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Affaire Depardieu, le droit fourvoyé


Affaire Depardieu, le droit fourvoyé
Manifestation contre Gérard Depardieu, Paris le 25/05/2023 FRED SCHEIBER/SIPA

Ceux qui, comme François Hollande, se hâtent de condamner Gérard Depardieu et de défendre celles qui prétendent être ses victimes, bafouent deux principes fondamentaux de l’Etat de droit. Analyse de Pierre-Henri Bovis, avocat.


À la suite du soutien affiché du Président de la République envers Gérard Depardieu, face à ce qu’il qualifie de « cabale médiatique », l’ex-chef de l’État François Hollande a confié au micro de France Inter que : « Moi, je vais vous parler des 14 femmes agressées, des femmes humiliées […] » et un chroniqueur d’ajouter : « Le président n’a pas eu un mot pour les victimes ».

En une séquence, les principes fondamentaux d’un État de droit ont été balayés d’un simple revers de main, au profit du tribunal médiatique et populaire pour lequel ces nouveaux procureurs autoproclamés viennent requérir la mise au ban de Gérard Depardieu.

Deux confusions gravissimes, pour ceux qui portent encore une attention particulière à un État de droit, sont à relever :

1/ la corrélation dangereuse entre des propos graveleux et des plaintes déposées pour des faits d’agressions sexuelles.

2/ les notions de « victime » et de « plaignante ».

Depuis plusieurs semaines, divers commentateurs font un rapprochement dangereux entre les plaintes déposées contre Gérard Depardieu pour des faits d’agressions sexuelles et les propos libidineux qu’il aurait supposément tenus à l’égard de plusieurs femmes. Comme si le fait d’être grossier pouvait avoir une « résonance particulière » – pour reprendre les mots de « Complément d’Enquête » – dans le contexte des accusations formulées par de jeunes femmes. En d’autres termes, ne formulez aucun propos lubrique au risque de paraître vous aussi comme un prédateur sexuel !

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Ces inquisiteurs de la bonne morale n’ont pas intérêt à être pris à leur propre jeu et à voir des éléments de leur conversation privée révélés sur la place publique. Qui n’a jamais tenu de propos déplacés et qui n’a jamais été témoin de blagues graveleuses dans un cercle privé ? Est-ce pour autant la marque d’une déviance ou le moindre adminicule d’une infraction ?

Et ces procureurs 2.0 sont les mêmes qui entretiennent perfidement et volontairement la confusion entre la notion de « plaignant » et de « victime », laquelle devient symptomatique d’un État de droit malade. Or, évoquer le terme de « victime » sous-entend qu’il y a un « auteur » des faits qui sont dénoncés. Reconnaître la qualité d’auteur de faits de nature pénale relève pourtant de la compétence exclusive du juge à l’issue d’un procès, lequel respecte des principaux fondamentaux d’équité reconnus tant par la Cour européenne des droits de l’Homme que par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : l’indépendance de la justice, le droit à un procès équitable, le respect du contradictoire, les droits de la défense, la loyauté des débats.

Or, le tribunal médiatique mis en place depuis une quinzaine d’années, augmenté et renforcé tant par l’amplification des réseaux sociaux et leur effet démultiplicateur des passions que par des influenceurs qui prennent part au débat, s’arroge cette compétence pourtant exclusive et déléguée aux juges qui rendent seuls la justice au nom du peuple français.

Cette confusion des notions de « victime » et de « plaignant » volontairement orchestré depuis les scandales MeToo relève également d’une dérive dangereuse de ce qui est appelé la « libération » de la parole des plaignantes dans les affaires sexuelles. Cette libération des plaignantes, qui est initialement vertueuse, bien évidemment à soutenir et à défendre, devient progressivement une sacralisation de celles qui portent des accusations, au détriment de l’innocence présumée de celui qui est accusé. Pour ces nouveaux soldats de la bonne vertu, si un tel ou un tel est accusé, cette sacro-sainte parole induit qu’il y a nécessairement une culpabilité à rechercher sans nécessairement s’attarder sur les preuves. Comme si cette tâche subalterne était laissée à une justice judiciaire de seconde zone qui pourtant est la seule à pouvoir relaxer ou envoyer en prison !

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Le combat des néo-féministes et autres militants de la moraline est en voie d’être gagné si un sursaut politique et juridique n’intervient pas très rapidement. Notamment, le problème de célérité de la justice française a cet effet pervers de rendre coupable par avance celui qui est accusé devant le tribunal populo médiatique. Si le tribunal judiciaire prononce une relaxe, la défiance de la justice traduira soit un laxisme, soit de la complaisance notamment envers ceux qui détiendraient aux yeux du public un semblant de « pouvoir », quand bien même ce pouvoir ne saurait être véritablement défini.

Mener le combat sémantique et attaquer ceux qui se risqueraient à pourfendre les principaux fondamentaux d’un État de droit serait donc un moyen utile de préserver ce précieux équilibre entre le droit des « plaignants » et la présomption d’innocence.

Le rôle des professionnels de la justice est de mener ce combat de la présomption d’innocence, et de lutter contre la confusion sémantique entre « victime » et « plaignant », afin de réaffirmer, comme dans l’affaire Depardieu, que les accusés peuvent faire l’objet d’une relaxe et être l’objet de plaintes abusives, infondées, ou mal fondées.



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