Accueil Culture «La Walkyrie» à l’Opéra de Paris: Wagner trahi!

«La Walkyrie» à l’Opéra de Paris: Wagner trahi!

« La Walkyrie » de Richard Wagner à l’Opéra de Paris-Bastille. Jusqu’au 30 novembre 2025


«La Walkyrie» à l’Opéra de Paris: Wagner trahi!
"La Walkyrie" à l'Opéra Bastille 2025 © Herwig Prammer / Opéra national de Paris

Une distribution exceptionnelle, une réalisation scénique navrante d’insignifiance : à l’Opéra de Paris la médiocrité de la mise en scène de La Walkyrie profane l’éblouissante prestation vocale des interprètes.


Mais de quelle rage souffrent donc les metteurs en scène engagés par l’Opéra de Paris pour s’emparer des ouvrages wagnériens afin de les saccager sans scrupules, de dénaturer l’essence même des livrets et des partitions, de ridiculiser ou de trahir leurs personnages, de gommer systématiquement, ici le merveilleux chrétien, là le souffle des mythes germaniques, de conduire enfin le spectateur à devoir fermer les yeux pour ne pas avoir à subir tant d’imbécillités et d’incohérences accumulées ?  

Qui sont-ils ces tâcherons galonnés se faisant les dents sur un Wagner qu’ils paraissent haïr en demeurant imperméables à sa musique, qui doivent se penser audacieux et iconoclastes quand ils ne sont que pitoyables et ridicules ? Qui n’ont le plus souvent ni le talent, ni l’envergure intellectuelle pour incarner les révolutionnaires qu’ils aimeraient tant être ?

Les faux prophètes

Saison après saison, l’Opéra de Paris semble s’être fait une spécialité de ces faux prophètes qui semblent n’avoir pris connaissance des ouvrages dont ils ont la charge qu’au moment de la commande. Parsifal, Lohengrin, une précédente et calamiteuse production de la Tétralogie, et tout récemment encore L’Or du Rhin en ont été les victimes expiatoires. Sous couvert de visions apocalyptiques ou de lectures politiques qui sont depuis longtemps la tarte à la crème des ennemis jurés du wagnérisme, on accumule les clichés en vogue dans leur monde semi cultivé. On avance, pour justifier les réalisations les plus horripilantes, des arguments de notaires voltairiens ou d’histrions marxistes afin de ne servir jamais que les propres obsessions des metteurs en scène, et cela à grand renfort de professions de foi messianiques.   

Ce qui est sûr, c’est que la plupart d’entre eux paraissent ne rien comprendre à l’univers wagnérien et trahissent allégrement la musique. Il ne faut effectivement pas se bercer d’illusions sur leur savoir artistique et musical. Bien souvent, ils n’ont construit leur identité que par l’outrance ou la dérision. Et leur analyse sur des idées fumeuses, mais qui ont l’heur d’être dans l’esprit du temps.

Ils semblent n’apprendre à connaître les ouvrages qu’ils vont devoir mettre en scène qu’au moment où on a la faiblesse de leur en passer commande. Et faute de s’être pénétrés durant des années d’une musique qui n’aura jamais mûri en eux, ils n’en offrent le plus souvent qu’une écoute immédiate, superficielle et convenue. Ils ne sont en réalité que les thuriféraires d’un nouvel académisme où le concept foireux ne fait rien d’autre que de remplacer les peaux de bête des héros barbus d’autrefois et les casques ailés de plantureuses walkyries.

Bancale, incohérente, anecdotique

Avoir commandé la réalisation scénique de l’ensemble du Ring à l’Espagnol Calixto Bieito qui avait à peu près réussi une mise en scène de Carmen en 2017, c’est un peu comme si l’on avait donné la direction d’un restaurant étoilé à une ménagère sévillane sachant réussir un gazpacho andaluz.

A lire aussi: Tant qu’il y aura des films

Sa mise en scène de La Walkyrie ne mérite pas qu’on s’y attarde longtemps. Elle est trop bancale, trop incohérente, trop anecdotique. Ennuyeuse et sotte en deux mots, mais de cette sottise savantasse qu’on porte haut et fier en se donnant le sentiment d’enrichir l’univers wagnérien de conceptions radicalement nouvelles. Déjà la mise en scène de L’Or du Rhin, et en plus lourdingue encore, portait toutes les incongruités dont on est accablé dans La Walkyrie. Ce décor énorme et sans grandeur, ces masques à gaz, ces bonbonnes d’oxygène et ces tuyaux hideux qui prétendent dénoncer une apocalypse à venir ou déjà survenue : ce n’est même plus révoltant, car on peut avoir vu pire encore, mais cela végète à un niveau dérisoire de déjà vu cent fois. 

