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Entre contacts et réalités du terrain : comprendre l’appareil d’État algérien


À la schlague
Xavier Raufer © IBO/SIPA

Selon le criminologue Xavier Raufer, l’agressivité croissante de nombreux Algériens de France envers leur pays d’accueil ne doit pas être confondue avec la crise diplomatique ouverte entre Abdelmadjid Tebboune et Emmanuel Macron. Que ce soit chez eux ou chez les autres, les régimes autoritaires n’aiment jamais le désordre


Jean-Baptiste Roques. D’où vous vient votre connaissance de l’appareil d’État algérien ?

Xavier Raufer. À l’Institut de criminologie de Paris, où j’ai enseigné pendant près de vingt ans, j’ai eu beaucoup d’étudiants des pays du Maghreb, dont des Algériens. Certains sont devenus des hauts cadres de l’appareil régalien de leur pays. J’ai gardé le contact avec plusieurs d’entre eux. Et puis je me suis souvent rendu à Alger, pour des conférences et des échanges, et j’ai ainsi tissé des relations de qualité avec des personnalités du pouvoir, certaines de haut niveau.

Le « pouvoir », dites-vous, comment s’organise-t-il ?

J’y distingue, pour aller vite, trois cercles, dominant chacun une époque. Le premier cercle, héritier de l’armée des frontières, les troupes de Boumediène, a joué un rôle crucial vers la fin de la guerre d’indépendance. Sa conception du nationalisme algérien est plus patriotique que révolutionnaire. Ses chefs sont souvent issus du corps des sous-officiers de l’armée française. Dans la génération suivante, le deuxième cercle est celui qui a mené la guerre du régime contre le GIA [Groupe islamique armé, NDLR] pendant la décennie noire (1992-2002). Parmi eux, les plus influents sont ceux du renseignement, puisque c’est d’abord sur ce terrain que la partie a été gagnée pour le pouvoir. Enfin, plus récemment, il y a eu la montée en puissance de la gendarmerie, car la lutte contre l’immigration clandestine venue d’Afrique subsaharienne est devenue un enjeu capital pour le pays. Ils obtiennent d’ailleurs de bons résultats en la matière, sans souci majeur de la bienséance et des droits de l’homme.

Comment avez-vous pu vous faire accepter par des nationalistes algériens, vous qui avez milité dans la droite nationale française ?

Lors de mes premiers contacts, pour éviter tout drame ultérieur, j’ai exposé ça clairement à mes interlocuteurs qui, en riant, m’ont répondu que c’était le passé et qu’ils croyaient à la « paix des braves ». Moins explicitement, je les ai sentis agacés par ceux qui venaient faire des courbettes devant eux, l’extrême gauche, les anticolonialistes, etc. Le dialogue franc et ouvert avec l’ex-adversaire leur convient mieux. Surtout, ce sont des métiers où l’on est forcément réaliste. En 1848, lord Palmerston, Premier ministre de la reine Victoria, a tout dit à ce sujet : « Nous n’avons pas d’alliés éternels ni d’ennemis perpétuels. Nos intérêts sont éternels et perpétuels, et il est de notre devoir de les suivre. » Dans la sphère du régalien, on applique d’usage cette maxime, les Algériens comme les autres. Et par la suite en Algérie, je n’ai jamais plus entendu parler de la colonisation ni de la guerre d’indépendance.

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Quand on lit la presse algérienne et quand on regarde les vidéos des désormais fameux influenceurs algériens prêcheurs de haine, on a quand même le sentiment d’une rancune tenace envers la France.

C’est indéniable, mais cela affecte davantage les Algériens vivant en France que ceux d’Algérie. Pour la jeunesse algérienne, la guerre d’indépendance, c’est la préhistoire – comme Verdun pour les jeunes Français. Quand mes correspondants à Alger m’ont dit avoir éliminé le GIA de la wilaya d’Alger, j’ai demandé à voir ce qu’il en était. On m’a donné un guide, un vieux monsieur, et j’ai descendu toute la Casbah d’Alger, seul avec lui. Quand les habitants, étonnés, lui demandaient qui j’étais, les réactions étaient amicales. Rien à voir avec le ressentiment des Algériens de France.

Comment expliquez-vous qu’une frange de la jeunesse franco-algérienne se distingue par la délinquance, voire par la criminalité dans notre pays, à l’image de la fameuse DZ Mafia de Marseille, aux méthodes barbares ?

Pendant quarante ans, la Ve République a laissé proliférer sur son sol des quartiers hors contrôle. Alors qu’on en dénombrait 22 sous Mitterrand en juillet 1983, il y en a près de 1 400 à présent. La criminalité de voie publique, qui émane à 90 % de ces secteurs, on la doit à l’incurie de notre propre politique de sécurité ! Mais cela n’arrange ou n’enchante pas tellement les autorités algériennes. Au contraire, le régime d’Alger se méfie de sa diaspora. Un jour, je rencontre le directeur général de la Sûreté nationale à Alger ; dont le directeur de cabinet est alors un de mes anciens étudiants. Il me montre un graphique sur lequel une courbe suit l’évolution des braquages dans la wilaya d’Alger. Et souligne que les points hauts de la courbe sont ceux des périodes de vacances scolaires en France. Un homme clairement soucieux du comportement des jeunes Algériens de France rentrant au bled…

N’est-ce pas étrange de se sentir si peu responsable de ses propres ressortissants ?

Il faut toujours garder à l’esprit que les Algériens ne reconnaissent pas la binationalité. Quand un citoyen algérien se fait naturaliser français, ce qui suit devient, pour eux, l’affaire de la France. Résultat, les autorités d’Alger disent en substance à leurs homologues de Paris : « Les voyous franco-algériens sont votre problème. Faites ce qu’il faut avec eux, bonne chance ! » Sachant que la répression en Algérie ne fait pas dans le tendre. Le risque est sérieux d’échouer dans un baraquement en plein désert, par 50 degrés de chaleur, l’été…

C’est typique d’un régime militaire. En France, on ne traite pas comme ça les gens…

Vous avez raison. L’Algérie est restée une société dure, à cause des séquelles non pas tant de la guerre d’indépendance que de celle contre le GIA. Si l’on veut comprendre ce pays, et se faire respecter de lui, il ne faut jamais oublier que ce sont des officiers généraux formés à la dure, en URSS et en Allemagne de l’Est, qui l’ont façonné – et que leurs descendants directs y sont aux affaires. Ainsi, quand ces personnages ont vu le président Macron, en visite officielle chez eux, gémir que la colonisation avait été un crime contre l’humanité, ils ont été plus exaspérés qu’autre chose. Quelle paix des braves est-elle possible avec un individu prosterné ?

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Février 2025 - #131

Article extrait du Magazine Causeur




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est journaliste.

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