Accueil Édition Abonné « Entre Mélenchon et Le Pen, la seule certitude que j’ai, c’est que je ne pourrais pas voter pour Monsieur Mélenchon »

« Entre Mélenchon et Le Pen, la seule certitude que j’ai, c’est que je ne pourrais pas voter pour Monsieur Mélenchon »

Entretien avec l’essayiste Amine El Khatmi, ex-« Printemps républicain »


« Entre Mélenchon et Le Pen, la seule certitude que j’ai, c’est que je ne pourrais pas voter pour Monsieur Mélenchon »
Amine El Khatmi © HarperCollins France

Selon l’ancien président du Printemps Républicain (2017-2023), la théorie de la « tenaille identitaire » était vraie et pertinente au début des années 2000, mais ne l’est plus. Explications.


Causeur. Dans votre dernier livre, Cynisme, dérives et trahison, vous revenez sur votre désillusion aux législatives de juin 2022. Le candidat Macron avait sollicité le soutien du Printemps républicain lors de la campagne présidentielle, sans concrétiser ce rapprochement au moment des investitures. N’avez-vous pas été trop naïf ?

Amine El Khatmi. Ce qualificatif de « naïf », je l’emploie moi-même dans le livre. Nous nous sommes focalisés sur un certain nombre d’actes qui ont été accomplis par le président de la République. Je pense à la loi contre le séparatisme, qui, pardon, comportait quand même un certain nombre de dispositions que nous réclamions aux gouvernements successifs depuis des années et que nous n’avions pas obtenu. Y compris quand nos amis étaient au pouvoir, sous la présidence de François Hollande. Il y a eu aussi le discours des Mureaux le 2 octobre 2020. Puis, dernier exemple, la dissolution de l’Observatoire de la laïcité le 5 juin 2021 dirigé par le sinistre duo Nicolas Cadène / Jean-Louis Bianco. Cette dissolution, réclamée par les associations laïques, a toujours été refusée par le président Hollande, qui avait même choisi de reconfirmer le duo à la tête de cette institution. Venant plutôt de la gauche républicaine, laïque, pro-Charlie et compte tenu de la campagne désastreuse que menait la candidate socialiste Anne Hidalgo, choisir de soutenir Emmanuel Macron était alors un choix de raison. C’était aussi un choix politique, basé sur des faits objectifs. Mais ce choix s’est révélé stérile et trompeur.

Vous pensez que le Printemps Républicain a joué un rôle dans sa réélection ? Si vous aviez eu un candidat, vous auriez pu faire 3 ou 4%, dans le meilleur des cas.

Vous savez, 3 ou 4% dans une présidentielle, ce n’est pas négligeable. C’est ce que me dit à l’époque Raphaël Enthoven  : « Tu pars en campagne, tu fais 3/4% et tu négocies un ralliement ». La politique, c’est une question de rapport de forces. Donc avec un petit score comme celui que vous évoquez, oui, on peut se retrouver en situation de négocier des investitures, des circonscriptions, etc. Là où nous avons été naïfs, c’est que nous n’avons pas tenu compte des propos de l’entourage d’Emmanuel Macron. Quand Stéphane Séjourné dit : « Nous ne ferons de cadeau à personne », il signifie qu’il ne traitera pas bien ses alliés. Or, je pensais que nous n’avions pas besoin d’installer un rapport de forces de ce type dans la mesure où nous apportions une ligne politique lisible et claire concernant la laïcité et que celle-ci pouvait donner une identité au second mandat d’Emmanuel Macron, dont la campagne manquait de souffle. C’était une erreur. Mais je rappelle que le Printemps Républicain n’a pas été le seul cocu dans l’histoire. Jean-Pierre Chevènement, une des dernières grandes figures morales au sein de la gauche, a été traité avec un mépris et un manque total de considération puisque son mouvement n’a aujourd’hui aucun député, alors qu’il a également mis son poids dans la balance pour soutenir Emmanuel Macron. La réalité, c’est que le président de la République avait besoin de cocher certaines cases pour rallier certaines catégories d’électeurs. Parmi ces cases, celle de la « gauche républicaine » avait été identifiée. Une fois que cette case a été cochée, que les électeurs se sont laissés prendre au piège et que la présidentielle a été derrière lui, Emmanuel Macron n’a plus eu besoin de nous. Et il ne s’est plus encombré de précautions.

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Vous semblez vous éloigner de la théorie de la tenaille identitaire chère à Laurent Bouvet et à Gilles Clavreul. Vous estimez que la vraie menace est islamiste et que l’extrême droite folklorique de type « Rivarol » n’existe quasiment plus…

Je dis que cette dernière est résiduelle…

Gilles Clavreul en 2017 © Auteurs : EREZ LICHTFELD/SIPA Numéro de reportage : 00834841_000028

Est-ce que vous prenez vos distances avec Gilles Clavreul ?

