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Michel Atangana, cette affaire qui embarrasse l’État

Sur la voie de la réhabilitation ?


Michel Atangana, cette affaire qui embarrasse l’État

Citoyen français oublié dans un cachot camerounais pendant 17 ans, Michel Atangana a été libéré en 2014. Après sept années d’âpres batailles judiciaires et administratives, il attend de pied ferme la décision de la commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI), car elle pourrait ouvrir la voie à sa réhabilitation. L’audience aura lieu le 29 juillet. Sonnera-t-elle la fin de 24 ans de calvaire ?


Il y a deux mois, nous évoquions l’affaire Atangana. En 1997, à la suite d’une accusation imaginaire de détournement de 230 millions d’euros de fonds publics camerounais destinés à des constructions d’autoroutes, cet ingénieur français – et non pas franco-camerounais, comme on a pu le lire ou l’entendre – a été confiné pendant dix-sept ans à la cave du secrétariat à la Défense du Cameroun, dans une cellule obscure et moite de huit mètres carrés dépourvue de fenêtre mais disposant d’une bouche d’aération donnant sur une cour où stationnaient des camions, avec pour seule compagnie celle de cafards, de souris, de rats, de moustiques, de toilettes à la turque et un seau d’eau. Après que ses geôliers l’ont malmené, sa jambe droite s’est trouvée en piteux état, ce qui lui a valu un aller-retour à l’hôpital de Yaoundé dans la même journée pour une opération sans anesthésie.

On s’occupe de tout !

Nous rappelions aussi que quatre ambassadeurs français se sont alors succédé à Yaoundé, mais que ce n’est qu’à partir de la nomination du cinquième, l’excellent Bruno Gain – après treize ans de confinement – que le Quai d’Orsay s’est enfin décidé à porter son attention à son compatriote. Notre courtoise tentative de prise de contact avec les deux ambassadeurs en poste de 2003 à 2009 étant restée sans suite, nous n’avons pas insisté car nous sommes bien élevés – mais nous aimerions toujours converser avec eux.

Selon le récit officiel, Michel Atangana ayant été tiré des oubliettes et ramené à Roissy Charles-De-Gaulle avec Air France dans un vol direct – dont le coût du billet fut à la charge du voyageur – depuis Yaoundé, la France aurait fait tout ce qui était en son pouvoir pour arracher à l’enfer son compatriote qui ne s’en sortirait finalement pas si mal. Il est vrai qu’il n’a pas été, à l’instar de certains, décapité comme un vulgaire mécréant sur les terres de l’État islamique.

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Encore il y a deux ans, le 11 juillet 2019, Jean-Yves Le Drian, écrivait d’ailleurs une missive pleine d’entrain à destination d’Olivier Falorni (député de Charente-Maritime), que nous avons eu l’honneur de consulter, dans laquelle il félicitait ses prédécesseurs du Quai d’Orsay pour le traitement réservé à son compatriote durant ces longues années : « La situation de M. Atangana est bien connue de ce Ministère et a été suivie avec la plus grande attention par les autorités françaises, au plus haut niveau, qu’il s’agisse de la mise en œuvre de la protection consulaire à son bénéfice ou des démarches qui ont contribué à sa remise en liberté ».

Prenez donc le RSA…

Et pourtant, Jean-Yves Le Drian n’ignore pas que son prédécesseur et fin connaisseur de peinture Laurent Fabius, alors à la tête d’un des ministères les plus prestigieux, celui des Affaires étrangères, refusa d’inscrire dans l’« attestation d’incarcération » de Michel Atangana – un papier lui permettant de justifier sa disparition durant dix-sept années des radars de l’administration – que cette interminable séquestration fut alors qualifiée d’arbitraire par les Nations Unies. Ce qui encore maintenant, réduit en poussière ses chances de trouver un travail, tout employeur normalement constitué rechignant à faire signer un contrat à quelqu’un ayant passé dix-sept ans derrière les barreaux.

