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Exercice de décomposition française


Exercice de décomposition française

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Dieudonné est un humoriste français très connu, et cela depuis au moins une quinzaine d’années. Parmi les humoristes français – ces amuseurs nationaux que le monde entier, même mondialisé, ne ne nous envie certes pas ! –, il fut naguère, sans aucun doute, l’un des plus percutants. Je ne l’ai jamais vu sur scène. Je ne vais jamais à un spectacle d’humoriste. On me dit que Proust (non pas le petit Marcel) serait intéressant. Je n’irai pas voir Proust. Je trouve affligeant un spectacle d’humour, fondé sur la présence unique d’un type, qui joue sur tous les registres pour paraître drôle : le cynisme, la cruauté, la dérision (certifiée Canal +) et autres postures téléphonées, sans doutes écrites par les mêmes plumes, qui sévissent à la télévision. Faire rire est très difficile; faire rire seul, pendant plus d’une heure, aujourd’hui, à l’aide de toutes les ficelles usées, est impossible. On me dit que Gad Elmaleh connaît un énorme succès. Je regarde quelques images de ses prestations, j’ai envie de fuir ! Pourquoi mes contemporains rient-ils au spectacle de ce type ? Et Patrick Bosso ? À l’exception de quelques calamiteux à la dérive, qui peut supporter plus de dix minutes cet individu ? Faut-il évoquer, pour pleurer ou pour se faire peur, Florence Foresti, Arthur, ou encore Franck Dubosc ? Pour un Albert Dupontel, à l’extravagance génialement contrôlée, ou pour trois Inconnus, fraternellement unis dans la satyre bonne, combien de célébrités du rire encombrantes ? À quoi servent donc les prétendus comiques, aujourd’hui ?

À monter des spectacles antiracistes, qui seront retransmis à la télévision, à l’usage des pauvres gens, membres hagards d’une société affolée, désunie, pétris du remords d’être méchants et bêtes ! À quoi servent les humoristes nationaux, ces nouveaux prescripteurs de comportements justes et honnêtes ?

Dieudonné a joué une autre partition. Noir de peau, élevé dans la religion catholique, breton par sa mère, dominant tous les autres par l’intelligence, la présence physique, l’éducation peut-être, il constitua d’abord un excellent duo en compagnie d’un autre comique, plus doué, lui aussi, que la moyenne, Elie Semoun. L’un était noir, donc, l’autre juif. Dieudonné a d’abord renié son baptême : cela n’a choqué personne. Il a proclamé ses racines africaines, il a travaillé sur le passé, la traite des Noirs, la mauvaise conscience occidentale… On voyait bien qu’il cherchait quelque chose, une issue pour accéder à une place différente. On sentait presque le tribun sous le provocateur patenté, menacé de se répéter. On connaît la suite.

Ce que je veux dire, c’est que la progression de Dieudonné à l’intérieur de la société française n’est pas exactement un miracle, et ne peut ni troubler ni étonner ceux qui observent un peu attentivement cette société. De même, la progression de Soral, qu’on aurait tort, qu’on a eu tort, de négliger, voire de nier. Tous deux sont étroitement associés d’une part à l’effondrement progressif de la notion de respect, même minimale, de la « chose publique » et des instances de l’État, et, d’autre part, au rôle grandissant d’Internet dans la vie culturelle et intellectuelle de ce pays. Internet n’est pas seulement l’agora des délateurs et des cafards, c’est aussi un outil de propagande, de connaissance, de re-connaissance, un moyen d’échange et d’apprentissage accéléré, incomplet sous bien des aspects, mais redoutablement efficace. Soral, en effet obsessionnellement antisémite, a tissé un véritable réseau, qui lui permet aujourd’hui de tenir des conférences dans les grandes villes de France, et d’y attirer un public nombreux, persuadé qu’«on» lui cache des choses : ces mêmes choses que Soral va lui révéler. On a cherché à l’écarter de la sphère publique, on y est parvenu. Mais il avait eu le temps de déposer ses œufs dans le nid.

Alain Soral s’est d’abord imposé par l’écrit, c’est-à-dire par la voie royale, avec des ouvrages de combat, au style acéré, au ton grinçant. Son éditeur, Franck Spengler, connaît admirablement son métier. Par surcroît, il ne craint ni le scandale, ni la controverse ; au contraire, lui-même esprit curieux, volontiers joueur, érotomane amusé, gourmand des idées, des choses, des êtres, adepte du « pas de côté », hostile aux conformismes, il s’inscrit dans une certaine tradition de l’édition française, celle  de la rupture, avec tous les risques que cela comporte (ou comportait), incarnée par Éric Losfeld, Jean-Jacques Pauvert, et par la propre mère de Spengler, Régine Deforges.

Les nombreuses actions d’«agit prop» de Soral à la télévision, d’une redoutable efficacité, ont mis dans la lumière son étonnante, et un peu inquiétante présence physique, et son don d’orateur indéniable (il produit des images verbales avec une vélocité peu banale). Il réussit impeccablement la première partie de son programme.

Il fut enfin boycotté, et devint « tricard » dans les médias normalisés : c’était trop tard ! Il prospère désormais grâce au médium «absolu», Internet.

À présent, le gouvernement du socialisme cynique et désemparé dénonce les dérives de ces deux agitateurs post-modernes. M. Valls agite la menace de la censure d’État contre Dieudonné. Qui décide de nos plaisirs ou de nos peurs ? M. Valls, ministre de l’Intérieur d’un gouvernement parfaitement incapable de mettre fin aux activités criminelles de voyous marseillais ?

Dieudonné « embastillé », la criminalité violente des grandes villes en pleine expansion, la dissolution, l’éparpillement du peuple français, sa décomposition, son insupportable métamorphose en communautés, un ministre de la police arrogant, un président de la République incapable de prononcer dans un français correct  des vœux dignes de ce nom à l’adresse d’une nation, qui eut une si brillante et si longue histoire, un trublion surdoué, dangereux (Soral), parfaitement rôdé à la communication intelligente (bien loin de celle, misérable, des cabinets et autres agences de com., qui sévissent dans les ministères et dans les régions), tous ces signes se tiennent, signalent la fin du cycle né de la Révolution, et dessinent les contours de notre nouvelle, terrible condition nationale. La France cherche son temps pour se parler à elle-même : elle ne pourra pas, indéfiniment, et à cette fin, user du présent du vindicatif et du passé décomposé.

 

*Photo : zoute.



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Né à Paris, il n’est pas pressé d’y mourir, mais se livre tout de même à des repérages dans les cimetières (sa préférence va à Charonne). Feint souvent de comprendre, mais n’en tire aucune conclusion. Par ailleurs éditeur-paquageur, traducteur, auteur, amateur, élémenteur.

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