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Opération Sentinelle: Nos soldats n’en peuvent plus !

Le moral des troupes est au plus bas


Opération Sentinelle: Nos soldats n’en peuvent plus !
Soldat de l'Opération Sentinelle, Levallois-Perret, août 2017. Sipa. Numéro de reportage : AP22088304_000003.

Survenant en pleine crise des armées, l’attentat perpétré à la voiture-bélier contre six militaires français par un Algérien de 36 ans, le 9 août 2017 à Levallois-Perret, constituera-t-il la goutte d’eau qui fait déborder le vase ? Avec l’effarante réduction budgétaire décidée en juillet, nos guerriers viennent en effet d’encaisser une autre bonne nouvelle : leurs conditions vont encore de se détériorer.


Article publié le 11 août à 16h19

Épuisement, vétusté du matériel et des casernes, manque de sommeil, dortoirs immondes, horaires harassants, dos cassés, congés supprimés, surendettement des familles dû au fait que leurs salaires ne sont pas versés à temps (le logiciel est défectueux) : la colère affleure parmi les soldats du rang et les sous-officiers, qui sont aussi les plus sollicités dans le cadre de l’opération Sentinelle. Mais peu importe, puisqu’ils se taisent. Dans ce contexte, beaucoup n’ont guère apprécié qu’il ait en outre fallu plus de 12 heures au nouveau chef suprême des armées pour exprimer, via Twitter, son soutien à leurs camarades blessés.

Emmanuel Macron n’a d’ailleurs pas jugé utile de se porter lui-même à leur chevet, laissant ce soin à deux de ses ministres. Plus qu’à espérer que le suspect ne soit pas déclaré irresponsable pour « troubles psychiques », à l’instar de l’individu qui, le 25 mai 2013, avait frappé à l’arme blanche un jeune militaire patrouillant dans le quartier de la Défense, à Paris.

Attaqués par les djihadistes, poignardés par l’Etat

On se souvient pourtant, au lendemain de l’élection du président Macron, de sa jolie parade sur les Champs-Elysées suivie d’une visite surprise dans un hôpital militaire. Ou comment surinvestir la fonction régalienne de chef des Armées sur un plan purement symbolique quand, dans la réalité, le costume se révèle à l’évidence trop grand pour lui. Car la com’ ne suffit pas à faire une politique. Attaqués de face par les islamistes, nos soldats ont désormais le sentiment d’être poignardés dans le dos par l’Etat. La dernière séquence en date, entre la démission fracassante du chef d’état-major le 19 juillet et l’attaque du 9 août, est emblématique à cet égard.

Reprenons. Que fait un pays en guerre, version française ?

Dans le cas d’une armée en surchauffe et en souffrance depuis deux ans, sous-financée depuis deux décennies, la première des priorités consistera donc à décréter une coupe sombre d’1 milliard d’euros. Très pertinent, surtout quand 20 000 radicalisés fichés « S » se promènent en toute liberté sur le territoire et que 300 tueurs de l’Etat islamique sont tranquillement rentrés à la maison depuis la Syrie. Mais qu’on se rassure : le ministre de l’Intérieur nous apprenait, le jour même de l’attaque, que certains avaient été « placés sous contrôle judiciaire ». Autant dire : rien. Est-ce une blague ?

A lire aussi: Un chef des armées doit avoir une stratégie et celle de Macron n’est pas claire

Le chef d’état-major des armées, le général de Villiers, osera critiquer ces coupes budgétaires insensée alors même qu’une guerre vient de nous être déclarée ? Le nouveau président s’est empressé de le recadrer publiquement et, ce, juste avant le défilé du 14 juillet. Car c’est bien connu, il convient de recadrer un chef devant ses subordonnés. Consternation dans les rangs. Le général, lui, donnera sa démission, estimant « ne plus être en mesure d’assurer la protection des Français ». Un fait sans précédent depuis 1958.