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Jean-Yves Le Drian n’est pas non plus sans savoir que François Hollande proposa à Atangana, en guise de lot de consolation, de vivoter avec le RSA – ce que ce dernier a refusé. Nous ne reviendrons pas sur la « commission rogatoire » venant du Cameroun, qui invite les banques du monde entier à ne surtout pas ouvrir de compte à l’ingénieur, une injonction que la France, si elle en avait la volonté – ou un certain sens de l’honneur -, pourrait ignorer, mais à laquelle elle a choisi de se plier, contraignant même les banques françaises à l’appliquer. Nous n’évoquerons pas non plus le fait que Michel Atangana n’ait pu récupérer ses droits de sécurité sociale qu’il y a deux ans en raison d’une étrange volatilisation de son dossier, nous en avons déjà parlé, car l’homme qui a survécu à dix-sept ans de confinement n’est pas de ceux qui se laissent abattre mais de ceux qui vont de l’avant.

L’idylle franco-camerounaise

Dès le 28 juin 2011, alors que Michel Atangana était encore aux oubliettes  – dont  il est sorti en 2014 -, sa défense déposait une plainte auprès du Tribunal de Grande instance de Paris pour séquestration arbitraire. À la suite du refus essuyé, la Cour de Cassation volait au secours du prisonnier, cassant l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris et ordonnant le retour du dossier à l’instruction. À la suite de huit années de pourparlers, le magistrat en charge du dossier concluait : « la matérialité des faits [de séquestration arbitraire] peut paraître constituée », une formule juridique qui s’apparente plus à une hypothèse qu’à une assertion mais qui, sous la plume du procureur de la République, est un peu plus affirmée : « la matérialité des faits paraît constituée », écrivait ce dernier dans son réquisitoire définitif, le 23 mai 2019.

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Michel Thierry Atangana © Le cherche midi

Mais, il y a un mais… le magistrat estimait aussi qu’« aucune suite ne saurait être envisagée, en raison de l’immunité de juridiction dont bénéficient les auteurs, coauteurs et complices » et concluait à un non-lieu. En d’autres termes, il ne s’agirait pas de froisser l’ami camerounais Paul Biya pour un malheureux inconnu qui s’est trouvé au mauvais endroit au mauvais moment. Quant à l’usage du mot « complices », serait-ce une allusion au mutisme de ceux qui ne pouvaient complètement ignorer l’infamie qui s’éternisait dans une cave située à deux pas de l’Ambassade de France de Yaoundé et qui n’ont rien fait pour l’enrayer ? Toujours est-il que Michel Atangana a fait appel.

Pas d’ingérence !

Comme son nom l’indique, la Commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI) est un organisme en charge d’atténuer la douleur des victimes de préjudices par un petit pécule. Selon l’article 706-3 du code de procédure pénale, la CIVI est compétente pour décider de l’indemnisation par le Fonds de garantie des victimes de terrorisme et autres infractions (FGTI) des personnes physiques qui ont subi un « préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d’une infraction ». Si celle-ci a eu lieu à l’étranger, il faut que la personne soit de nationalité française pour y avoir droit. Citoyen français – et non pas franco-camerounais, rappelons le encore une fois -, Michel Atangana était dans les clous pour s’y adresser.

Dès février 2016, il a donc sollicité la CIVI. Sept mois plus tard, celle-ci rendait son verdict : « retenir le caractère matériel de l’infraction reviendrait à se pencher sur le bien fondé de décisions étrangères, ce que seule pourra déterminer l’information judiciaire en cours ». Comprenez qu’il ne faudrait certainement pas suggérer que, malgré les rapports alarmants du département d’État américain dès 1999, des Nations Unies en 2013, de Human Right Watch, de La Croix Rouge ou d’Amnesty International, le Cameroun ait pu manquer de discernement dans cette affaire. Il est vrai qu’en 2016, la « matérialité des faits [de séquestration arbitraire] » n’avait pas encore été « constituée ».

