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1981- 2024: le parcours d’un tramway nommé déficit

En catastrophe, le gouvernement révise à la baisse ses prévisions de croissance et annonce 10 milliards d’euros d’économies supplémentaires en 2024


1981- 2024: le parcours d’un tramway nommé déficit
«Bruno, ça fait quand même sept ans que tu es là» aurait déclaré le président Macron lors d'une réunion consacrée aux finances publiques à l'Elysée le 20 mars, selon le Figaro © image d'archive / Blondet Eliot -pool/SIPA

On le sait à présent, le déficit s’est finalement établi à 5,5% du PIB en 2023, selon les données publiées par l’Insee. La dégradation est spectaculaire par rapport aux prévisions du gouvernement, qui visait encore – 4,9% il y a quelques semaines. La dette publique est aussi supérieure aux attentes, à 110,6% du PIB.


Cela faisait des semaines que le gouvernement redoutait l’officialisation de ces chiffres.

Le déficit public a connu l’an dernier un dérapage inédit, bondissant à 5,5% du PIB, selon les données publiées par l’Insee, soit un total de 154 milliards d’euros.

Le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, avait fixé, en matière de finances publiques, un objectif qui n’était pourtant déjà pas très ambitieux, avec un solde public attendu à -4,9% en 2023 après -4,8 % en 2022. L’objectif avait même été réaffirmé haut et fort, et avec toute la suffisance qui le caractérise souvent, en décembre dernier par le ministre. Si ce dernier a reconnu, ce qui était la moindre des choses, que « nos objectifs n’ont pas été atteints, il faudra en tirer les conséquences », il s’est de suite enferrée dans des explications alambiquées (baisse des recettes fiscales, inflation, baisse du marché immobilier, …) qui n’ont convaincu personne dans l’opposition et mis mal à l’aise la majorité de sa majorité ! Mauvaise pioche pour le gouvernement, les agences de notation vont frapper bientôt. Moody’s a exprimé d’emblée un doute quant au fait que la France parvienne à réduire son déficit à 2,7% d’ici 2027. Elle a même rajouté que les quelques 10 milliards de coupe budgétaire annoncés par le gouvernement, ne seront certainement pas de taille à l’aider à atteindre le déficit de 4,4% (lopinion.fr, 27/3/24). Autrement dit la France est très mal embarquée. Comme elle ne l’avait jamais été depuis plus de 30 ans.

1975 : dernier budget à l’équilibre

30 ans ? Cela nous ramène aux années 90. Et que se passe-t-il en ces années-là ? Et bien notre économie commence à subir de plein fouet la gestion financière calamiteuse impulsée par Mitterrand dès 1981. Avant ce dernier les finances de la France étaient saines. Personne de sérieux ne pourra contester que les derniers budgets plus ou moins équilibrés ont été votés sous le mandat de VGE. C’est plus exactement en 1975 que le dernier budget est voté à l’équilibre.  Et les déséquilibres se jouaient à peu. Ils furent en plus générés par le premier choc pétrolier. Après l’ancien maire de Chamalières, ce sera plus ou moins la bouteille à l’encre.

C’est donc Mitterrand qui va lancer le premier tramway nommé déficit du pays. Rappelons qu’en 1981 l’ancien fonctionnaire du gouvernement dit « de Vichy », est élu sur un programme on ne peut plus généreux en matière sociale. En effet dans les « 110 propositions pour la France » figure une partie relative à « l’emploi : la croissance sociale par la maîtrise de l’économie ». Elle est centrée sur l’aspect économique et l’investissement : plan de relance, investissement, grands travaux, soutien à la recherche, création d’emplois, planification, nationalisations, renforcement syndical, 35 heures, protection des locataires, augmentation du SMIC et des indemnités, nouvelle base de la TVA, impôt sur les grandes fortunes, moratoire sur le nucléaire, économie d’énergie, réforme de l’agriculture, de la pêche et de la PAC. A noter que du côté du candidat, il sera impossible d’obtenir le chiffrage exact de ces promesses généreuses. Rien que des approximations. Le débat du second tour avec VGE l’illustra parfaitement. Il n’en reste pas moins qu’une fois élu, Mitterrand va devoir mettre en œuvre ses promesses directement issues du Programme Commun avec les communistes. Dès lors il n’est pas étonnant qu’il ait « ouvert les vannes » notamment sociales. Et donc la décision de jouer sur les dépenses publiques en les augmentant de 25 % et en embauchant un grand nombre de fonctionnaires (près d’un million) va se faire sentir à court, moyen et long terme. La dette publique ne dépassait 20% du PIB en 1980. Elle passe à près de 22 en 1981, 22,5 en 1982, 27,4 en 1983 et 30 en 1984. Si de 1974 à 1980, le déficit budgétaire restait contenu entre 1% et 2%, il passe à 2,4 en 1981, à 2,8 en 1982 et à près de 3 les années suivantes.  Tant sur la dette que sur le déficit ce n’est bien évidemment rien par rapport à nos jours ! Rappelons que la ministre des Affaires sociales de l’époque (Nicole Questiaux) a dit se refuser à être « ministre des comptes ». Quant à l’inflation entre 1981 et 1984 elle se situe à environ 10,5%.

