Accueil Culture Road movie dans l’Iran des mollahs

Road movie dans l’Iran des mollahs

« Un simple accident », un film de Jafar Panahi, Palme d’Or à Cannes, en salles cette semaine


Road movie dans l’Iran des mollahs
"Un simple accident" de Jafar Panahi (2025) © Les Films Pelleas

Au volant, un homme d’âge moyen, sobrement barbu. À la place du mort, l’épouse, voilée de noir, en hidjab. Elle est enceinte. À l’arrière, une petite fille – tout sourire, joueuse. C’est la nuit. Les routes de campagne, en Iran, sont cahoteuses et rarement éclairées. Soudain, un grand bruit : un animal s’est fracassé sur la calandre. Un chien ? On ne le verra pas à l’écran. « Donne-moi un mouchoir », ordonne le mari à sa femme, et il s’essuie sa main tachée de sang avant de redémarrer. Un peu plus loin, la voiture tombe en panne.  Ayant atteint la ville – Téhéran ou une autre – ils tombent sur un bon bougre grassouillet de garagiste. Sauvés.

Précision horlogère

Voilà pour l’amorce d’Un simple accident. À partir de là, l’histoire bifurque, sans musique ni temps mort, articulant ses incroyables péripéties avec une précision horlogère, sur le temps resserré d’une nuit et d’un jour, fortifié, cinématographiquement parlant, d’un sens de l’ellipse, du hors champ, du cadrage millimétré, du dialogue percussif qui sont la signature si particulière au Septième art iranien contemporain, d’Abbas Kiarostami à Mohammad Rasoulof (cf. Les Graines du figuier sauvage, 2024), désormais en exil, en passant par Asghar Farhadi  (cf. Un héros, 2021) ou Ali Ahmadzareh (cf. Critical Zone, 2023)… Un cinéma de résistance contre la théocratie islamiste qui tyrannise l’ancienne Perse depuis près d’un demi-siècle – mais le régime, inch Allah, sous les coups de boutoir d’une révolte surtout portée, à bon escient, par les femmes, semble bel et bien au bord du précipice, son rejet s’étant pratiquement généralisé dans la population.  

Arrêté une première fois en 2010, à nouveau emprisonné de juillet 2022 à février 2023, libéré après une grève de la faim, Jafar Panahi quant à lui fait de son combat (et des conditions d’existence terrifiantes qui lui sont liées) la matière même de ses films, depuis le génial Taxi Téhéran (2015) jusqu’à Trois visages (2017) ou encore Aucun ours (2022)… Dans cette veine, Un simple accident résulte de sa propre expérience d’embastillement. Scénarisé avec Nadir Saïvan et Shadamehr Rastin, tourné sans autorisation aux abords de la capitale iranienne, ila pu bénéficier d’une post-production en France.  

Vengeance

Du pitch de cette Palme d’or 2025 si hautement méritée, on serait tenté de ne rien révéler. Mais, outre que le film est sorti en salles ce mercredi, la bande-annonce vous en dit déjà trop.  L’apparent bon bougre suant et grassouillet, moins vraiment barbu que mal rasé, malade d’un rein depuis son séjour dans les geôles du régime, croit avoir reconnu son ancien tortionnaire dans le chauffeur accidenté – sans certitude. Il l’assomme en pleine rue, parvient à le séquestrer dans une fourgonnette, bâillonné et entravé, puis obtient, non sans peine, le concours d’autres de ses victimes présumées (une photographe de mariage, un jeune type enragé à l’idée d’occire son tourmenteur…) pour exécuter la vengeance qu’il estime juste, tout en écartant le risque de se tromper de personne – car sous la torture on vous bandait les yeux :  ne restent en mémoire, pour l’identifier, que la voix, l’odeur, le toucher du bourreau éclopé.  

Les dissensions apparaissent entre les ravisseurs quant à la conduite à tenir, d’autant que s’accumulent les contrariétés les plus inattendues. Elles infléchissent le cours des événements, occasionnant au passage quelques séquences chargées d’humour, tandis que le dialogue entre les protagonistes nous révèle le détail des atrocités subies… Inavouables, inavouées par le probable sbire de la police… jusqu’à l’extrême tension du dénouement. Ultime subtilité scénaristique, il laisse la porte ouverte à l’éventuel.

Un simple accident. Film de Jafar Panahi. Iran/ France/ Luxembourg, 2025, couleur. Durée : 1h42. En salles depuis le 1er octobre




Article précédent Maroc: l’équation impossible de la Génération Z
Article suivant Lecornu: gouverner, c’est tergiverser

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération