Accueil Économie Pour lutter contre l’obésité, le «coup de coude» est surtout un coup d’épée dans l’eau

Pour lutter contre l’obésité, le «coup de coude» est surtout un coup d’épée dans l’eau

Et si le "Nutriscore" ne servait à rien?


Pour lutter contre l’obésité, le «coup de coude» est surtout un coup d’épée dans l’eau
D.R

Alors que le nouveau mode de calcul du Nutri-score provoque de vives réactions de la part des industriels de l’agro-alimentaire, on peut s’interroger sur l’efficacité réelle des « nudges » (« coup de coude » en français) sur lesquels l’État base ses campagnes comportementales.


En février dernier était publiée une étude dans le Journal of Clinical Medicine pointant que 47,3 % des adultes français seraient obèses ou en surpoids. Un regard attentif sur les tendances depuis 1997 permet de constater que, si la prévalence du surpoids fluctue toujours autour de 30%, celle de l’obésité ne cesse en revanche d’augmenter. Elle passe ainsi de 8,5% en 1997 à 15% en 2012 et 17% en 2020. Ce constat est gênant. En 2001, l’État français a lancé le Programme national nutrition santé (PNNS) dont l’objectif général est l’amélioration de l’état de santé de l’ensemble de la population en agissant sur l’alimentation. L’obésité est donc considérée, depuis plus de deux décennies, comme un réel problème de santé publique. Il s’agit en effet d’une condition médicale grave, créant de multiples effets physiques et psychologiques, pouvant mener au décès des personnes atteintes, et nécessitant un suivi médical long, donc coûteux. Bref, si l’idée de ce programme semble justifiée, les résultats invitent à remettre en cause son efficacité.

Un concept éthiquement questionnable

On peut notamment questionner la mesure phare de la quatrième version du PNNS, le Nutri-score. Il s’agit d’un système d’étiquetage nutritionnel, basé sur un algorithme, visant à guider les consommateurs vers des décisions alimentaires plus informées en évaluant la qualité nutritionnelle des produits alimentaires.

Étrangement, il est timidement admis en France que le Nutri-score relève des techniques de nudges, alors qu’il est bien perçu comme tel dans les autres pays européens où il s’implante.

Le Nutri-Score. D.R

La théorie du « nudge », développée par l’économiste américain Richard Thaler à la fin des années 2000, part du principe que nos choix ne sont pas uniquement déterminés par notre capacité à raisonner en fonction de nos intérêts propres mais sont aussi influencés par certains biais cognitifs. Jouer sur ces éléments peut ainsi s’avérer plus efficace qu’une interdiction ou une campagne de sensibilisation pour inciter à changer certains comportements, dans l’intérêt du particulier ou celui de la collectivité.

Le concept a vite séduit les dirigeants politiques, qui y voient une méthode plus douce que la fiscalité comportementale, par exemple, pour modifier certaines habitudes de la population.

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Et ce, même si l’utilisation de nudges s’apparente à une forme de manipulation. Les nudges peuvent également être à l’origine d’un sentiment de culpabilité chez les personnes qui les contournent délibérément et un nombre important de comportements ne donnent tout simplement aucune prise à ce type de dispositif. Une méta-analyse menée par Pierre Chandon, professeur de marketing à l’Institut européen d’administration des affaires de Fontainebleau, montre ainsi que les nudges faisant appel à la réflexion des consommateurs, comme le Nutri-Score, sont moins efficaces que ceux qui touchent aux émotions, en incitant par exemple au plaisir de manger sain.

Un fonctionnement coûteux et incohérent

Se pose alors la question de savoir quel est l’intérêt de maintenir un tel procédé ? D’autant que celui-ci pèse forcément dans les finances publiques. Pour rappel, lorsqu’il a été créé il y a 22 ans, le PNNS était financé par l’État et l’assurance maladie à hauteur de dix millions d’euros par an. Après deux décennies, l’addition est lourde. Le coût précis du Nutri-Score n’est pas connu. On sait en revanche qu’il a bénéficié de subventions publiques lors de son lancement, et qu’il existe également des coûts liés à la mise à jour du système, puisque l’algorithme a récemment dû être reconfiguré pour corriger, dès janvier prochain, les nombreuses incohérences de l’étiquetage. Ainsi, des céréales chocolatées, destinées au petit déjeuner des enfants, vont être déclassées en catégorie C, alors qu’elles affichaient un A depuis septembre 2022. Pendant plus d’un an, le Nutri-Score a donc envoyé un message trompeur, présentant comme sain un produit fortement dosé en sucre. Et cela risque de durer encore un moment, puisque les producteurs ont un délai de deux ans pour mettre à jour l’étiquetage…

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De plus, une bonne partie de l’industrie redoute déjà que cette refonte entraîne une distorsion des recommandations nutritionnelles et une confusion chez les consommateurs. La complexité des nouvelles règles de calcul pourrait ainsi détourner de nombreuses compagnies qui, jusqu’à présent, avaient accepté d’afficher cette graduation sur leurs produits. Cette situation semble aujourd’hui bien éloignée du but présenté, lors de l’instauration de ce système, à savoir : un avantage compétitif pour les produits bien notés, encourageant les marques à améliorer leurs recettes. La lutte contre l’obésité est une action complexe. Les causes de cette maladie relèvent de facteurs socio-économiques et, dans de nombreux cas, psychologiques. Une technique marketing ne suffit pas à les régler. Cet exemple illustre bien la façon dont l’État entend décider des bons comportements à adopter et les imposer, quitte à s’enliser dans des procédés inefficaces, coûteux et éthiquement questionnables.



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Journaliste de presse écrite depuis plus de vingt ans, Noël Labelle a notamment été rédacteur en chef au sein du groupe suisse de presse financière, l'Agefi, pendant dix ans. Il est aujourd'hui consultant éditorial indépendant, spécialisé sur les questions économiques.

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