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L’ubérisation du cheveu m’inquiète

Dropshipping, e-commerce et néobanques bousculent le lissage brésilien


L’ubérisation du cheveu m’inquiète
Fabien Provost, fils de Franck Provost, peut s'inquiéter de l'uberisation que nous évoquons © SIPA Numéro de reportage: 00555655_000001

Tout a commencé lorsque ma nièce a exigé que je lui trouve un shampooing sans sulfate…


Cet été, j’ai galéré un max pour trouver un shampooing sans sulfate, absolument in-dis-pen-sa-ble aux cheveux de ma nièce, qui nous avait rejoints en vacances, mais sans son shampoing, consécutivement aux règlements stupides du transport aérien sur les bagages de cabine. Il était hors de question qu’elle abîmât son lissage brésilien, en utilisant le même shampooing que nous, pauvres vacanciers capillairement ignares. Effectivement, ses cheveux étaient lisses, brillants bref impeccables et c’eût été dommage de les meurtrir. J’ai donc ainsi découvert le secret de cette jolie coiffure un peu uniforme mais tellement tendance voire incontournable pour qui doit un peu se montrer sur les dancefloors, à la télé ou ailleurs. « On injecte de la kératine dans les fibres capillaires pour discipliner les cheveux tout en les nourrissant », ça c’est le marketing. En vrai, on décape d’abord soigneusement les cheveux pour ouvrir les écailles, on applique de la kératine et on fait pénétrer à chaud. Sauf que pour faire pénétrer la kératine, issue de la laine de mouton, on utilise du formol (produit utilisé par les taxidermistes et les thanatopracteurs) et que dans le mélange appliqué il y a souvent plus de silicone que de kératine. On commence à s’éloigner sérieusement du papier glacé.

Précautions

Un lissage brésilien coûte généralement entre 150€ et 400€ mais parfois beaucoup plus. L’effet dure entre deux et trois mois. On comprend le soin apporté à sa préservation. Oreiller en soie. Shampooing spécial et sans sulfate, le moins souvent possible. Pas de salissure, provoquée entre autres par la transpiration donc pas de sport. La liste des précautions est longue. Pour les galipettes, on ne sait pas.

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Mais, ce que j’ai surtout découvert, c’est le business du lissage brésilien. Bien sûr, ma nièce n’allait pas dans un salon de coiffure dûment patenté pour son lissage. Pas folle la guêpe. Elle prenait rendez-vous par internet et se faisait faire le soin à domicile pour 100 €, produits compris. Comment payait-elle la prestation ? Qui était sa lisseuse ? Etait-elle diplômée ? Déclarée ? Assurée ? D’où venaient ses produits ? Contenaient-ils beaucoup de formol ? De silicone ? Mais, allo quoi ! Quelle « vieux jeu » je faisais ! Elle payait en liquide. Elle ne savait rien de sa lisseuse, sauf que toutes ses copines l’utilisaient. D’ailleurs cette dernière était overbookée pour les deux mois à venir. Mais ma nièce n’aurait pas à en souffrir, puisqu’elle prenait ses rendez-vous d’une fois sur l’autre. Ouf ! Et ses produits devaient être bons puisque ça faisait quatre fois qu’elle le faisait et qu’il ne s’était rien passé. Et pour les odeurs de formol, on ouvrait les fenêtres. Si la lisseuse était déclarée, si elle payait des impôts, de la TVA, des charges ? Mystère et boule de gomme. Chacun se débrouille.

C’est le commerce qu’on assassine

Comme je le subodorais, de nombreuses propositions sur le net sont « clandestines », sans adresse, sans Siret, juste un numéro de portable, et surtout sans informations sur le produit utilisé. J’ai même trouvé une « coiffeuse » acceptant les CESU. Au moins, cette dernière devait-elle avoir une existence juridique, mais que les personnes fiscalement concernées par le dispositif aient besoin de ce type de services est une autre histoire.

FIlm "Rien que pour vos cheveux". Image: capture d'écran YouTube
FIlm « Rien que pour vos cheveux ». Image: capture d’écran YouTube

Je n’étais pas au bout de mes surprises. J’ai eu le malheur de dire que c’était quand même une façon de tuer le commerce. Tant qu’on y était, pourquoi pas des boutiques virtuelles, certes cela existe déjà, mais sans stocks ?

Mais dans quel monde vivais-je ? Bien sûr, qu’on pouvait ouvrir une boutique sans stocks. Quelle retardée je faisais ! Je n’avais jamais entendu parler de dropshipping ?

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– Ben non. Yeux écarquillés.

– Le principe est hyper simple. Tu choisis tes produits, par exemple chez AliExpress ou Alibaba, pour du tout venant fabriqué en Chine, (mais t’inquiète, ils ont des entrepôts en Europe), chez Brandistribution pour des vêtements de qualité fabriqués en Italie ou en Allemagne, chez Etsy pour du bel artisanat. Tu crées ta plate-forme de vente en ligne via Shopify. Tu fais la pub de tes produits et de ta boîte. Les gens te les commandent et te les paient et toi tu les commandes et tu les fais livrer par ton fournisseur. Après, il y a plusieurs écoles pour les retours éventuels. Soit il n’y a pas d’adresse de retour dans le paquet, t’es peinard, soit tu gères les mécontents, soit tu fais gérer pas le fournisseur.

Les banques françaises pas à la page

– Tu rigoles, ça ne peut pas être aussi simple que cela.

– J’ai des tas de potes et de potesses qui le font. Of course, il faut bien choisir ses produits. Ensuite, le gros de l’affaire, c’est de faire venir les consommateurs sur ton site. Il y a bien sûr des tas de stages proposés sur le net pour t’initier au dropshipping mais tu oublies. C’est de l’arnaque. Si tu es un peu malin et que tu sais utiliser les réseaux sociaux, ça le fait. Mais, il faut être imaginatif, très imaginatif. Et, en fait c’est le vrai boulot. Savoir faire le buzz, gérer les influenceurs, les lobbyiser.

– Ok, ok je crois que je comprends à peu près. Mais, il te faut une banque et quand on voit les difficultés pour ouvrir un compte professionnel…

– Forcément, si tu vas au Crédit Agricole ou au Crédit Lyonnais, mais c’est du passé. A quoi ça sert la mondialisation ? Tu fais affaire avec N26 en huit minutes. C’est allemand, il y a aussi pas mal de propositions anglaises, Revolut, TransferWise, Netteler, Skill. Mais, on évite peut-être actuellement (rires).

– Et la TVA ?

– Là tu m’en demandes trop !

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