« Paris est la seule ville du monde où coule un fleuve encadré par deux rangées de livres », dixit Blaise Cendrars. Causeur peut y dénicher quelques pépites…
C’est en héritier des Lumières mâtinées de romantisme qu’Émile Sedeyn (1871-1946) a porté jusqu’au mitan du XXe siècle un regard libre et érudit sur les arts et le patrimoine. Maniant la plume en écrivain, abordant la création en collectionneur et arpentant la France en journaliste, il chemine et butine çà et là de quoi alimenter sa curiosité d’honnête homme. Son ouvrage sur Les Fontaines de Paris ne l’empêche pas de publier un récit sur les Gens et choses d’aujourd’hui, et son étude de l’œuvre de Jean Dunand, maître de l’Art déco, publiée dès 1919, n’entame en rien la pertinence de son essai sur l’histoire du Mobilier (1921) ni celui sur La Troisième République (1936).
En outre, Sedeyn aime se balader. Avant Un Voyage par semaine (1927), il écrit en 1922 Petites villes de France. « Ce n’est pas un guide, prévient-il d’emblée, mais plutôt une collection d’images. » Et des images, l’auteur sait en brosser pour rendre au lecteur toute l’intensité de ces « derniers fiefs du temps et du silence ». Non sans humour, il s’interroge sur ce qui retient encore les habitants dans ces petites localités. Une modération atavique, la force de l’habitude ou l’insuffisance des crédits ? « Bénie soit l’insuffisance des crédits si c’est à elle que des petites villes doivent de conserver des éléments les plus expressifs de leur aspect d’autrefois, où s’inscrivent, avec la fierté des belles aventures guerrières, les souffrances des longs sièges, l’amertume des déchéances, et, par-dessus tout, cette sérénité impressionnante qui, peut-être, n’est que le masque de l’oubli. » Sedeyn note que même le chemin de fer les délaisse, les dédaigne. Alors qu’« un ingénieur n’a jamais hésité à perforer une montagne, à violer le mystère d’une forêt, à civiliser un paysage », il ne relie pas les petites villes au reste du monde ; il les « dessert » : le train ne rejoint pas directement leur centre-ville mais leur « avenue de la gare ». S’ensuit une délicieuse topographie sociologique de ce faubourg d’un genre si particulier.
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Ce chasseur d’esprit des lieux reconnaît que « quand on s’est ennuyé longtemps et sans regret dans des petites villes, on finit par les aimer, et quelques fois par les comprendre. Mais ce dernier point est fort délicat, attendu que rien ne leur est plus contraire que l’esprit d’analyse. Beaucoup n’ont à offrir au visiteur que leur vieillesse, leur pauvreté, leur solitude. Il faut y arriver en pèlerin, pourvu d’une grande patience et de quelques notions historiques. Si on les interroge sans hâte et sans bruit, on finit par déchiffrer l’énigme de leur visage ».
Richelieu, Loudun, Bergues, Cordes, Mehun-sur-Yèvre, Elne, Cassel, Arbois, Compiègne, Péronne, Chantilly sont les belles endormies à qui Émile Sedeyn tresse une guirlande littéraire, des « pages lentement écrites », parfois avant les ravages de la Première Guerre, et qu’il n’a pas souhaité remanier après, son intention étant de « peindre des visages de vieilles, non des visages de mortes ».
Ces Petites villes de France résonnent aussi comme la promotion prophétique du « tourisme de proximité », l’auteur prédisant que « lorsque l’humanité aura réalisé son rêve de parcourir le monde à tire-d’aile, un jour viendra où les habitants de la terre, mieux renseignés sur les proportions de l’univers, comprendront qu’ils ont été dupes de l’immensité ».
Émile Sedeyn, Petites villes de France, Les Éditions G. Crès & Cie, 1922, 223 pages.