Parmi toutes les mesures sociales mises en place, certaines, même si l’on sait qu’elles seront coûteuses, peuvent se justifier pour les classes défavorisées : hausse des salaires et hausse des prestations sociales.  Mais deux autres mesures « phares » de l’ancien maire de Château-Chinon vont coûter très cher et très peu rapporter : les nationalisations et la retraite à 60 ans. Les nationalisations décidées par François Mitterrand ont été dictées essentiellement par une idéologie (rappelons qu’elles étaient dans le Programme Commun). Elles ont engendré un coût d’un peu plus de 10 milliards de francs. Sans compter les salaires des quelques 500 000 nouveaux agents publics (eh oui un personnel du privé qui passe dans une entreprise publique c’est çà !) qu’il va falloir rétribuer… Certains grands réformateurs de l’époque ne l’avaient pas vraiment anticipé.

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Quant à la retraite à 60 ans, idéologiquement Mitterrand s’y était engagé. Il la met en place en 1982 avec effectivité en 1983. Elle n’est pas vraiment financée mais qu’importe ! Ce sera la dernière grande réforme sociale du mandat. Heureusement car déjà les comptes publics sont dans le rouge.  Lors du débat sur la réforme des retraites, l’an passé, Éric Ciotti a eu raison de souligner : « Si on en est là aujourd’hui, c’est parce qu’il y a eu la retraite à 60 ans en 1982 portée par François Mitterrand ». Avant de marteler son argumentaire : « Ça veut dire qu’aujourd’hui, on aurait les deux-tiers de dette en moins. On en est là parce qu’il y a eu des erreurs que d’autres pays n’ont pas faites ».

L’ère du chômage de masse

D’autant que la France entre dans une période de chômage qui se massifie. François Mitterrand s’était fait élire en répétant que la France ne compterait pas deux millions de chômeurs, « je m’y engage » avait-il même précisé.  Dès la fin de l’année 1982, ce seuil était franchi pour entamer une pente qui n’allait jamais décroitre. Et la fragilisation de l’économie expose le franc à subir de multiples attaques. La dévaluation du franc est décidée à trois reprises : Octobre 1981 (moins de 6 mois après l’élection de Mitterrand), Juin 1982 et Mars 1983. Même la CEE estime que les comptes français ne vont pas.

Il s’avère donc que c’est du premier mandat de Mitterrand qu’a été mis sur rails le tramway nommé déficit. Mais, car il y a un mais, étant donné que ce dernier s’est très vite creusé à la suite de ces généreuses mesures, le président Mitterrand qui n’a jamais été réputé pour être un grand comptable (il n’avait jamais d’argent sur lui comme nous l’a confirmé M. Charrasse !) prit tout de même une décision. Ce fut le « tournant de la rigueur » décidé en mars 1983. Laurent Fabius arrive à Matignon et Jacques Delors, ministre de l’Économie, des Finances et du Budget, dans le gouvernement Pierre Mauroy, met en place une politique de rigueur. Celle-ci sera poursuivie par les gouvernements socialistes successifs jusqu’à la cohabitation de 1986.

Hélas à la suite de ce premier mandat mitterrandien, les comptes publics vont prendre une mauvaise pente et la France va s’enfoncer dans une crise économique et sociale sans précédent depuis 1958. Cette dernière va directement engendrer la première cohabitation de l’histoire républicaine, en 1986. L’action du gouvernement Chirac va quelque peu améliorer les choses. Puis, les mêmes causes produisant toujours les mêmes effets, une seconde cohabitation a lieu en 1993. L’action du gouvernement Balladur parviendra à endiguer un peu la situation. Mais le ver est dans le fruit…

La période Chirac est avant tout celle d’un premier mandat presque pour rien, puisqu’habité par une cohabitation qui dure cinq ans. Les cinq ans de Lionel Jospin entre 1997 et 2002 a été une des dernières de la Ve plutôt positive en matière de finances : croissance, baisse du déficit, emploi connaissent des résultats inédits. Il est vrai qu’avec DSK aux Finances publiques pendant deux ans et demi, des choix sérieux sont faits : réduire le déficit public, freiner les dépenses, alléger les impôts et quelques privatisations.  Comme un remède magique qu’on avait perdu de vue ! Durant le second mandat de Chirac, il y aura des résultats plus contrastés. Le déficit remonte au-dessus du fameux seuil des 3% imposé par les critères de Maastricht entre 2002 et 2005. Le gouvernement de Villepin tentera d’améliorer les choses : baisse du chômage de 2 points et un zest de désendettement.

Le train fou

Le tramway déficit a été un peu ralenti avec les premières mesures économiques prises par Nicolas Sarkozy (« élu pour s’occuper de tout ») qui allaient dans le bon sens. Mais arrive la crise de 2008 et l’élan est brisé. Même si, reconnaissons lui cela, l’hyperprésident a plutôt bien géré les banques (il y a tant d’amis !) et évité la banqueroute. S’il n’est qu’un seul discours à retenir de l’aspect économique du mandat Sarkozy, elle est signée François Fillon : « Je suis à la tête d’un Etat qui est en situation de faillite sur le plan financier, je suis à la tête d’un Etat qui est depuis 15 ans en déficit chronique, je suis à la tête d’un Etat qui n’a jamais voté un budget en équilibre depuis 25 ans. (…) ça ne peut pas durer ». Et pourtant, « çà » va durer voire s’amplifier par la suite.

Economiquement les gouvernements sous Hollande ont essentiellement mis en place une politique de l’offre avec des résultats plus que nuancés. Rappelons que de 2014 à 2016 c’est le banquier Emmanuel Macron qui est en charge de l’Economie succédant à l’étatiste Montebourg. Il est clair que tout le mandat Hollande a montré son impuissance à redresser la compétitivité du made in France. Les déficits budgétaires n’ont jamais été contenus et l’endettement du pays a fleuri. Seul l’emploi, et encore en fin de mandat, a été amélioré. Si ses résultats économiques avaient été ne serait-ce que corrects, François Hollande aurait certainement pu se représenter. Or il a préféré battre en retraite comme jamais un de ses prédécesseurs ne l’avait fait.

La tramway nommé déficit est devenue totalement incontrôlable sous Macron. Lors du premier mandat, et à cause des crises (notamment le Covid) il a dû ouvrir les vannes. La politique du quoi qu’il en coûte pouvait s’expliquer dès l’instant qu’elle était compensée à moyen terme.  Comme ça n’a pas été du tout le cas, les déficits ont fait flores et le pays en est arrivé à l’état que l’on connait depuis mars dernier.

Après avoir appris (par la presse) que le déficit de la France s’établissait officiellement à 5,6 % du PIB pour 2023, la Commission des finances a décidé d’utiliser son pouvoir de contrôle pour vérifier « sur place et sur pièces » directement ces chiffres auprès du ministère de l’Économie. Le rapporteur Jean-François Husson dénonce la « rétention d’information » du gouvernement, face au dérapage du déficit public que prévoient les services de Bercy pour les années à venir. Surtout, ces chiffres « témoignent d’une gestion budgétaire calamiteuse du gouvernement, incapable de suivre la trajectoire budgétaire qu’il a lui-même fait adopter par 49.3 », déplore Jean-François Husson. Une situation dont la responsabilité revient, juge le sénateur, uniquement aux gouvernements successifs des deux mandats d’Emmanuel Macron, qui avait hérité « d’un budget dans les clous » en 2017.  Le « dans les clous » veut simplement dire que la situation sous Hollande était moins pire que celle à laquelle on assiste. 

Rappelons tout de même qu’un écart de 65 milliards d’euros existe entre les prévisions et le déficit attendu en 2025. Le sénateur Husson a aussi évoqué cette note dont Bercy avait caché l’existence au Parlement. « Rétention d’information » ? Assurément. Budget insincère de toute évidence. Le principe de sincérité est un principe de base du droit des finances publiques. Il se définit à un double titre. Budgétaire avec l’absence d’intention de fausser les grandes lignes de l’équilibre déterminé par la loi de finances. Comptable : exigence d’exactitude des comptes.  Selon le Code Général des Collectivités Territoriales, un exécutif local qui ferait adopter un budget en contrevenant à ces bases serait passible du Tribunal Administratif. Pour l’Etat c’est beaucoup plus compliqué. Comme le note notre éminent collègue Dominique Rousseau, le principe de sincérité se trouve à la frontière du droit et de l’appréciation politique, « nécessaire à affirmer, impossible – ou quasi impossible – à contrôler, telle est la situation improbable du principe de sincérité ». D’ailleurs le Conseil constitutionnel n’a jamais censuré une loi de finances en raison du non-respect du principe de sincérité.

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Le tramway déficit a donc pris une allure assez inédite.  Le sénateur Husson le dit : « c’est un déficit que nous n’avons jamais connu sous la cinquième République, hors périodes de crise ».  Mais les documents consultés par le sénateur révèlent une situation « pire encore » : « si rien n’est fait », les services de Bercy prévoient la poursuite de ce dérapage en 2024 et en 2025, avec des prévisions de déficit respectivement établies à 5,7 % et 5,9 %.

Beaucoup d’observateurs ont évoqué un « dérapage » des finances publiques. Si l’on en reste à notre métaphore du tramway, le dérapage d’un tel engin implique un accident. Le 26 mars, fait rarissime, le gouverneur de la Banque de France a pris la parole. Il a appelé à s’occuper « enfin sérieusement des dépenses ». Quel doux euphémisme ! François Villeroy de Galhau, ledit gouverneur, a estimé que le dérapage du déficit en 2023 imposait de s’occuper enfin sérieusement des dépenses après « quinze ans » sans que les gouvernements tiennent leurs engagements. 2023 moins quinze cela fait 2008. Nous étions en pleine crise financière. En tout état de cause le gouverneur implique bien une responsabilité qui incombe à la fin du mandat Sarkozy mais surtout à celui de Hollande (E. Macron y était, on l’a dit, un acteur majeur) et donc ceux d’Emmanuel Macron.

Le Mozart de la Finance fait beaucoup de fausses notes !

Alors que propose le gouvernement pour que l’accident du tramway déficit soit le moins périlleux possible ? Les coupes budgétaires de 10 milliards d’euros annoncées par Bruno Le Maire au mois de février sont selon le sénateur Husson « un avant-goût amer » des économies qui devront être faites pour redresser la barre. « La procrastination, ça suffit », tance le rapporteur, qui demande désormais au ministre de l’Économie des explications.

Selon le gouvernement, ces 10 milliards d’euros d’économies sont pour moitié ciblés sur certaines politiques publiques et pour moitié répartis sur l’ensemble des ministères. L’écologie, le développement et la mobilité durables sont les plus touchés. Les écolos avec lesquels E. Macron avait pactisé durant son premier mandat apprécieront. On ne les a toutefois pas écoutés. Notons que l’école, doxa de Macron et surtout d’Attal, subit aussi des coupes assez franches. Les missions « Enseignement scolaire » et « Recherche et enseignement supérieur » connaissent respectivement des annulations de 691 millions d’euros et de 904 millions d’euros. Si les enseignements publics des premiers et seconds degrés cumulent l’annulation de 261 millions d’euros, l’enseignement privé perd 98 millions d’euros.

Et puis, même s’il s’en défend, le gouvernement va dans quelques temps augmenter peu ou prou les impôts. C’est la technique incontournable et la plus usitée quand ça ne va pas. Bien sûr il n’osera pas (encore ?) toucher à celui sur le revenu. Il va d’abord le faire sur les impôts indirects. Mais comme le notait Alphonse Karr “Les impôts indirects sont des impôts hypocrites.” Alors oui, le tramway nommé déficit est en perdition car le conducteur-président conduit à vue, à l’aveugle même, parfois. Il a perdu son GPS. Plutôt que de s’énerver sur des sacs de boxe depuis quelques temps, Emmanuel Macron ferait mieux d’apprendre à conduire.

Nous, la question qui nous taraude est la suivante. Aller dans le mur, à une vitesse assez élevée, c’est fort probable mais avons-nous de bons freins et quelques airbags ?




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Maître de conférences en droit - Université Clermont Auvergne

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