Suspendre la réforme des retraites ne représenterait « que » trois milliards d’euros de coût, selon le Premier ministre Sébastien Lecornu, qui juge qu’un nouveau changement de gouvernement, une dissolution ou un rejet du budget seraient encore plus préjudiciables à l’économie nationale.
Afin d’éviter la censure et de se maintenir au pouvoir, avec la bénédiction du président Macron et de Mme Borne, Sébastien Lecornu a décidé de geler la réforme des retraites.
Pourtant, en matière de retraites, il va bien falloir que nos braves concitoyens se mettent dans la tête que TOUS les principaux pays européens ont reporté l’âge légal de départ à la retraite. Ce dernier dans l’UE varie d’un État membre à l’autre. Il va de 60 ans pour les femmes en Pologne à 67 ans dans plusieurs pays comme l’Allemagne, le Danemark, l’Italie ou les Pays-Bas. Détaillons un peu[1], pour être parfaitement clair : Allemagne (66 ans et 2 mois), Belgique (65 ans), Danemark (67 ans), Espagne (65 voire 66 ans), Italie (67 ans), Portugal (66 ans et 7 mois).
Comparaison n’est pas raison, mais
Bien entendu, derrière ces chiffres, il y a des réalités disparates et les comparaisons doivent être relativisées. En effet « les âges légaux de chaque pays ne sont pas complètement comparables, ou du moins ne suffisent pas à comparer des systèmes de retraite. En effet, de fortes variations existent d’un pays à l’autre, en termes de conditions d’éligibilité, de durées de cotisation et d’affiliation, de salaires pris en compte pour le calcul, ou de dispositifs permettant un départ avant l’âge légal (retraite anticipée), etc. », indique pertinemment le Cleiss (Centre des Liaisons Européennes et Internationales de Sécurité Sociale).
A lire aussi: Shein au BHV, taxe sur les petits colis: les vieilles peurs du commerce français
Il n’empêche qu’en France, vu l’état de nos finances (générales et sociales) qui décline de plus en plus, il va falloir faire un effort colossal. Et cela passe aussi par l’allongement de l’âge légal de la retraite. C’est incontournable. C’est vital. La réforme Borne allait dans le bon sens même si elle ne résolvait pas tout, loin de là. Rappelons que le dernier rapport du Conseil d’Orientation des Retraites a chiffré que, même avec cette réforme adoptée en 2023, notre système de retraite file vers 15 Mds € (en € 2024) de déficit en 2035 et 30 Mds € en 2045. Cela représente près de 75 Mds € de déficit cumulé d’ici 2030 – même avec la réforme, donc[2]. Quant aux pistes pour financer les renoncements attendus, elles sont irréalistes, sauf à pénaliser durablement le pouvoir d’achat et la compétitivité. C’est donc un gel prolongé des retraites qui est aussi envisagé dans le projet de budget pour la Sécurité sociale.
L’annonce de M. Lecornu est uniquement motivée par sa volonté de s’attacher l’onction des socialistes et celle de certains LR effrayés par leur électorat en cas de dissolution. Ceci afin de s’assurer un budget qui sera d’ailleurs rempli de chausse-trapes pour compenser le gel de la réforme. Budget pour la confection duquel il n’a pas fait le plus dur….
Un coût énorme
En tout état de cause, même si le prix Nobel d’économie, M. Philippe Aghion (ancien conseiller d’Emmanuel Macron et principal inspirateur de la réforme Borne), affirme le contraire, ce renoncement — cet enterrement même — aura un coût énorme. Mettre sur pause la réforme des retraites ne coûterait « que » trois milliards d’euros selon M. Lecornu. Ce qui a été avancé exactement par le Premier ministre, c’est que cette mesure devrait bénéficier « à terme à 3,5 millions de Français » mais représente un coût important avec « 400 millions d’euros en 2026 et de 1,8 milliard d’euros en 2027 ».
Ce chiffre relève de l’insincérité pure et simple (c’est une faute en matière budgétaire) car il s’agirait du coût pour 2027, pour l’ensemble des régimes.
La proposition retenue est de mettre sur pause l’âge d’ouverture des droits, qui serait stoppé à 62 ans et 9 mois, et la durée de cotisation à 170 trimestres.
Ce tableau présente les deux principaux paramètres de l’âge avec la réforme de 2023
| Naissance | Âge légal | Trimestres exigés |
| 1955, 1956, 1957 | 62 ans | 166 |
| 1958, 1959, 1960 | 62 ans | 167 |
| 1/1 au 31/8 1961 | 62 ans | 168 |
| 1/9/1961 au 31/12/61 | 62 ans et 3 mois | 169 |
| 1962 | 62 et 6 mois | 169 |
| 1963 | 62 et 9 mois | 170 |
| 1964 | 62 et 9 mois | 170 |
| 1965 | 63 ans | 171 |
| 1966 | 63 et 3 mois | 172 |
| 1967 | 63 et 6 mois | 172 |
| 1968 | 63 et 9 mois | 172 |
| 1969 et après | 64 ans | 172 |
Les changements dus à la suspension sont mis en rouge et gras. Le 23 octobre, le gouvernement adopte la lettre rectificative au PLFSS 2026. Il crée un article modifiant le code de la Sécurité sociale, et suspend ainsi la réforme des retraites de 2023 jusqu’à l’élection présidentielle :
- l’âge légal de la retraite est reporté d’un trimestre de la génération 1964 jusque celle de 1968 ;
- la durée d’assurance requise pour bénéficier du taux plein est réduite d’un trimestre, soit :
– 170 trimestres au lieu de 171 si né en 1964
– 171 trimestres au lieu de 172 si né en 1965.
