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Rome sur canapé

Une fugue existentielle dans l’Italie désabusée des années 1960


Rome sur canapé
Jean Le Gall © Nicolas Guilbert

Jean Le Gall plonge dans les méandres de la crise existentielle d’un homme politique qui abandonne ses responsabilités. Un changement de vie absurde et profond dans la Rome des années 1960


Il y a des familles en littérature. Celle des Hussards donna beaucoup d’enfants, tous différents et plus ou moins heureux – surtout les derniers qui, à toute force, imitent, c’est-à-dire « posturent » sans autre objet, leurs illustres aînés. Quoi qu’on dise, elle eut un mérite : désengager la littérature, la sortir du bourbier politique d’une époque, celle des années 1960, prôner le singulier sur le pluriel, ou plutôt « contre » ce dernier, pour reprendre un mot de Cocteau cité par Jacques Laurent. Le héros du roman de Jean Le Gall a lui aussi choisi de se désengager de la politique. Et son créateur ne laisse pas de nous faire penser par son style, son rythme, son espièglerie, son insolence et son goût pour le plaisir aux turbulents cités plus haut qui, jamais, ne formèrent une école.

Rome, janvier 1969. Le jour même de son élection à la tête du Parti communiste italien, Nicola Palumbo démissionne. Partant, il suicide sa carrière. Faut-il ajouter qu’il « théorisait une révolution qui fût débarrassée de l’envie, de la jalousie, de la revanche et donc de la violence ». C’était déjà une dérobade ! La belle affaire ! Ce fantaisiste a tôt fait de se reconvertir, le jour de son triomphe volontairement avorté, en vendeur de canapés. Se reconvertir dans le convertible ! D’où tient-il ce détachement, cette indifférence ou cette ironie ? C’est selon. Peut-être du troisième mari de sa grand-mère, un certain Fabrizi, dont il avait fait la connaissance en 1939, dans la très belle propriété de la nonna, à trente minutes de la Ville éternelle. Le Fabrizi en question lui dispensa une formation morale dont on peut arguer que le poids (donc l’influence) fut inversement proportionnel à celui du « legs cellulaire de l’hérédité ». Lisez plutôt : « La générosité est une façon respectable de déshonorer son esclave. » Et aussi : « Deux ou trois fois par siècle, l’Italie s’endort au volant. » Et encore : « La droite, la gauche… La vérité n’a jamais été de ces couleurs-là. » Et enfin : « Nous existons à peine. » Cette dernière sentence fera visiblement son chemin puisque, peu de temps après son embauche comme commercial en canapés, Nicola confie à son seul ami Luigi Montale : « Je veux pour ma vie qu’elle soit désormais une expérience existentielle. » Sans doute vient-il simplement d’appréhender le fait que « l’existence humaine est plus épaisse que la politique ne veut le croire ».

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Bientôt, dans son magasin, Nicola voit entrer une femme d’une beauté brutale, de « celles qui agissent avec l’efficacité d’un interrupteur » : Silvana Mangano. Il discute avec elle et s’aperçoit que, d’une certaine façon, il est lui aussi un acteur capable, sans remords, « de changer de rôle entre deux portes ». Ainsi notre héros va-t-il enchaîner les rencontres dans un décor de boom économique ajouré par les bombes anarchistes. C’est maintenant avec lui-même qu’il commerce, avec son impuissance. Cette comédie italienne ne manque pas de profondeur.

Jean Le Gall, Dernières nouvelles de Rome et de l’existence, Gallimard, 2025, 192 pages.

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Article extrait du Magazine Causeur




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écrivain et critique littéraire

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