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Gestion forestiere «à la française»: une excellence à défendre

Une tribune libre d'Hubert De Langle, propriétaire forestier en Lorraine


Gestion forestiere «à la française»: une excellence à défendre
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Les forêts couvrent 31% du territoire métropolitain. Une grande richesse. Le défi du siècle: renforcer la résistance de nos forêts, qui seront fortement affectées par le réchauffement climatique.


Dans l’actualité, « forêt » renvoie souvent à des images funestes – feux ravageurs et déforestation galopante. Si les incendies de grande ampleur touchent en effet l’ensemble des pays, les pratiques françaises en matière de sauvegarde des forêts contrastent avec celles de nos voisins. Notre pays se distingue en effet par l’excellence de sa gestion forestière – responsable, durable et résiliente au changement climatique. La France doit cette position enviable à sa singulière stratégie forestière et à la qualité du travail de ses forestiers. Très attachés à leurs forêts, les Français doivent prendre conscience que ceux qui les gèrent le font avec passion, savoir-faire et volonté d’en prendre soin.

La reforestation : un objectif planétaire, une réalité française

La préservation de la forêt, puits de carbone et refuge de la biodiversité, est un enjeu environnemental de premier ordre. En 2021, les dirigeants de plus de 100 pays et territoires se sont ainsi engagés à stopper la déforestation mondiale d’ici 2030, et basculer ensuite vers la reforestation. Cette lutte semble toutefois mal engagée : loin de refluer, la déforestation mondiale s’est accrue de 4 % en 2022.

Comme aucun autre discours n’est audible, les Français pensent qu’il en va de même pour leurs chères forêts – saccagées, coupées, rasées, pour laisser place à des immeubles ou des autoroutes. Les trois-quarts des Français s’imaginent ainsi que la surface de la forêt, en France, a reculé depuis deux siècles. Elle a en fait doublé sur la période. En effet, les derniers chiffres de l’IGN montrent que les forêts françaises couvraient, en 2022, 31% du territoire métropolitain, pour 17,3 millions d’hectares. C’était seulement 19 % en 1908 ! Cette dynamique de reforestation s’est même accélérée ces dernières décennies : depuis 1950, la forêt française gagne en moyenne 80 000 hectares par an.

Notre pays tire ici les bénéfices d’une stratégie singulière, qui gagnerait à être imitée: privilégier, sur tout le territoire, une gestion multifonctionnelle des forêts – à la fois écologique, sociale et économique, tout en renforçant leur résilience au changement climatique.

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La France profite également de l’excellence du travail de ses forestiers, et plus généralement de ses réseaux d’experts. Notre filière forêt-bois est structurée et efficace, avec différents organismes aux rôles complémentaires, chargés de sauvegarder, soigner, valoriser et faire croître nos forêts. Parmi eux, on citera en exemple l’Office National des Forêts (ONF), en charge de la gestion durable des forêts publiques, qui joue un rôle prépondérant dans la préservation et le développement de ces espaces. L’Union de la Coopération Forestière Française (UCFF), qui représente et soutient les coopératives forestières, contribuant au développement durable de la filière. Enfin, Fransylva, une fédération représentant et défendant les intérêts des propriétaires forestiers en France auprès des instances locales, nationales et internationales​​ et le CNPF (Centre national de la propriété forestière), un établissement public français chargé du développement de la gestion durable des forêts privées, comptent parmi les associations qui s’engagent au quotidien dans la gestion et la préservation des forêts.

Ces organismes, comme l’ensemble du réseau français, travaillent main dans la main avec les propriétaires forestiers, eux aussi conscients des enjeux environnementaux et désireux, dans leur majorité, de participer à cet effort collectif. Notons enfin, la collaboration indispensable de l’ONCFS (Office national de la chasse et de la faune sauvage) qui joue un grand rôle dans l’équilibre sylvo-cynégétique.