Septembre 2020. Cette fois, la séquestration arbitraire ayant été reconnue un an et demi auparavant (le 23 mai 2019), Michel Atangana revient à la charge. Il n’a pas oublié son papier signé par le procureur sur lequel il est bien inscrit que  « la matérialité des faits paraît constituée » et sollicite un nouveau rendez-vous. L’audience à la CIVI est fixée au 11 juin 2021. Rodé aux mauvaises surprises, il décide de s’armer un peu plus en allant toquer à la porte du « Défenseur des droits ». Quèsaco ? Comme le stipule son site internet, c’est une institution indépendante de l’État, « créée en 2011 et inscrite dans la Constitution », ayant notamment pour tâche de « défendre les personnes dont les droits ne sont pas respectés ». Michel Atangana connaît la maison. En 2016, alors qu’elle était sous l’égide de l’ancien ministre de la Culture Jacques Toubon, il y a tenté sa chance. D’après ce qu’il nous a dit, l’ancien ministre l’aurait poliment éconduit en assurant qu’il ne pouvait rien faire pour lui. En juillet 2020, Jacques Toubon a passé la main à l’ancienne reporter Claire Hédon.

Claire Hédon, Défenseure des droits depuis juillet 2020 © Jacques Witt/SIPA Numéro de reportage : 00982854_000005

Rendez-vous le 29 juillet

« Il appartient à la CIVI d’examiner les éléments qui lui ont été soumis pour déterminer si Monsieur Atangana a subi une détention arbitraire, peu importe que cette détention ait été décidée et mise en œuvre par les autorités d’un État étranger », y écrit-elle notamment dans sa « décision de la Défenseure des droits n° 2021-168 » le 4 juin 2021, six jours avant le grand jour. Bingo ! Car ce texte de cinq pages est on ne peut plus officiel. Comme il en est d’usage, la Défenseure des droits l’envoie à la CIVI. Dans le camp d’Atangana, on respire. Après sept longues années de rouleau compresseur administratif, la main du diable semble enfin lâcher prise.

Depuis qu’Éric Dupond-Moretti a rejoint la garde rapprochée de Jupiter, son associé Antoine Vey vole de ses propres ailes. Depuis déjà sept ans, l’avocat défend l’ingénieur maudit. L’audience étant prévue à la CIVI le 10 juin, pas question de se tourner les pouces. Pour assurer les arrières de son protégé, son équipe s’attelle à la rédaction d’un récapitulatif de vingt-huit pages avec quarante-deux pièces à l’appui.

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Mais une fois encore, le mauvais sort s’acharne. Le 10 juin, date tant attendue de l’audience à la CIVI, Atangana déchante: « Pendant l’audience, je me rends compte que les éléments de la Défenseure des droits ne se trouvent pas dans les conclusions de la CIVI ». Et pour cause la CIVI assure alors ne pas avoir reçu le texte béni. Peu après cette audience, ils semble qu’elle l’ait enfin entre ses mains. Une nouvelle audience est donc prévue pour le 29 juillet. 

Après ce long chemin de croix, doit-on s’attendre à d’autres péripéties ? En tous cas, Michel Atangana n’a pas l’intention de s’arrêter là. Sa quête n’est guidée par aucun ressentiment envers la France, mais simplement par un désir de justice et par une aspiration à récupérer sa dignité, ce qui passe notamment par la possibilité de travailler. Permettez-moi d’y voir aussi une quête du bon sens, « la seule chose qui nous rend hommes et nous distingue des bêtes », écrivait Descartes dans son Discours de la méthode, ajoutant que « ce n’est pas assez d’avoir l’esprit bon, mais le principal est de l’appliquer bien ».

La CIVI fera-t-elle sienne cette maxime ? Verdict attendu le jeudi 29 juillet.


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Enseignant, auteur du roman "Grossophobie" (Éditions Ovadia, 2022).

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