Je ne prends pas mes distances avec Gilles Clavreul. C’est un ami, pour qui j’ai de l’estime et de l’affection. Il ne s’agit pas d’une querelle personnelle, nous ne sommes pas brouillés. Il s’agit d’une évolution politique. Je pense que la théorie de la tenaille identitaire était vraie et pertinente au début des années 2000. Elle ne l’est plus depuis les attentats qui ont frappé la France. Aujourd’hui, essayez d’expliquer à un Français de confession juive que la menace islamiste est équivalente à la menace de ce que l’on appelle l’extrême droite, il y a de fortes chances qu’il vous rie au nez. L’assassin des enfants de l’école Ozar Hatorah de Toulouse, ceux d’Ilan Halimi, celui de Sarah Halimi, celui de Mireille Knoll comme celui des quatre malheureux de l’hyper casher de la porte de Vincennes n’étaient pas des soutiens d’Henry de Lesquen ou des lecteurs de Rivarol (journal que je considère évidemment comme un torchon antisémite). Tous venaient d’un seul des côtés de la tenaille, c’est-à-dire étaient sous l’emprise de l’idéologie islamiste et de l’antisémitisme arabo-musulman des quartiers populaires. Je ne dis pas qu’il n’y a pas une extrême droite en France (j’ai cité Rivarol, Henry de Lesquen, je pourrais ajouter le GUD). Mais je dis aujourd’hui, sur tout un tas de sujet, à commencer par l’antisémitisme notamment, la vraie menace n’est pas là où on tente de le faire croire.

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Madame Le Pen et les siens se tiennent de façon quasi-exemplaire depuis le 7 octobre. Ils ont apporté leur soutien sans réserve à Israël, ils se sont tenus aux côtés des Français de confession juive en venant manifester contre l’antisémitisme. Pendant ce temps, les Insoumis mélenchonisés bavardaient, eux, sur le fait que les exactions terroristes du 7 octobre étaient des actes de guerre commis par un mouvement de résistance. Ils sont allés jusqu’à expliquer que les manifestants de la marche contre l’antisémitisme étaient d’extrême droite, ont essayé de faire venir à l’Assemblée nationale, la patronne du FPLP, Madame Abou Daqqa. Ils ont tenu des propos ambigus, expliquant que Madame Braun-Pivet « campait » au parlement à Tel-Aviv, ce qui a été compris comme une allusion peu subtile à son origine juive. La cheffe de file des Insoumis a dit également de Madame Borne, alors Première ministre, qu’elle était une « rescapée ». Un mot qui prend tout son sens quand on sait que le père de l’ancienne chef du gouvernement est effectivement un rescapé de la Shoah, qui ne s’en remit pas et mit fin à ses jours. Je pourrais continuer longtemps la longue liste des abjections qui ont toutes été commises par le même camp. Serge Klarsfeld, qui ne peut pas être taxé de la moindre accointance avec l’antisémitisme et qui a consacré sa vie à chasser des nazis, a dit lui-même qu’il considérait aujourd’hui Monsieur Mélenchon plus dangereux pour les Français de confession juive que Madame Le Pen. Je rejoins Serge Klarsfeld sur ce point.

Vous déclarez dans votre livre ne pas exclure de voter Rassemblement National à l’avenir. Est-ce que vous réservez votre coming out politique pour les Européennes ?

Non. Je ne serai pas candidat aux Européennes. Je ne serai pas sur la liste de Monsieur Bardella. Je n’ai pas l’intention de rejoindre un quelconque parti politique. Je dis simplement que, dans un scenario qui ne parait plus complètement improbable, nous conduisant à choisir entre Monsieur Mélenchon et Madame Le Pen, la seule certitude que j’ai aujourd’hui, c’est que je ne pourrais pas voter pour Monsieur Mélenchon. Ce scénario, contrairement à ce qui a été souvent écrit, n’est pas impossible. Il est testé par des sondeurs qui n’ont pas pour habitude de perdre du temps sur des hypothèses loufoques. Je dis juste que je ne pourrai voter pour le leader LFI, même s’il est en face de la candidate du RN. Rien de plus. Dans ce contexte, il me resterait donc trois choix : le vote blanc, l’abstention et le vote Le Pen. Je ne suis pas encore tout à fait sûr de ce que je choisirais si la circonstance devait se présenter. Ma seule certitude, au vu de l’attitude de Jean-Luc Mélenchon et de son parti, c’est que je ne pourrais jamais voter pour cet homme.

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Vous avez connu Gabriel Attal chez les Jeunes socialistes. On dirait qu’il ne vous a pas fait une très grande impression. Il a quand même réussi à susciter un peu d’enthousiasme, même chez Alain Finkielkraut, dans le dernier numéro de Causeur, c’est quand même un exploit.

Oui, j’ai lu ça avec intérêt.

Est-ce qu’il n’a pas ringardisé Emmanuel Macron, est-ce qu’il n’a pas mieux compris que le président les aspirations des Français sur les questions d’ordre, de laïcité ?

Je lui reconnais un talent incontestable de communicant, il a sans doute un flair tout aussi remarquable, mais qui sont mis au service d’une absence à peu près totale de convictions. Je lui sais gré de prendre les positions qu’il prend mais je vais me permettre un peu de prudence, attendre le long terme et juger sur la durée avant d’avoir un avis définitif. Je suis néanmoins un peu perplexe parce que j’ai le sentiment que sa conversion à l’autorité date de sa nomination au ministère de l’Education nationale. On n’est pas en train de parler de positions très anciennes. Il s’est certes révélé sur ces sujets avec l’interdiction du qamis et de l’abaya à l’école, mais j’ai le sentiment que cette conversion tardive s’explique davantage par le souhait de prendre le contre-pied de son calamiteux prédécesseur, Pap Ndiaye, que par la force d’une conviction. Je ne veux cependant pas lui faire de procès d’intention. Je lui accorde le bénéfice du doute et j’attendrai comme tout le monde les résultats.

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Professeur démissionnaire de l'Education nationale

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