Une pause dans les restrictions

Après « Charlie », le président Hollande avait au moins fait preuve d’un peu plus de jugeote en annulant les coups de rabot successifs imposés aux forces armées. Les attentats islamistes en France et l’engagement de nos troupes sur divers théâtres extérieurs — le Sahel, l’Irak et la Syrie entre autres — avaient fini par l’en convaincre. Son successeur, voyant que nos « sentinelles », transformées en cibles, sont en première ligne face la menace terroriste, estimera urgent de les déshabiller encore un peu plus. Et la nouvelle ministre de la Défense, Florence Parly, n’a pas oublié de les prendre, en prime, pour des demeurés en expliquant que ces économies n’auront « pas d’impact sur le fonctionnement des armées, notamment pour les militaires en opération » … Décidément, l’entourage de Macron ne manque pas d’humour. La dame est-elle au courant du fait que de nombreux hommes ont dû être rapatriés du Sahel pour jouer les vigies en métropole, si bien que pour les unités restées sur place, la situation est catastrophique ? Les hommes, plus exposés en raison du départ de leurs collègues, sont en outre de plus en plus mal nourris et mal logés, en sont réduits à devoir acheter une part de leur équipement eux-mêmes et manquent d’essence pour se déplacer dans leurs véhicules…

Des conditions de travail indignes

Quant aux 7 000 soldats déployés sur le sol français, l’Etat s’obstinera à leur signifier combien il se moque de leurs conditions de travail, qui sont indignes. Comme l’affirmait Laetitia ce 9 août 2017, animatrice du mouvement « Femmes de militaires en colère », si leurs maris sont soumis au devoir de réserve « maintenant, ce n’est plus possible […]. Nous n’avons pas envie de voir des centaines de cercueils alignés place des Invalides, car c’est malheureusement ce qui va arriver […]. Je demande au gouvernement de cesser de prendre les militaires pour des vaches à lait ».

Sait-on à ce propos qu’une partie de l’armée de terre en Sentinelle, moralement découragée par ce mépris et physiquement épuisée, est aujourd’hui en arrêt maladie ? Qu’ils patrouillent plusieurs kilomètres par jour avec 20 ou 30 kilos sur le dos, leur gilet pares balles pesant à lui seul 15 kilos et ne servant à rien : il ne les protège pas contre les balles de gros calibre… Il en existe certes de plus performants et de plus légers, mais l’armée de la cinquième puissance mondiale n’a pas les moyens de s’en procurer. Qui plus est, nos soldats, ainsi harnachés, sont peu mobiles, donc peu efficaces en cas d’assaut.

17 heures sur 24

Leurs horaires ? De 6 heures à 23 heures souvent, cinq jours d’affilée avec, au mieux, quatre heures de sommeil. À ce rythme, les hommes ne tiennent pas. Les plus aguerris n’en peuvent plus et ne parviennent évidemment pas à conserver la vigilance requise. Sur le moyen terme, ce sont nos combattants les mieux entraînés que nous sommes en train de briser. Et leurs familles avec. De fait, divorces et suicides se multiplient comme jamais au sein de la Grande muette.

Interdit de découcher!

Pour accroître encore leur mauvaise humeur, il leur est interdit de découcher de la caserne où on les loge pendant leur tour de Sentinelle. C’est ainsi que des militaires de 30 ans, habitant parfois à deux pas, se voient interdits de sortie pour aller embrasser leurs enfants, quand bien même ils ne les auraient pas vu depuis des mois, enchaînant les missions sans discontinuer. On ne s’étonnera donc pas que beaucoup « pètent les plombs », certains répliquant parfois à ces brimades inutiles en arrosant les murs de leur caserne de quelques rafales de Famas, sur quoi les sergents-chefs finissent en général par plier.

L’état des casernes en question est d’ailleurs une honte pour la République.

Dortoir de l'armée.
Dortoir de l’armée.

Cette photo, prise en hiver, en témoigne. On l’aura compris, il ne s’agit pas d’un abri de fortune pour SDF par période de froid extrême. On n’oserait pas. Non, il s’agit bien d’un dortoir de la région parisienne où l’armée héberge ses hommes. Les membres des unités d’élite ne sont pas mieux lotis : sous-sols ou hangars insalubres, des murs qui s’effritent et suintent l’humidité, souris, rats et bestioles en tous genres, une prise électrique pour vingt, une douche pour cinquante, des sanitaires à l’avenant et pas de chauffage : l’appareil d’appoint que l’on voit sur l’image a été apporté par un des militaires. Le Tiers monde.
De nombreux soldats n’ont pas l’intention de renouveler leur contrat

Un sentiment d’inutilité

Ont-ils au moins la consolation de se sentir utiles en contribuant à protéger les populations ? Sûrement pas quand on ne les autorise pas non plus à fouiller les sacs à l’entrée des lieux de culte, notamment des synagogues, si bien que n’importe quel djihadiste pourra y pénétrer avec son sac de sport et y commettre un carnage. Un exemple typique de demi-mesure absurde. Du reste, il ne leur échappe pas que l’opération Sentinelle est elle aussi, et avant tout, une opération de com visant à rassurer les gens. Enfin ceux qui ont le bon goût de ne pas les insulter. Elle est extrêmement coûteuse à tous égards pour des résultats minimes. Sans compter que nos soldats sont entraînés à combattre les ennemis de la République et vivent très mal leur nouveau statut de cibles quasi-impuissantes, ressenti comme déshonorant. Or leur honneur, ils y tiennent plus que tout.

Pas de stratégie antiterroriste globale

Enfin, l’écœurement qui gagne à la base dans des proportions préoccupantes trouve aussi sa source dans le fait que ces hommes ne voient toujours pas se dessiner de stratégie globale s’agissant de gagner la guerre et de contrer la menace. La politique consistant à attendre et à espérer limiter la casse lors du prochain attentat — au lieu de passer sérieusement à l’offensive —, les désespère. Résultat : nombre d’entre eux, parmi les plus opérationnels, n’ont pas du tout l’intention de renouveler leur contrat, eux qui avaient passionnément cru en leur mission.
C’est dire si, dans ce climat, les hommages rhétoriques ne passent plus. Au point que quand Florence Parly condamne, à propos de l’attaque du 9 août, un « acte lâche qui n’entame en rien la détermination des militaires à œuvrer pour la sécurité des Français », beaucoup fulminent. Et quand les députés se sont levés en début de séance à l’Assemblée pour exprimer leur « solidarité » et leur « gratitude » envers les militaires — les mêmes élus qui venaient par ailleurs de voter une loi leur coupant les ailes —, plus personne ne marche car de qui se moque-ton ?

Le déni ne fait pas reculer l’ennemi

Qui peut sérieusement croire que cette psychopathologie du déni fera reculer l’ennemi ? D’où vient cette insondable imbécilité qui enjoint de célébrer tous azimuts « la France de la diversité », sauf là où elle se tient clairement debout, c’est-à-dire parmi les soldats du rang, justement ? Je rappelle que les trois jeunes militaires assassinés par Merah en 2012 — trois Français exemplaires —, étaient tous des enfants des cités, issus de l’immigration. Et comment comprendre cette irresponsabilité folle qui consiste à aggraver la crise de confiance entre l’armée et l’exécutif et, ce, au pire moment ?
Au stade où nous en sommes, on a beau examiner ces aberrations sous tous les angles, elles semblent désormais du ressort de la psychiatrie.

Pour quoi serions-nous encore prêts à mourir ?

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Docteur en philosophie, historienne de la Shoah, essayiste et journaliste, auteur d’une quinzaine d’ouvrages, Alexandra Laignel-Lavastine vit entre Paris et Jérusalem, où elle se trouve depuis le 7 octobre. Elle prépare un récit-essai sur la guerre, qu’elle a couvert sur place. Voir notamment sa virale "Lettre ouverte au président Emmanuel Macron", dans Tribune juive du 24 octobre 2023. Son dernier livre porte sur la destruction des Juifs de Vilnius, Journal de Ponary, 1941-1943, Un témoignage oculaire unique sur la destruction des Juifs de Lituanie (de Kazimierz Sakowicz, ALL pour la trad. du polonais, la présentation et l’appareil critique, Grasset, 2021) et sa biographie d’André Zirnheld, Le Prodigieux destin d’un Résistant français du Spécial Air Service (SAS), est à paraître aux éditions du Cerf (2024).

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