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Dupond-Moretti et le journalisme

Le billet de Dominique Labarrière


Dupond-Moretti et le journalisme
© Tom Nicholson/Shutterstock/SIPA

À l’université d’été du Medef, l’ancien ministre de la Justice d’Emmanuel Macron a une nouvelle fois sous-entendu que le problème en France, c’était CNews. « Monsieur Praud et ses amis finissent par créer dans les esprits quelque chose qui est assez délétère et qui ne nous donne pas envie d’être optimiste. Le débat public est tronqué » a-t-il notamment savamment expliqué.


La scène où il s’exprime n’est pas celle du théâtre Marigny, mais le court central de Roland Garros. Cela dit, le registre de l’acteur reste identique à ce qu’il est toujours : grosse voix et indignation surjouée. Cela se passe lors d’un de ces colloques qui ne servent à rien, l’essentiel étant, selon la belle maxime de Pierre de Coubertin, d’y participer. Ou plutôt de s’y montrer. Donc M. Dupond-Moretti est venu faire là ce que – médiatiquement – on attend de lui, du Dupond-Moretti.

On guettait l’emphase, l’envolée lyrique, elle eut lieu, rehaussée d’un parallèle audacieux entre l’avocature (sic) et le journalisme. Une diatribe conclue par cette formule qui se veut être une condamnation sans appel de notre profession : « N’importe qui peut être journaliste ». Alors que, à l’opposé, vous l’aurez compris, pour être avocat et faire son fric en défendant, cette fois pour de vrai, n’importe qui et n’importe quoi, il faut du diplôme, du serment, de la toge, le nom inscrit sur la liste du barreau, etc…

Il clair que, dans l’esprit du procureur d’estrade à grosse voix, pour devenir journaliste il serait de loin préférable que l’impétrant satisfasse à quelques épreuves, quelques tests, quelques examens qui permettraient d’évaluer son niveau d’adhésion, de soumission au politiquement correct, à la doxa dominante du moment. Et, de surcroît, si possible, être en mesure de joindre à sa carte de presse une autre carte, celle du bon syndicat ou du bon parti. Ai-je besoin de préciser lesquels ?

Or, Monsieur Dupond-Moretti, une fois encore, se trompe. Que n’importe qui – moyennant certaines aptitudes tout de même, que notre tribun se rassure ! – puisse devenir journaliste est, tout au contraire de ce qu’il clame, une excellente chose. C’est même l’honneur du métier.

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Des confrères, il y a ceux qui sortent des écoles de journalisme, ceux qui sortent de l’université ou de telle autre filière d’études, et ceux – comme on aimait à plaisanter à mes débuts – qui sortent tout droit du bar-tabac du coin. De la vraie vie, en quelque sorte.

Cette diversité d’origine constitue en effet la richesse même de la profession. Et je le répète, sa gloire, son honneur.

Il y a des années de cela, à l’époque où Le Parisien était encore Libéré, un gars d’une trentaine d’années ne rêvait que d’y devenir journaliste sportif. Il quitta son boulot d’employé de bureau et se fit embaucher comme éboueur afin de pouvoir continuer à nourrir femme et enfants. Il disposait ainsi de la plus grande partie de sa journée qu’il employait à faire le siège de la rédaction la plus proche de chez lui. Il se tenait là, patient, imperturbable. Jusqu’au jour, où puisqu’on l’avait sous la main, on l’envoya couvrir un match de foot de patronage. Une grosse décennie plus tard, ce « n’importe qui » était devenu chef du service des sports du quotidien. Ce cas n’est pas unique, loin s’en faut. L’honneur du métier, vous dis-je.

Pour tout dire, journaliste, c’est un peu comme ministre, « n’importe qui », au fond, peut le devenir. Monsieur Dupond-Moretti devrait le savoir, lui qui l’a été.



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Ex-prof de philo, auteur, conférencier, chroniqueur. Dernière parution : « Je suis Solognot mais je me soigne » éditions Héliopoles, 2025

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