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« C’est difficile de choisir la vie »

Mali Zander a perdu sa fille en Israël le 7 octobre 2023


« C’est difficile de choisir la vie »
Mali Zander. DR.

Noa avait 23 ans. Elle a été assassinée au festival Nova le 7 octobre 2023. Mali Zander, mère en deuil et infirmière-chef à l’hôpital Tel HaShomer de Tel-Aviv, continue de venir en aide aux soldats blessés et aux ex-otages. Cette fraternité et cette résistance sont l’autre face de cette tragédie. Reportage.


Le salon familial est devenu un mémorial. Noa Zander, assassinée à 23 ans, est partout. En magnet sur le réfrigérateur. Sur les briquets et casquettes que nous offre sa mère Mali, belle femme d’une cinquantaine d’années, infirmière-chef du service de médecine générale l’hôpital Tel Hashomer, centre hospitalier géant à l’est de Tel Aviv. Sur ce tableau emblématique du kitsch judéo-israélien posé sur un chevalet. En photo, comme sur ce magnifique cliché en noir et blanc pris dans le bar où elle travaillait pour financer un séjour à New York. Elle y avait organisé une fronde pour obliger les patrons à conserver des employés arabes. Mais elle y était très appréciée. Belle fille, bonne copine, bénévole auprès d’enfants handicapés, la quatrième et petite dernière de la famille Zander semble avoir été toute sa courte existence la plus populaire de la classe. « Elle faisait entrer la lumière dans la maison », murmure Mali en montrant un autre cliché, le dernier pris avec Noa. C’était le 5 octobre, elle avait volé deux heures pour déjeuner avec ses parents. Après-coup, tous les détails parlent. « Au retour, Noa m’a montré le fonctionnement de la radio connectée et on a écouté ensemble une chanson qui parle de séparation. »

Ces objets inanimés, comme la planche de surf sur laquelle le moniteur de Noa a peint des motifs bariolés évoquant la jeune femme, font flotter le parfum de la vie d’avant dans le pavillon de Rishon le Tsion, typique de cette classe moyenne israélienne qui s’est embourgeoisée en travaillant dur. Ils racontent une famille joyeuse, aimante, tolérante, accueillante, où les parents sont heureux de voir leurs enfants s’envoler. On s’attend à voir la porte s’ouvrir et Noa entrer, pleine d’histoires et de projets. Très vite tout le monde pleure, y compris mes deux amies, Ayyam Sureau, qui m’accompagne dans ce court périple israélien, et Corinne, la sœur de notre photographe Hannah, qui vit à Jérusalem et doit traduire, car Mali ne parle pas anglais, ou pas assez bien pour oser. Deux heures plus tard, après un marathon émotionnel et force cafés-gâteaux, Corinne et Mali découvrent, en mentionnant leurs origines marocaines qu’elles sont proches parentes et s’entre-tombent dans les bras en riant aux éclats. Le monde est petit, dit-on en pareil cas. Mais Israël, c’est petit pour de vrai. Dans le deuil, on n’est jamais seul.

Mali raconte encore et encore cette journée où son monde s’est écroulé. Le dîner de Simhat Torah en famille, le départ tardif de Noa avec Daniel, le garçon dont elle est amoureuse depuis quelques mois. C’est seulement en arrivant sur le site de Nova, à 5 heures du matin, qu’ils réalisent qu’ils sont à quelques kilomètres de Gaza. Mali connaît le déroulé minute par minute. A 6h29, ils quittent la fête. Et puis, il y a cet instant fatal où se joue le destin de Noa. Alors qu’ils roulent vers le nord et la sécurité, une voiture de police leur ordonne de faire demi-tour. Retour à Nova. À 7h01, Mali parle à sa fille qui lui envoie une photo de Daniel et elle, réfugiés dans un abri avec plusieurs dizaines de festivaliers. « Il me protège. », écrit-elle. C’est pour la protéger que Daniel sort inspecter les alentours. Mais les tirs reprennent et il doit se cacher. Deux heures plus tard, Noa est fauchée en sortant à son tour.

Sur les boucles whattsapp de tout le pays, les images et les nouvelles atroces se succèdent fiévreusement. À 9 heures, Mali enfile son uniforme. On a besoin d’elle à l’hôpital. « J’ai pensé que si je faisais du bien, Dieu m’en ferait à moi aussi. » À Tel Hashomer, c’est le balagan (chaos), personne n’a d’information, les familles piétinent dans l’angoisse. Le ballet des hélicoptères convoyant des blessés est incessant.  À 11 H18, une amie de de sa fille l’appelle : Noa est morte, c’est Daniel qui l’a prévenue. Mali continuera à espérer jusqu’à ce coup du fil d’un ministère, le vendredi suivant : « Où voulez-vous enterrer votre fille ? » Ses collègues arabes (très nombreux dans le milieu hospitalier) lui demandent s’ils peuvent venir présenter leurs condoléances. Elle accepte, même si, au début, elle a du mal à les regarder dans les yeux.

Mali Zander n’est pas seulement une mère endeuillée victime de la haine barbare du Hamas. Cette héroïne de tragédie incarne l’autre face du 7-Octobre – la fraternité la résistance, la volonté de ne pas plier.  « Chaque matin, c’est difficile de choisir la vie », dit-elle. C’est pourtant c’est ce qu’elle fait chaque jour depuis deux ans en aidant les survivants et les blessés. Elle est heureuse de voir des familles réunies et des mères soulagées, même si cela lui rappelle son infortune. Elle se souvient de ce soldat blessé qui ne voulait pas qu’elle lui enlève ses chaussures parce que ça sentait trop mauvais. Elle lui a donné son téléphone – « Appelle ton père ». Et elle l’a entendu dire « Je suis vivant ». Ces mots qu’elle n’a pas eu la joie d’entendre.

À partir de novembre 2023, elle forme les équipes chargées de traiter les otages qui rentrent au compte-goutte. Après avoir accueilli les premiers captifs pris à Nova, en sortant de l’hôpital à 4 heures du matin, assise dans sa voiture, elle hurle de douleur. « Pourquoi n’ai-je pas eu droit à ça moi aussi ? ». Ces revenants de l’enfer veulent connaître son histoire. Ils la prennent dans les bras pour la consoler comme elle les console. Ils se comprennent. Elle n’a pas le droit de divulguer ce qu’elle a entendu. « Nous soignons les corps, mais les âmes sont brûlées pour toujours ». Quand on pense au calvaire de ceux qui, depuis deux ans, croupissent dans les tunnels de Gaza, on se dit que Noa a peut-être eu de la chance.

La vie a la vie dure. Une petite-fille est née chez Hen, la soeur de Noa, journaliste pour la chaine 13. Quand elle ne travaille pas, Mali s’emploie à faire vivre la mémoire de sa fille en donnant des conférences. Toute la famille se rend sur le site de Nova où a été édifié un mémorial bouleversant. Mais Mali ne veut pas parler politique. Pas plus qu’elle ne parle des assassins, totalement absents de son récit. Son mari, lui, milite pour la tenue d’une commission d’enquête qui lui dira qui est responsable de la mort de sa fille.

Octobre 2025 – #138

Article extrait du Magazine Causeur




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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