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Carlo Guido, ténor héroïque!

Nous retrouvons Carlo Guido dans un restaurant italien de la capitale, pour une riche et très longue discussion à l’italienne...


Carlo Guido, ténor héroïque!
Carlo Guido. ©Daniel Welch

Carlo Guido, ténor excellant dans les rôles requérant beaucoup de coffre et de puissance, regrette la désaffection du monde lyrique français pour les « grosses » voix. Il nous livre ses souvenirs et ses coups de gueule contre un milieu qu’il considère en décadence.


Je me souviens de ma première fois à l’opéra. J’avais 25 ans. Je me rappelle ma surprise d’entendre si peu les voix des chanteurs. Cela s’est ensuite répété lors de mes sorties suivantes. Je n’avais jusque-là écouté cette musique que sur des CD. J’en avais alors parlé à Michel Fau dont la passion et la culture opératique sont colossales. Il m’avait expliqué que les grosses voix étaient, malheureusement, de moins en moins engagées, qu’il n’y avait plus de Mario del Monaco ou de Franco Corelli. Et il ajoutait : « Si ! j’ai bossé avec un mec qui est un chanteur de cette trempe : Carlo Guido. » Carlo Guido, un nom malheureusement absent des affiches. Au début de sa carrière, il a pourtant chanté des rôles parmi les plus importants du répertoire : Don José dans Carmen, Mario Cavaradossi dans Tosca, Turiddu dans Cavalleria Rusticana ou encore le rôle-titre de Don Carlo. Et cela dans des lieux tels que l’Opéra de Gênes, de Naples (Teatrodi San Carlo), de Shanghaï ou encore dans les arènes de Vérone, de Madrid et de Nîmes. Fau regrette cette désaffection, dans le monde de l’opérafrançais, pour ces grosses voix pourtant indispensables à une partie du répertoire. Alain Fondary– baryton iconique ayant partagé l’affiche avec Karajan, Pavarotti ou Shirley Verrett — lui a dit un jour : « Dans une autre époque que la nôtre, Carlo aurait été une star ! » C’est malheureusement bien dans notre époque que nous vivons. Nous retrouvons Carlo Guido dans un restaurant italien de la capitale pour une riche et très longue discussion à l’italienne, arrosée de beaucoup de vin et de rires, dont nous ne pourrons malheureusement publier ici que quelques extraits.


Causeur. Quand et comment la musique est-elle arrivée dans votre vie ?

Carlo Guido. À l’adolescence. Mes parents étaient des immigrés italiens. Pour nous, les problèmes psychologiques, ça n’existait pas. Il n’y avait que le travail. Mon père travaillait très dur. Et pour adoucir la peine physique, en rentrant du travail, il se mettait dans la chaise longue sur la terrasse et demandait à ma sœur ou à moi de lui mettre les disques des vieux chanteurs d’opéra : Beniamino Gigli, Mario del Monaco ou encore Luciano Pavarotti. Et dès que la musique commençait, je voyais mon père se détendre et prendre un pied incroyable à écouter ça. Cette musique effaçait sa peine et sa fatigue. Très vite, vers 12 ans, j’ai eu envie d’être à la place de ces chanteurs dont les pouvoirs de la voix me fascinaient. Et puis, ce que j’aimais chez eux aussi, c’était l’extravagance. Les chanteurs d’autrefois, ceux que nous écoutions à la maison, n’étaient pas du genre minimaliste. C’était énorme, incarné, avec des voix colossales !

Vous vous êtes inscrit dans un cours de chant ?

Ma sœur jouait du piano. J’ai demandé à son prof de m’entendre. Il m’a dit que j’avais une bonne voix. Je me suis ensuite présenté au conservatoire de Nice où j’ai été pris. Je travaillais en même temps dans l’entreprise de bâtiment de mon père. J’y travaillais trois semaines et ensuite, avec l’argent que j’avais gagné, je partais trois semaines en Italie prendre des cours et écouter des concerts. Là-bas, j’ai connu la fin d’une époque. J’ai vu Madame Butterfly avec Ghena Dimitrova dans les arènes de Vérone ! Et tous ces grands artistes en fin de carrière que j’allais voir, je me débrouillais pour les trouver après les représentations. Lorsque le courant passait, ils me donnaient des cours ou parfois des conseils. J’ai ainsi connu Lando Bartolini ou encore Giuseppe Giacomini. J’ai eu la chance de prendre des leçons avec Franco Corelli, Carlo Bergonzi et Albert Lance. Plus tard, je me suis même retrouvé dans des productions à chanter en alternance avec certains d’entre eux. Ils faisaient la première représentation pour le « nom », et je faisais les suivantes.

Les engagements sont arrivés rapidement ?