La loi devra être changée avant fin 2027 si l’on souhaite bien maintenir l’âge à 62 ans et 9 mois en 2028.
Source: CFDT.
Dans un rapport de 2025, la Cour des Comptes a estimé qu’un arrêt de la progression de l’âge d’ouverture à 63 ans aurait un coût complet de 13 milliards pour 2035 (Situation financière et perspectives du système de retraites, Communication au Premier ministre, Février 2025 ; Cour des comptes).
Cette évaluation souligne le poids des paramètres de l’âge sur l’évolution de la population active et donc sur le potentiel de croissance du pays. Ainsi, le coût pour l’ensemble des finances publiques est presque le double du coût pour le seul système de retraites. L’autre volet, c’est la durée de cotisation. Ainsi, contrairement aux principaux pays de l’UE, stopper l’allongement de la durée de cotisation reviendra à geler à 170 trimestres la durée de cotisation requise. On peut estimer que cela représente environ la moitié des effets calculés par la Cour qui prend une hypothèse plus forte (retour aux 168 trimestres), soit 2 Mds € pour le système de retraites et 3,5 milliards pour l’ensemble des finances publiques d’ici 2035. Au total, c’est donc 5,8 Mds € d’économies pour le système de retraites, et à 16,5 Mds € pour l’ensemble des finances publiques 2035 auxquels on s’apprête à renoncer (IFRAP ibid[3]). On est loin des « que 3 milliards » de M. Lecornu.
A lire aussi: Internet, nouveau bouc émissaire d’Emmanuel Macron
Et puis ce renoncement (plus que gel !) va nécessiter de compenser le rendement de la réforme des retraites. Il faudra alors majorer au minimum de 2 points les cotisations vieillesse déplafonnées, soit, pour un salaire brut moyen français, un surcoût de 400€ par an (probablement plus, en € courants). Cet effort pèsera soit sur le pouvoir d’achat (cotisations salariales), soit sur la compétitivité des entreprises (cotisations employeurs). Deux secteurs que le déficit abyssal nécessite au contraire de dynamiser. Un tel retour en arrière (suggéré quand même par Mme Borne !) est incompatible avec des mesures de relance par la consommation et de soutien à la réindustrialisation (rappelons que les salaires dans l’industrie étant plus élevés que dans l’économie en général, les emplois industriels sont moins bénéficiaires des exonérations de charges).
Il existe à vrai dire une alternative que les défenseurs du retour en arrière envisagent sans toutefois oser le dire. C’est le gel sur les retraites. Rien que pour financer le retour en arrière réclamé par une partie de la représentation nationale, c’est environ 4 ans de désindexation totale (jusqu’en 2029) de l’ensemble des retraites qu’il faudrait adopter.
Et n’oublions pas que, pendant ce temps, on ne parle pas non plus des comptes de la branche maladie : déficit anticipé par la Commission des comptes de la Sécurité sociale à 16 Mds € pour 2025 (perspectives plus sombres attendues dans le rapport d’octobre vu la mise à l’arrêt de l’économie).
Et puis rappelons aussi que l’ex-rapporteur du budget, Charles de Courson, a chiffré à 15 milliards le « déficit » des pensions publiques d’Etat.
Dès lors, comme beaucoup d’économistes (raisonnables) le redoutaient, ce gel de la réforme Borne va faire exploser la charge de la dette et augmenter le déficit. A des fins uniquement politiques, Sébastien Lecornu a, ni plus ni moins, passé un deal politique avec la gauche et passé par pertes et profits la seule réforme structurelle du mandat Macron. Sous prétexte qu’il valait mieux un budget pour retrouver de la stabilité et adopter un mauvais budget pour gagner du temps… C’est un choix purement et simplement catastrophique qu’au surplus les agences de notation vont prendre en compte (elles qui saluaient la réforme). Résultat ? Nos notes vont être abaissées. Et plus ça va, et plus le FMI est en approche…
Dernier mot. Renvoyer à l’élection de 2027 pour réformer les retraites est d’une lâcheté gravissime. Au moment où l’on écrit ces lignes, le compteur de la dette publique française est à 3433 milliards d’euros. Et il va encore défiler, d’ici 2027…
« Qui pense au pire devine juste. » (Proverbe grec).
[1] https://www.touteleurope.eu/economie-et-social/l-age-legal-de-depart-a-la-retraite-dans-l-union-europeenne
[2] https://www.ifrap.org/retraite/retraites-la-suspension-va-couter-des-milliards
[3] https://www.ifrap.org/retraite/retraites-la-suspension-va-couter-des-milliards




