Pour survivre et prospérer, Doha cultive une diplomatie de sport, de culture ainsi que de dépannage et sauvetage géostratégique. Tout pour être utile et indispensable.
Au-delà des polémiques permanentes, une stratégie claire se dégage de l’ensemble des actions et initiatives qui constituent la politique étrangère du Qatar et qui l’assoient aux premiers rangs des acteurs de la scène internationale. Cette stratégie a deux faces ou deux piliers sur lesquels s’appuie une diplomatie d’influence allant dans le bon sens – c’est-à-dire le nôtre…. Cette stratégie, encourageante pour certains, menaçante pour d’autres, est d’abord et avant tout une police d’assurance vie – tout le monde dans la région se souvient d’août 1990 et l’invasion du Koweït – pour ce tout petit qui se protège en prenant de plus en plus d’importance sur l’échiquier mondial. Ses outils sont la diplomatie culturelle et le jeu du multilatéralisme et ils garantissent à Doha une visibilité aussi marquée que celle de son voisin émirati, mais surtout – et c’est son but ultime – protègent les intérêts vitaux et la survie du pays (entourés de voisins puissants qui convoitent ses richesses et souhaitent le soumettre) en se rendant utile aux intérêts de ses alliés (dont nous faisons partie qu’on le veuille ou non).
Depuis plusieurs années, le Qatar mène une politique proactive dans la région afin de peser non seulement comme un acteur géopolitique sur qui s’appuyer et sur qui compter, mais également comme un médiateur de crises. Doha articule ses efforts de médiation autour de deux grandes crises mondiales majeures : l’Afghanistan et le dossier du nucléaire iranien. Elle bénéficie dans ce cadre du soutien des États-Unis et des Européens pour lesquels ses liens de confiance avec Téhéran sont un atout considérable. La présence de la base militaire d’Al Oudeid, plus grosse base américaine hors territoire américain, rajoute une dimension à ce positionnement unique de l’Émirat. Cela ne l’empêche pas de jouer aussi un rôle sur des dossiers aussi sensibles que celui de Gaza, où il a concouru avec l’Égypte à la trêve récente avec Israël, celui du Mali, au printemps dernier, ou celui du Tchad où il a contribué à la signature d’un accord entre la junte militaire et les groupes rebelles la semaine dernière.
Dans un environnement international où l’hégémonie américaine post-soviétique est de plus en plus contestée par des puissances émergentes, il faudra désormais compter avec des acteurs régionaux capables de désamorcer en amont les crises ou de contribuer à les résoudre ou au moins les atténuer en aval. Certes, les trois ans de négociations à Doha autour du dossier afghan, entre Américains, Talibans et représentants du gouvernement afghan n’ont pas abouti à un départ coordonné des troupes américaines. En même temps, la crise suscitée par reprise de l’Afghanistan par les Talibans démontre le rôle indispensable du Qatar dans la région. Car c’est Doha qui a contribué à la gestion de l’évacuation en catastrophe dont nous avons tous été témoins il y a un an. Ainsi, le Qatar a largement contribué à plus de la moitié des rapatriements des personnels afghans proches des pays occidentaux entre l’été et l’hiver 2021.
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Le Qatar a pris une place majeure également en accueillant la reprise des pourparlers autour de la relance du JCPOA, l’accord sur le nucléaire iranien dont était sorti l’ancien président Donald Trump, en recevant les parties américaine et iranienne depuis des mois. Si les discussions achoppent encore à l’heure actuelle sur la question des garanties exigées par Téhéran, souhaitant s’assurer qu’une prochaine administration américaine ne ressortira pas du traité, le Qatar a déjà gagné ses galons de médiateur incontournable de crises régionales, rôle réservé auparavant à Oman.
Le Qatar joue aussi la bouée de sauvetage géopolitique. Dernièrement, Doha a proposé son aide et versé 60 millions de dollars à l’armée libanaise pour le paiement des salaires. Ce n’est pas la première fois que Doha vient en aide à des pays ou des parties au bord du gouffre, comme ce fut aussi le cas avec Gaza, la Somalie, la Turquie et l’Égypte notamment1. Pour Doha, c’est aussi un moyen de prévenir des crises risquant de déstabiliser des États et des régions entières tout en s’imposant comme un acteur diplomatique de poids.
L’autre face de la stratégie qatarie est sa diplomatie culturelle. Outre des évènements culturels sportifs de tout premier ordre, la Coupe du Monde qui s’annonce est le plus grand évènement que le pays ait eu à organiser. Elle est la première du genre dans le monde arabe.
Depuis une décennie, les préparations de tournois prestigieux poussent le pays à se transformer en profondeur. C’est sans doute la pression permanente des opinions publiques occidentales qui a joué un rôle d’une part, mais aussi – et c’est souvent ignoré – grâce à une stratégie d’ouverture et de mise en conformité avec les grands standards internationaux en matière de droit social, d’ouverture politique et d’accès à l’information. Pour la première fois dans la région, un embryon de droit du travail a vu le jour. Cette législation reste à perfectionner, mais qui témoigne d’une volonté de modernisation. La construction des stades et les conditions de travail sur les chantiers ont été sujets à critiques et polémiques non sans fondement, mais le pays ne peut rien cacher : tous les projecteurs sont braqués sur lui.
Aujourd’hui, la kafala, ce système de parrainage moyenâgeux, a été abandonné, un salaire minimum est imposé et des équipes d’inspecteurs du travail, recrutées en grand nombre, font appliquer les nouvelles lois sur la durée du travail et ses conditions.
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Pour ce faire, Doha s’est offert le soutien et les services de l’Organisation Internationale du Travail qui a dressé plusieurs rapports encourageants depuis de nombreux mois. À l’image de certains pays voisins, comme le Koweït et l’Arabie Saoudite, des élections ont vu le jour en octobre 2021 pour permettre le renouvellement d’une partie du conseil de la Shura, le parlement qatari. Enfin dernièrement, le pays a planché pour faire aboutir une loi sur le droit à l’information, qui ouvre progressivement le Qatar à la liberté de la presse.
Au-delà des critiques et dénonciations, on devrait aussi reconnaître le chemin parcouru. Un pays qui, comme beaucoup d’autres dans la région, était très éloigné des critères occidentaux de développement, s’est transformé en quelques dix ans. 32 ans après la chute de Koweït, Doha s’érige en contre-modèle et surtout, contrairement à d’autres acteurs de la région, démontre que la stratégie de la nuisance et de la déstabilisation n’est pas la seule option pour survivre et prospérer au Moyen-Orient.
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1 Avec qui Doha s’est réconcilié en 2021, après la crise du Golfe démarrée en juin 2017. Depuis, Doha a annoncé vouloir investir pour 4,5 millions de dollars dans le pays.