Un jour, je suis allé à une audition à l’Opéra-Comique. Il y avait une ribambelle de chanteurs du monde entier. Jean-Marie Poilvé — l’un des plus grands agents lyriques, agent de Roberto Alagna, de Savary et de José Van Dam– était dans le jury. À la fin de l’audition, il remercie tout le monde. On sort. J’entends alors« Monsieur Guido, restez ! J’aimerais vous parler. Nous allons descendre prendre un café. » J’avais encore les mains pleines de ciment. J’étais en train de refaire un appartement place de Clichy ! Et là, au café, il me dit : « J’aimerais m’occuper de vous pour le monde entier. Ça va être dur, mais on va y arriver. » Dans l’année qui a suivi, j’ai eu des engagements dans des seconds rôles. J’ai commencé dans Nabucco à l’Opéra de Saint-Étienne. Ensuite j’ai fait Traviata. Le grand baryton Alain Fondary – qui était dans la distribution de Nabucco et qui m’aimait beaucoup– me dit un jour : « Viens avec moi, on doit aller voir Fontana, le directeur du Festival d’Avenches. » Ils m’ont fait chanter un air, et le type m’a directement donné cinq représentations de Tosca. Ça a été mon premier engagement dans un rôle principal. J’ai eu très vite d’excellentes critiques dans la presse.

Mario del Monaco en costume d’Otello dans l’opéra de Verdi. ©Daniel Welch

Mais j’insiste sur le fait que j’ai vraiment eu la chance de côtoyer des gens d’un monde aujourd’hui disparu. Et ce sont eux qui m’ont formé et inspiré. Ces gens avaient un rapport au chant totalement différent de ceux d’aujourd’hui. Les voix étaient énormes. Et c’est ça que j’aime. Lorsque j’ai fait Tosca avec Fondary et Giovanna Casolla, je suis sorti d’une répétition avec les oreilles qui sifflaient. Les voix étaient d’une puissance colossale. Après une représentation de Tosca, Casolla est venue me voir en sortant de scène et m’a dit : « Si vous ne faites pas le con, vous serez une star dans quelques années. » Je ne crois pas avoir fait le con mais…

Justement ! Mais quoi, alors ? Comment se fait-il que vous n’ayez pas eu la carrière que vous auriez sûrement dû avoir ? Et plus généralement, pourquoi en France n’avons-nous pas de « grosses voix » ?

Si, il y a moi (rires) ! Plus sérieusement, il y a plein de raisons. Déjà, je ne me suis jamais laissé marcher sur les pieds. Un jour, un metteur en scène m’a expliqué que s’il se faisait huer, c’est parce qu’il avait remué quelque chose chez le public. Ma réponse : « C’est peut-être tout simplement parce que tu as fait de la merde ! »Encore une porte que je me suis fermée. Outre cela, je dirais que beaucoup de chefs d’orchestre, aujourd’hui, ne savent pas travailler avec les grosses voix. C’est pour cela qu’ils ne les engagent pas. Ils sont emmerdés, ils ne savent pas comment les gérer. Parce qu’une voix énorme, ça se gère ! Et puis, il y a aussi le fait que les metteurs en scène ont leur mot à dire sur les distributions et qu’ils choisissent souvent les chanteurs sur le physique. Parfois – souvent, même – on voit des chanteurs engagés dans des rôles très lourds vocalement, alors qu’ils n’en ont pas les moyens !

Carlo Guido dans « Tosca » de Puccini à l’Opéra de Dijon, 2003. Mise en scène de Michel Fau ©D.R

Il faut dire qu’il est fréquent que les chanteurs aux grosses voix soient eux-mêmes assez gros (bien que ce ne soit pas mon cas). Et la plupart des metteurs en scène ne veulent pas de gros ! Ils veulent des jeunes premières toutes minces et toutes jolies pour chanter les rôles de jeunes premières amoureuses. Mais à l’opéra, avant, ça ne se passait pas comme ça. Des énormes femmes de 50 ans jouaient des rôles de jeunes premières. Comme Montserrat Caballé, par exemple. Je vous assure que lorsque vous allez à l’opéra écouter un Verdi ou un Puccini aujourd’hui, vous entendez beaucoup moins bien les chanteurs qu’autrefois. Et au théâtre, c’est la même chose ! Qui, de nos jours, pour jouer Racine ? Qui pour jouer le rôle de Cyrano ? Ça devient compliqué. Ce sont des rôles lourds à endosser. On ne peut pas faire ça du bout des doigts. Il faut en avoir les moyens et la folie. Aujourd’hui, c’est l’embourgeoisement des artistes ! Tout est petit. Ils ne savent que faire petit, propre et « joli ». Moi, je suis fils d’ouvrier. Mes modèles sont les chanteurs favoris d’un ouvrier italien. Et chez les prolos italiens, on aime les grosses voix ! On veut avoir une décharge d’adrénaline quand un chanteur balance ses aigus. On veut écouter des tornades. Et ces chanteurs que j’aime étaient des chanteurs très populaires, adorés par le peuple. D’ailleurs, la puissance de leur voix avait quelque chose de l’ordre du don de soi, de la générosité. Le peuple s’est désormais éloigné de l’opéra qui est devenu un nid de petit-bourgeois wokistes et pseudo-intellos. Le peuple ne s’y retrouve plus !