Une gestion durable favorable au climat et à la biodiversité

Cette collaboration soutient une approche forestière durable, notamment en favorisant les forêts étagées et mélangées[1], et le couvert forestier continu. Cette stratégie permet d’accueillir une densité végétale accrue : elle se traduit par une hausse spectaculaire du taux de stockage de carbone des forêts françaises, passé de 58 tonnes de CO2 par hectare en 1981 à 81 tonnes par hectare en 2022. En 40 ans, le puits de carbone offert par les forêts françaises a ainsi presque doublé[2].

Mais le bénéfice environnemental de cette gestion vertueuse va plus loin : elle renforce la résistance de nos forêts, elles aussi fortement touchées par le réchauffement climatique. Par exemple, la hausse de la mortalité des arbres qui en découle compromet de fragiles équilibres : la filière française s’attache ainsi à rendre les forêts plus résistantes à la chaleur, à combattre les invasions de ravageurs (que favorisent les automnes doux) tout en préservant la biodiversité, à réparer les massifs démolis par les tempêtes, ou encore à replanter les forêts détruites par les incendies. Elle participe ainsi à réduire l’impact des catastrophes naturelles et accompagne la régénération des populations après des épisodes de crise.

C’est également une stratégie d’anticipation que déploie la filière. La France métropolitaine possède en effet les forêts les plus variées d’Europe. Avec 190 essences d’arbres différentes, elle compte près de trois quarts des essences présentes en Europe. Par cette diversité, les forêts tricolores offrent ainsi une grande variété d’écosystèmes forestiers, leur garantissant une plus grande résilience face au réchauffement, et une large biodiversité pour les autres végétaux et les animaux.

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Cette biodiversité est également favorisée par la sauvegarde des forêts anciennes. Cette gestion de la maturité des forêts est là aussi un enjeu crucial dans la gestion forestière durable. En plus d’être un habitat idéal pour toutes sortes de faunes et de flores, les forêts âgées ont une plus grande capacité à produire du bois et à séquestrer le dioxyde de carbone. Cela souligne l’importance d’une stratégie de gestion qui ne doit pas se limiter à la reforestation ou à des objectifs exclusivement productivistes. Il convient, comme la filière le fait, de prendre en compte la protection et l’entretien des forêts existantes pour maximiser leur potentiel écologique et leur contribution à la lutte contre le changement climatique.

Fierté et confiance

Seule ombre au tableau : malgré la bonne volonté de la plupart des propriétaires, 40% des surfaces forestières privées[3] ne sont pas véritablement gérées, par manque de moyen, de temps et de savoir-faire. Notre stratégie forestière doit mieux prendre en compte ce morcellement du territoire forestier en petites parcelles privées, notamment par un soutien de l’État aux plus petits propriétaires : nous pourrons ainsi synchroniser et harmoniser l’ensemble de nos pratiques forestières vers la durabilité.

Si les pouvoirs publics sont attentifs aux besoins des forêts et aux risques qui les menacent, il reste bien sûr beaucoup à faire. Des dispositifs comme le plan incendie de l’été 2023, ou le plan pour le renouvellement forestier (PNRF), attendu pour la fin de l’année 2023, participent cependant à conserver l’avance de la France sur ses voisins dans la gestion raisonnée de son trésor forestier.

Malgré les signaux forts qui brouillent l’image de nos forêts auprès des Français, la France peut s’enorgueillir, avec mesure, tant les chantiers nécessaires sont encore grands et les enjeux à venir importants, de la qualité de sa gestion des forêts, durable et cohérente avec cette urgence climatique. Pragmatique, privilégiant la résilience et le long-terme, pansant efficacement les plaies des catastrophes, la filière forêt-bois française fait figure de référence pour nos voisins, et se positionne en première ligne des défis majeurs de notre siècle.


[1] Avec des arbres de tailles et d’âges différents, associant plusieurs essences d’arbres, par opposition à la monoculture avec des arbres d’âge identique, beaucoup plus sensible aux catastrophes et aux ravageurs.

[2] En combinant la double hausse des surfaces forestières et du captage par hectare.

[3] Soit 30 % de la surface forestière totale, 75 % de cette dernière étant détenue par des propriétaires privés.



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