné du terrorisme islamo-sadique. Ce message urbi et orbi s’attache à dire à qui l’entendra, que le « peuple palestinien est opprimé ». Opprimé et occupé. Opprimé du seul fait d’être occupé. Occupé par qui ? Ou occupé à quoi ? Occupé à délégitimer l’existence d’Israël, crescendo et par tous les moyens. Jusqu’à atteindre le point de non-retour.

La Révélation de Bijenkorf – appelons là ainsi pour la distinguer en sa qualité d’évènement représentatif de la nouvelle religion planétaire– n’a certes pas le sublime de l’interpellation du Buisson ardent, ni la force lumineuse des Béatitudes, bien qu’elle veuille y prétendre. Mais l’enchevêtrement de ses propositions simplistes, très parlantes pour une majorité d’esprits faibles, confère sa regrettable efficience à un slogan si mensonger et homicide, que certains Israéliens ont cru bon d’y répondre par la formule ironique : Du fleuve à la mer, le drapeau d’Israël est le seul que vous verrez. Façon simple, mais amusée et indiscutable, de rappeler que l’Etat d’Israël s’étend officiellement, a minima – selon le droit international (sic) – de la rive occidentale du fleuve Jourdain à la Mer Méditerranée. Et ceci, même s’il devait être constamment contesté par tous les diables.


[1] Nous le traduisons de l’anglais.




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Linguiste , théoricien du langage, philosophe

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