Entre martien égaré et grenouille verte

A la tête de l’Orchestre de l’Opéra, magnifique d’homogénéité, Pablo Heras-Casado est parfaitement éloquent dans les registres du lyrisme ou de la tendresse. Curieusement, toutefois, au cours des pages les plus épiques de La Walkyrie, la noire tempête du prologue, l’angoissante approche de Hunding au deuxième acte ou la folle chevauchée des filles de Wotan, il manque singulièrement de souffle et de puissance. Curieusement, parce qu’on ne peut imaginer qu’une telle puissance dramatique ne puisse fouetter davantage le sang d’un chef d’orchestre talentueux.

Les artistes lyriques ont-ils conscience de ce que l’on leur fait faire en tant qu’acteurs ? S’il est difficile de les imaginer se sortant indemnes d’une production qui accumule les clichés, les contorsions inutiles, cette vaine et perpétuelle agitation derrière laquelle un metteur en scène croit pouvoir masquer son impuissance, il est plus douloureux encore de voir les rôles féminins, les trois principaux surtout, desservis par des costumes pensés et voulus laids, alors que celles qui en  sont affublées déploient des voix magnifiques : Sieglinde en gros godillots et robe informe de ménagère allemande pauvre, Brünnhilde sous une énorme crinoline couleur saphir, puis dans des collants qui n’occultent rien de ses proportions hors-normes, Fricka en Belphégor de feuilleton et en tunique bleu électrique, alors que les huit walkyries, avec leurs tenues et leurs masques à loupiottes couleur d’absinthe, tiennent à la fois du martien égaré et de la grenouille verte.

Photo: Herwig Prammer / OnP

Des voix somptueuses

Il n’était pas nécessaire d’imposer à la Brünnhilde de Tamara Wilson cet air de bonne grosse fille un peu simple qui la fait ressembler à Bécassine débarquant chez Madame de Grand-Air, alors que le livret la chante en héroïne sublime. Ni de lui imposer une sourde confrontation avec Siegmund évoquant une lutte entre sumos. Ni de camper la Sieglinde d’Elza van den Heever tenant en joue un Siegmund tout pantelant avec une méfiance haineuse de fermière texane suprémaciste face au métèque de passage. Ce sont des gadgets imbéciles qui ne font que confirmer le manque d’ampleur des concepteurs de la mise-en-scène. Cependant, l’interprète de Hunding, Günther Groissböck, se révèle être un remarquable acteur, sans qu’on sache s’il doit cela à son seul talent ou à une subite lueur apparue dans le cerveau du démiurge. Son personnage fascisant est terriblement inquiétant tout autant que misérable. Et l’une des rares facettes intéressantes de la mise en scène est la façon appuyée dont on dénonce la violence faite aux femmes : violence physique de Hunding s’exerçant sur Sieglinde, mais aussi violence arbitraire du maître suprême, Wotan, sur sa fille préférée. Il est vrai que c’est dans l’air du temps et que ce n’est peut-être là que pour se montrer politiquement correct. Toutefois cette violence confère à la mise en scène quelque chose de sombre et de désespérant qui confère plus de poids encore à la détresse de Sieglinde avant qu’elle ne rencontre Siegmund, son frère et amant, puis à celle de Brünnhilde que son père veut punir en livrant son corps de vierge combattante au premier venu.

Uniformément magnifiques de bout en bout de l’ouvrage, Elza van den Heever et Tamara Wilson parviennent au sublime. L’une au moment où Sieglinde se sépare de cette sœur inconnue qui l’a sauvée, l’autre quand Brünnhilde, d’un dernier cri déchirant, parvient à infléchir Wotan. Ce dernier, interprété superbement ce soir de première par Christopher Maltman, est aussi victime d’une direction d’acteur qui ne grandit pas le personnage. Il sera malheureusement remplacé lors des autres représentations par le titulaire du rôle, Iain Paterson, qui n’a guère brillé dans L’Or du Rhin.

Face à Sieglinde, à Hunding, à Brünnhilde, le Siegmund de Stanislas de Barbeyrac est d’une vaillance sans faille. Même s’il mériterait que s’affine encore son jeu théâtral, sa voix admirable, puissante et douce, module aussi bien la détresse absolue que la félicité fugace, le courage autant que la tendresse. Il rejoint l’héroïque cohorte des grands interprètes du plus beau et du plus attachant des personnages du Ring.

La Walkyrie. Opéra de Paris-Bastille. Jusqu’au 30 novembre 2025




Article précédent Vive le gras!
Article suivant 🎙️ Podcast: Libération de Boualem Sansal; commémoration de l’attentat du Bataclan

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération