David Thomas, connu pour ses nouvelles, fait une première incursion dans le domaine de l’autofiction et signe un livre admirable sur la maladie mentale.

En France, six cent mille personnes sont diagnostiquées schizophrènes. Mais que sait-on d’elles ? La maladie mentale reste taboue y compris au sein des familles. Le journaliste Nicolas Demorand a été l’un des premiers à briser le silence. Dans son livre Intérieur nuit, il racontait sans fard sa bipolarité. Un récit dont le succès témoigne bien du vide entourant ces questions. « En matière de psychiatrie, écrit David Thomas, qui ne voit pas, ne sait pas ». L’écrivain, prix Goncourt de la nouvelle en 2023, va donc donner à voir dans un livre poignant intitulé Un frère.
On ne choisit pas ses sujets
Ce frère c’est Edouard, un jeune homme brillant, charmeur, audacieux qui, aux abords de la vingtaine va être diagnostiqué schizophrène. Longtemps David Thomas s’est interdit d’écrire sur ce que son aîné traversait. Puis ce dernier a été retrouvé mort à son domicile. Non de sa maladie mais d’un double AVC, ischémique et hémorragique. Alors le besoin d’écrire s’est imposé. L’écrivain sait pourtant que le livre sera pénible, douloureux. Il sait que pour la première fois il sera obligé d’avancer à visage découvert. Mais voilà. On ne choisit pas ses sujets. On est choisi par eux. Alors courageusement David Thomas s’attèle à la tâche. Il lui faudra passer outre le sentiment de culpabilité à l’idée d’utiliser la maladie de son frère à des fins littéraires. Passer outre la peur d’écrire « un livre de plus ». Passer outre la peur de ne pas y arriver. Le livre s’ouvre sur une scène déchirante. À l’occasion d’un mariage des convives virevoltent une coupe de champagne à la main. Un homme seul « semblait enfermé en lui-même et répondre à une voix intérieure (…) Son masque était celui de quelqu’un qui a compris que plus rien ne changera, que c’est perdu, que c’est fini (…) Les convives le contournaient, l’évitaient ». Pendant presque quarante ans, Edouard va se battre contre la maladie. Et David Thomas va l’accompagner dans son combat. Son livre raconte les hospitalisations forcées, la culpabilité des proches, les cris, la violence, les mains qui tremblent, le regard hébété, la crasse.
Un calvaire
« Quand on a vu ça, on sait que rien n’est plus dégueulasse que la maladie mentale » confesse l’écrivain. Il ne cache pas être passé par tous les stades, de l’insouciance à la cassure inévitable pour sauver sa peau, en passant par l’aveuglement, le déni, l’illusion, l’évitement, la distance mais aussi « l’abattement, la tristesse, la colère, la thérapie, l’alcool, l’isolement le mensonge, la peur ». Il ne cache pas non plus le calvaire de sa famille. La permanence de ce qu’il appelle pudiquement « une sorte de brouillard perpétuel » qui recouvrait toute possibilité de joie. Edouard sera hospitalisé plusieurs fois à Sainte Anne puis à la clinique de Meudon. Il lui arrivera parfois de renouer avec le travail redonnant chaque fois espoir à ses proches avant de sombrer à nouveau.
Un frère est un livre sombre, terrible. Comment aurait-il pu en être autrement ? C’est aussi un livre solaire, poétique, qui retrace les jours heureux d’avant la maladie. C’est surtout une déclaration d’amour bouleversante à un frère disparu.
Un frère de David Thomas, Editions de l’Olivier. 144 pages
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