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Conservateurs, oubliez Robespierre !

Tout n'est pas à jeter dans 1789, même pour un esprit conservateur


Conservateurs, oubliez Robespierre !
Maximilien de Robespierre (à gauche) et Alexis de Tocqueville (®DeAgostini/Leemage)

Si le Dictionnaire du conservatisme que publient les éditions du Cerf réhabilite avec brio un courant de pensée souvent diabolisé, on regrettera certains partis pris contre-révolutionnaires. Car tout n’est pas à jeter dans 1789, même pour un esprit conservateur.


La publication d’un volumineux Dictionnaire du conservatisme vient à son heure dans un pays qui a élu un jeune président qui entend remodeler la vie politique autour d’un nouveau clivage entre « conservatisme » et « progressisme » et paraît suffisamment libéral pour ne guère laisser à la droite d’opposition d’autre choix que celui d’assumer une identité « conservatrice ». Dans la plupart des démocraties, la politique s’organise naturellement autour de trois courants majeurs, le conservatisme, le libéralisme et le radicalisme (éventuellement socialiste). En France, la majeure partie de la gauche refuse avec indignation d’être dite libérale, et la droite ne veut surtout pas paraître « conservatrice ».

Le conservatisme fait sa révolution

Les responsables du Dictionnaire prennent acte d’un changement en cours, qui s’est manifesté depuis deux ans par quelques publications significatives[tooltips content= »Voir par exemple Laetitia Strauch-Bonart, Vous avez dit conservateur ?, Éditions du Cerf, 2016, et Jean-Philippe Vincent, Qu’est-ce que le conservatisme ? Histoire intellectuelle d’une idée politique, Les Belles Lettres, 2016. »]1[/tooltips] et qui, surtout, semble travailler en profondeur la partie la plus politisée de la droite, depuis les manifestations de la Manif pour tous jusqu’au large succès de François Fillon à la primaire de la droite et du centre. Ils n’ignorent pas que le conservatisme a eu en France une histoire difficile, mais ils font le pari qu’il a des racines profondes dans la société et dans la politique françaises, et ils saluent avec bonheur sa légitimation en cours dans une partie du monde intellectuel.

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Le projet est donc légitime, et il est naturel que, s’agissant d’un courant qui varie sans cesse selon ce qu’il s’agit de « conserver », il conduise à rassembler sous l’étiquette « conservateur » des politiques et des pensées très diverses et souvent opposées, et à les faire présenter par des auteurs qui ne sont pas tous conservateurs de la même manière. On ne se plaindra pas de ce pluralisme, qui permet de proposer quelques points de vue originaux tout en présentant l’essentiel de ce qu’on est en droit d’attendre dans un Dictionnaire du conservatisme, c’est-à-dire les grands auteurs (Burke, Kirk, MacIntyre, Oakeshott) et les grands thèmes (la tradition, la communauté, la critique de l’Utopie ou de l’individualisme), sans oublier quelques figures politiques majeures (Disraeli, Churchill, Reagan, Thatcher et, pour la France, de Gaulle). Il reste néanmoins que, au fur et à mesure que l’on avance dans la lecture de l’ouvrage, on éprouve une certaine perplexité, qui vient du sentiment que celui-ci hésite entre une définition sans doute trop large du conservatisme (« des conservateurs apparaissent dès lors qu’ont lieu des transformations significatives », ce qui fait que Démosthène est conservateur contre Philippe, ou Julien l’Apostat contre les chrétiens, ou les vieux dirigeants soviétiques face à la perestroïka) et une approche très française, qui appelle « conservatisme » tout ce qui réagit à et contre la Révolution française.

Un conservatisme ? Des conservateurs !

Les maîtres d’œuvre de l’ouvrage n’ignorent pas que l’adjectif conservateur a eu des usages très divers, y compris chez des acteurs ou des héritiers de la Révolution qui, comme Sieyès ou plus tard Thiers et même Gambetta, voulaient « conserver » l’héritage de 1789, mais on y trouve aussi un autre point de vue, que Philippe Bénéton développe avec rigueur dans l’article « Pensée conservatrice » : le « conservatisme » se définit par une opposition de principe, d’inspiration chrétienne, à la Révolution, dont la radicalité première aurait ensuite cédé la place à un « conservatisme moderne que l’on peut aussi appeler le libéralisme conservateur » (p. 725). Cette définition est séduisante, mais elle me paraît à la fois philosophiquement fragile et historiquement douteuse : d’un côté, la pensée conservatrice moderne préexiste à la Révolution et elle peut être fort peu chrétienne, comme c’est le cas chez Hume, et, de l’autre, il est en fait difficile de définir comme vraiment « conservateurs » des auteurs comme Maistre, Bonald ou Maurras. Le plus grand critique de la Révolution, Burke, est d’ailleurs déjà un « libéral conservateur » – dont l’argumentation sera néanmoins refusée par tous les grands libéraux français, y compris Rémusat ou Tocqueville, parce que ceux-ci considèrent que, en France, la cause libérale ne peut pas être entièrement détachée de celle de 1789.

Plus de défaites que de victoires ?

Philippe Bénéton n’en a pas moins le mérite d’exprimer une difficulté centrale dans l’histoire du conservatisme en France : des idées et des affects qui trouvaient une expression naturelle dans les partis conservateurs libéraux ou chrétiens ont été progressivement marginalisés dans la politique française et ont fini par être captés par un courant antilibéral, qui a trouvé son expression achevée dans l’Action française – et qui a contribué à la marginalisation de la droite en empêchant le développement de vrais partis conservateurs. Cette évolution n’était sans doute pas fatale, comme on le voit en lisant certaines contributions qui montrent bien que, sous des formes diverses, le « conservatisme » a longtemps coexisté tranquillement avec le « libéralisme » dans la politique orléaniste (et même chez un légitimiste comme Chateaubriand), mais elle a fini par s’imposer à la majorité des catholiques conservateurs sous la IIIe République et on en trouve des échos dans ce Dictionnaire. Certains auteurs, qui nous disent que la « gauche » est tout entière « issue des grandes falsifications ou perversions du christianisme » (« Droite/gauche ») ou que la modernité est fondamentalement « luciférienne » (« Religion »), semblent tenir le Syllabus et l’Encyclique Quanta cura pour des classiques du conservatisme.

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La plupart des contributeurs savent bien, comme le montre Olivier Dard dans l’article qu’il consacre à Maurras, que le refus de reconnaître quoi que ce soit à la République, fût-elle « conservatrice », conduit à une « contradiction insoluble », mais à lire Le Dictionnaire du conservatisme, on a souvent l’impression que, en France, le poids du passé révolutionnaire (et républicain) est tel que l’histoire du conservatisme français est plus fait de défaites que de victoires. Si les conservateurs français veulent sortir de cette malédiction, plutôt que de déplorer les prétendues trahisons des libéraux et des modérés, il leur faudra sans doute s’interroger sur leurs propres défaillances et s’intéresser davantage à la façon dont la France républicaine (gauche comprise) a su, à sa manière, satisfaire certaines aspirations conservatrices.

Le Dictionnaire du conservatisme, sous la direction de Christophe Boutin, Frédéric Rouvillois, Olivier Dard, Éditions du Cerf, novembre 2017.

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Février 2018 - #54

Article extrait du Magazine Causeur




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