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Citrouilles et chrysanthèmes


Le succès d’Halloween suscite une contre-offensive. Ceux qui dénoncent ses origines douteuses et son caractère frelaté et purement commercial reçoivent le soutien d’un vieil ennemi de la citrouille maléfique. En effet, l’Eglise voit en elle le symbole de la déchristianisation et une rivale mortelle pour la Toussaint. Alors que les trompettes du bushisme résonnent en Irak, et que les actions de l’Amérique sont au plus bas, la guerre d’Halloween semble gagnable. Déjà, en 1999 un groupe d’évêques français avait sonné le tocsin, dénonçant une «paganisation». Pour venir à bout des citrouilles, elle sonne le rappel des chrysanthèmes. Pour Halloween 2002, le diocèse de Paris lance une campagne visant à rallier les jeunes à la cause de la Toussaint. «Holy wins» : le slogan destiné à mobiliser les masses pour bouter l’ennemi hors de France, est bizarrement rédigé en anglais. La «troupe de choc» est composée de membres de communautés charismatiques dont les méthodes sont fortement inspirées par celles des Eglises évangéliques et pentecôtistes américaines. En somme, la ligne de Rome est la même depuis la Contre Réforme : pour vaincre les Protestants, il faut en quelque sorte en devenir un. Cela n’empêche pas la Fédération protestante de France de s’associer à la croisade. A cette opposition cléricale s’en ajoute une autre, laïque, formée de républicains sourcilleux qui observent, désabusés, l’effilochement de la nation. Le cortège citrouillophobe est fermé par une association d’extrême droite qui prétend réconcilier la Nouvelle droite et les catholiques traditionalistes ; elle lance un collectif «Non à Halloween», qualifiée de «fête américanoïde».

La citrouille est-elle KO ? On est tenté de le croire, même si le chrysanthème n’en a guère tiré parti. A partir de 2003, Halloween commence son déclin. L’internet est devenu le cimetière de ses adversaires et de ses partisans. Ainsi, le site animé par Optus-Opus, propriétaire de la marque pour l’alimentation, n’est plus mis à jour depuis 2004. Celui du collectif «non à Halloween» affiche toujours la campagne anti-citrouille de 2004. En 2007, Euro Disney organise une seule soirée Halloween. Et, dès la mi-octobre, la grande distribution a sorti l’artillerie de Noël, preuve qu’elle ne compte plus sur l’orange-et-noir pour forcer les portefeuilles.

Certes, ni Paris, ni Carrefour ne résument la France. Avec leurs portes codées et leurs parents paniqués, les zones urbaines ne constituent pas un environnement très favorable à Halloween. Mais, de même qu’aux Etats-Unis, elle est particulièrement appréciée dans les banlieues pavillonnaires où les enfants peuvent s’adonner sans danger au « trick or treat », elle est relativement bien implantée dans un nombre difficile à évaluer de petites communes françaises. Bref, il est peut-être prématuré d’envoyer des chrysanthèmes à la citrouille.

Au risque de mettre les pieds dans le plat, on peut surtout s’interroger sur la pertinence de bataille contre cette fête venue d’ailleurs. Les réflexes pavloviens déclenchés par les mots « Amérique » ou « marché » nous ont peut-être cachés les charmes pas tout-à-fait innocents d’Halloween. A la différence de la Fête de la Musique (célébrée par tous les contempteurs de la citrouille) ou de celle des secrétaires, Halloween (dont le nom, all hallow eve, signifie « veille de la Toussaint ») est intégrée au cycle de saisons de l’hémisphère nord. Six mois après les journées de mai qui incarnent la vie et le renouveau printanier, il n’est pas absurde de s’intéresser à la mort, que cela soit ou non dans un cadre religieux. On peut, sans faire preuve d’un atlantisme criminel, penser qu’il pourrait y avoir là une occasion de réinventer une fête fédératrice. Après tout, rien n’est plus commun aux humains que la mort – même si nos sociétés s’emploient à l’oublier. Son évocation ritualisée dans un cadre cyclique est aussi une façon de placer notre finitude dans une forme de continuité.



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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