Michel Fau a son mot à dire !

La première fois que j’ai vu Carlo Guido sur scène, c’était dans Le Trouvère de Verdi. Il chantait un second rôle, on ne voyait que lui. Son charisme déjà affirmé nous obligeait à nous demander pourquoi ce n’était pas lui qui chantait le rôle principal ! Plus tard, j’ai eu la joie de le mettre en scène dans Tosca. J’ai pu travailler avec quelqu’un qui n’était pas simplement un acteur doué, mais une véritable bête de scène d’une sensualité « plateau-génique » dotée d’une voix charnue et insolente ! J’ai appris à connaître l’être humain qui se révéla généreux, drôle (comme tous les gens intelligents), extravagant et d’une grande culture opératique, cinématographique et littéraire, ce qui est assez rare chez les chanteurs et les comédiens d’aujourd’hui ! Quand j’ai mis en scène Madame Butterfly, c’est moi qui l’ai choisi pour incarner Pinkerton contre l’avis du chef d’orchestre qui était un triste sire… Comme à chacune de ses prestations, Carlo galvanisait le public par sa puissance vocale et son investissement scénique. Je lui ai ensuite proposé le rôle du duc de Mantoue dans Rigoletto. Il hésita, me disant que sa voix était trop lourde pour ce rôle. Évidemment, chanté par lui, le personnage ressemblait plus à Mario del Monaco dans Otello qu’à un ténor léger et sautillant, mais sa beauté sauvage et son engagement dramatique mettaient en lumière les secrets décadents du rôle. Il était question que je le dirige dans Pagliacci, mais cela ne s’est malheureusement pas fait… Je rêve de Samson et d’Otello avec lui… Carlo Guido est une personnalité si rare ! BRAVISSIMO CARLITO DIVO !


N’y a-t-il pas un « bon goût » qui snobe les grosses voix, qui les trouverait même vulgaires ? Un jeune ténor français très à la mode (dont je tairai le nom) s’est un jour moqué de moi lorsque je lui ai dit que Mario del Monaco était un de mes chanteurs préférés…

Ce jeune ténor est un imbécile. Mario del Monaco est un des plus grands chanteurs de l’histoire. C’était une voix énorme doublée d’une bête de scène. Regardez-le dans Pagliacci ! C’est un sommet. C’est du génie pur. Il était à mon sens un des artistes lyriques les plus fascinants. Mais effectivement, aujourd’hui, beaucoup de gens « très comme il faut » trouvent que Del Monaco c’est too much, que c’est vulgaire. C’est trop pour eux ! Souvent, avec les grosses voix, on s’éloigne des canons de beauté de la petite-bourgeoisie contemporaine. Oui, les grosses voix en mettent partout, ça déborde ! Mais ça aussi c’est de la beauté ! De la beauté à sensations fortes. Je ne vais pas à l’opéra pour voir Monsieur et Madame Tout-le-Monde. J’y vais comme je vais au cirque. Je veux voir des monstres. La vérité, c’est que pour chanter Turandot, Butterfly ou Pagliacci, avoir une jolie voix ne suffit pas ! Il faut que ce soit monstrueux, surhumain.J’ai pris des claques énormes avec des chanteurs qui avaientparfois–surtout en fin de carrière–des voix presque laides.

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Selon vous, qui a été la dernière grosse voix française à avoir rencontré le succès et à avoir fait carrière ?

On peut dire que c’est Michèle Lagrange. Le sommet de sa carrière, c’était dans les années 1990. Et, déjà, elle était une exception.Je ne suis peut-être pas fait pour mon époque. Lorsque j’ai chanté Don José, dans le Carmen que nous avions monté dans les arènes de Madrid, j’étais le seul de la distribution à avoir refusé le micro. Tous les chanteurs étaient sonorisés. C’était eux-mêmes qui l’avaient exigé pour ne pas se fatiguer la voix. Pas moi ! Et le public m’en a été très reconnaissant. De toute façon, la musique, c’est entre le public et moi. J’ai souvent rencontré l’incompréhension, parfois le mépris, mais jamais de la part du public.

Octobre 2023 – Causeur #116

Article extrait du Magazine Causeur




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est comédien.

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