Génération « J’ai le droit ». Curieux titre qui s’éclaire très vite : cette génération, dit Barbara Lefebvre (enseignante d’histoire-géographie, exerçant depuis toujours en proche banlieue parisienne, et qui se fit connaître il y a quinze ans — quinze ans ! Et rien de fait !— en participant aux Territoires perdus de la République avec Georges Bensoussan, alias Emmanuel Brenner) — cette génération donc est celle du selfie, de l’élève au centre et d’un ego dilaté qui ne se conjugue au pluriel que sous la forme du communautarisme. La faute à Rousseau !, ai-je expliqué par ailleurs. « ‘Je’ prend tout l’espace, écrase par son irréductible souveraineté un « Nous » qui aura servi au genre humain à faire société depuis des siècles, sinon des millénaires. » Ni société, ni nation. Le Je du « j’ai le droit » est le rêve des marchands qui pensent que la disparition des Etats-nations leur permettra de vendre plus de portables et de gadgets électroniques. C’est un ‘Je’ d’autant plus certain de son importance qu’il est en fait à valeur nulle.
L’école des Merah, Kouachi, Coulibaly…
C’est aussi la génération de l’école sacrifiée aux idées létales des pédagos. Comme elle le dit avec force, « ils étaient dans nos classes, dans les années 1990 et 2000, les Merah, Fofana, Kouachi, Coulibaly et d’autres « déséquilibrés » venus à leur suite». « Déséquilibrés » est entre guillemets parce que Barbara Lefebvre n’adhère pas — mais alors, pas le moins du monde — au discours lénifiant qui voudraient que les auteurs d’attentats soient juste des détraqués. C’est l’islam en soi, dans la lecture qu’impose le wahhabisme, qui est détraqué — et « le hijab est le drapeau de l’islam radical ». Bref, c’est un livre où l’on ne fait pas de prisonniers.
Comment tout cela a-t-il commencé ? « Depuis presque un demi-siècle une nomenklatura intellectuelle se sera érigée en mère-la-morale. » Ça, c’est le décor lointain. Puis la caméra se rapproche, et filme le lieu du désastre. « [À l’école] l’enfant fait l’expérience fondatrice du déplacement d’identité qui fonde toute société humaine : enfant de ses parents, il devient élève de sa classe (…) Le fait de devenir élève ne signifie pas l’effacement de son identité d’enfant, mais l’apprentissage d’une coexistence nécessaire pour s’instruire, pour apprendre à se détacher de lui-même et vivre dans cette société en miniature qu’est l’école. (…) C’est un effort auquel certains enseignants n’obligent plus l’enfant, car ce serait contraire à son libre développement. » La faute à Rousseau, vous dis-je ! Emile, Kevin et Mohammed sont désormais des sujets. Des roseaux pensants — surtout s’ils sont dépensants.
L’assassinat de l’histoire et du français
« La dévastation de l’école républicaine, continue Lefebvre, s’est construite sur un renoncement majeur : celui de l’héritage culturel via la langue française. En rendant impossible une véritable maîtrise de la langue française par tous les enfants, en la réduisant à une langue de communication purgée de toute nuance, de toute grammaire, de toute référence, en se gardant de leur imposer les codes culturels nécessaires pour entrer dans le monde, on est parvenu à déraciner déjà deux générations de Français, celle des années 1980 et celle des années 2000. »
« Le français et sa littérature d’une part, l’histoire, d’autre part, sont les mamelles de l’identité nationale. C’est pourquoi déraciner l’enseignement de ces deux disciplines était primordial pour les guérilleros du multiculturalisme postmoderne, du libéralisme mondialisé, de l’individu atomisé. » J’ai expliqué moi-même tout cela dans Voltaire ou le jihad et dans C’est le français qu’on assassine. Mais cela fait toujours plaisir de constater qu’il y a deux Cassandres qui hurlent dans le désert.
S’ensuivent deux chapitres fort documentés sur la façon dont la méthode Foucambert a supplanté la méthode syllabique, de façon à fabriquer des illettrés, et dont les idéologues d’Aggiornamento ont subverti les programmes d’Histoire, en en faisant « l’otage des identités et des mémoires qui clament leur « droit » dans une concurrence effrénée avec des revendications mémorielles. Rien d’étonnant si Macron se réfère volontiers à Patrick Boucheron, l’auteur de cette Histoire mondiale de la France qui prétend « organiser la résistance face au « roman national » » — pauvre cloche qui tinte au Collège de France.
Pourtant, de remarquables historiens de gauche (Pierre Nora, Marc Ferro, Jean-Pierre Vernant ou Pierre Vidal-Naquet, entre autres) se sont éloquemment élevés contre la mainmise de l’Etat sur le « devoir de mémoire ». Peine perdue — leur voix ne portent pas face aux hurlements des idéologues qui se prétendent historiens, et qui confondent droit à l’Histoire et devoir de mémoire.
La génération Bondy Blog
Résultat ? « Une jeunesse abandonnée, livrée à elle-même. La génération « j’ai le droit ». Tout cela procède de l’acculturation, de l’abandon intellectuel auquel l’institution scolaire les a voués en se mettant à leur niveau au lieu de les élever. »
Comme Carole Barjon l’année dernière, Barbara Lefebvre aime bien nommer un chat un chat, et un idéologue un crétin patenté. Et de dénoncer « les vigilants chiens de garde progressistes du Café pédagogique, du collectif Aggiornamento et de leurs affidés blogueurs sur Mediapart ou le Bondy Blog ». Ou Gregory Chambat, qui « consacre une partie de son site internet à la traque des fascistes qui dominent actuellement, selon lui, le débat d’idées sur l’école. »
À noter que l’on doit tout de même à Chambat une bibliographie presque complète de l’anti-pédagogisme qui permettra à chacun de savoir ce qui lui manque…
Prof d’Histoire-Géographie, elle ne révère ni Francis Fukuyama, ni Emmanuel Macron : « Après avoir essayé de nous faire croire en 1989 que l’histoire était finie, on rejoue maintenant la musique du progressisme : l’histoire est « en marche » ! » Sans doute fait-elle partie de ces « tristes esprits englués dans l’invective permanente », comme a dit Macron (dans Un personnage de roman, de Philippe Besson, Julliard, 2017). Ni Vallaud-Belkacem : « La réforme du collège qui a suivi la loi de refondation de l’école a été la gifle de trop. » Ni Blanquer, dont elle doute qu’il…
>>> Lisez la suite de l’article sur le blog de Jean-Paul Brighelli <<<
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