Accueil Édition Abonné Trump, Maduro et la «sorcière de la CIA»

Trump, Maduro et la «sorcière de la CIA»

L'Opération “Maduro, t’es cuit” est-elle lancée?


Trump, Maduro et la «sorcière de la CIA»
La dirigeante de l’opposition, María Corina Machado, lors d'un rassemblement de protestation dans les rues de Caracas, au Venezuela, 9 janvier 2025 © Jimmy Villalta/ZUMA/SIPA

En s’affranchissant des considérations légales habituelles, le président américain multiplie les opérations antidrogue au large du Venezuela. Vendredi, le porte-avions USS Gerald R. Ford a été déployé sur zone, accentuant la panique du régime de Nicolás Maduro à Caracas. Récit.


Et si les Vénézuéliens accueillaient chaleureusement un jour une intervention de la CIA, les libérant enfin de la dictature bolivarienne ? À en juger d’après sa muflerie contre la dirigeante de l’opposition, María Corina Machado, prix Nobel de la Paix 2025, toute la gauche latino-américaine ferait alors la gueule…

Alors que les États-Unis déploient une force navale et aérienne impressionnante près des côtes vénézuéliennes, de nombreux experts redoutent le retour des heures sombres où la CIA renversait les régimes d’Amérique latine. De gauche, en général, comme celui qui sévit à Caracas depuis 1999, du reste.

Manque de courtoisie

Les présidents du Mexique, du Brésil et de la Colombie ont refusé de féliciter María Corina Machado pour son prix Nobel. Non seulement est-elle de droite, mais elle plaide en outre pour une intervention armée américaine contre le régime du dictateur Nicolás Maduro.

Claudia Sheinbaum, Luiz Inácio Lula da Silva et Gustavo Petro n’ont pas su surmonter leurs réflexes partisans : silence brésilien embarrassé pour Lula, sermons mexicains sur la non-ingérence pour Mme Sheinbaum, et accusations colombiennes de « pro-israélisme » pour M. Petro.

Plus minable encore peut-être, le Premier ministre socialiste espagnol Pedro Sánchez a eu, lui, recours à un mensonge pour snober la Dame de fer de Caracas. Il a affirmé ne jamais féliciter les gagnants de prix Nobel, avant que la presse espagnole ne retrouve quatre cas de félicitations publiques prouvant le contraire. Mais il est vrai que Sanchez dirige une coalition gouvernementale de gauche où les soutiens à Maduro sont nombreux…

Ce manque de courtoisie envers María Corina Machado revient à soutenir une dictature qui a poussé huit millions de Vénézuéliens (sur une population d’environ vingt-huit millions) à fuir la pauvreté, la faim et la répression à la cubaine. Des fraudes électorales répétées entretiennent l’illusion que le peuple soutient le régime.

Sous feu le colonel putschiste Hugo Chávez, très apprécié en France par Jean-Luc Mélenchon, et son successeur Maduro, le Venezuela, jadis raisonnablement prospère et démocratique, s’est tiers-mondisé à une vitesse vertigineuse.

Au pouvoir depuis 2013, Maduro se sent aujourd’hui menacé. Les Américains, en possibles tours de chauffe pour une invasion, pourtant peu probable, ont anéanti au moins quatre embarcations vénézuéliennes censées transporter de la drogue, tuant une vingtaine de personnes en dehors de tout cadre légal. Le président Donald Trump a fanfaronné : « Les États-Unis contrôlent désormais les eaux territoriales du Venezuela », laissant entendre que le terrain serait prêt pour d’éventuelles opérations « clandestines » sur le sol vénézuélien.

María Corina Machado trouve que l’état de délabrement de son pays et sa cubanisation galopante justifient une intervention étrangère. Et elle a d’ailleurs dédié son prix Nobel, annoncé le 10 octobre à Oslo, à Donald Trump, qui le convoitait aussi et se montrait mauvais perdant…

Décidément, la pasionaria vénézuelienne âgée de 58 ans, vivant dans la clandestinité, fait tout pour s’attirer les foudres de la gauche continentale. L’Argentin Adolfo Perez Esquivel, prix Nobel de la Paix 1980, l’a publiquement fustigée dans une lettre ouverte. « Pourquoi avoir réclamé une intervention américaine ? », lui a-t-il reproché, allant jusqu’à qualifier le Venezuela de « démocratie avec ses bons et ses mauvais côtés »… Surprenant, de la part de quelqu’un qui a connu les geôles argentines après le coup d’État militaire de 1976. Au Venezuela, des opposants « disparaissent » aussi : le pays compterait quelque 1200 prisonniers politiques, selon une estimation d’Index on Censorship. Dans sa philippique, le Nobel argentin ne les juge-t-il pas dignes de compassion ? Faut-il donc distinguer les bons des mauvais persécutés ?

50 millions de dollars

Maduro, sur la tête duquel Washington a mis un prix de 50 millions de dollars, ne manque jamais de rappeler les méfaits de la CIA sur le continent. Comme au Chili en 1973, où une junte militaire renversa le régime de gauche du président Salvador Allende auquel Maduro aime tant se comparer. La CIA avait certainement tout fait pour subvertir Allende, mais des Chiliens n’avaient pas besoin d’elle pour craindre que leur président ne mène leur pays vers un sort qui serait bien plus tard celui du… Venezuela. Surtout après la visite de Fidel Castro en 1971, venu s’assurer que le Chili progressait « suffisamment » vers le socialisme. Une large partie de la population approuva donc le putsch d’Augusto Pinochet.

Maduro craint de subir le même sort qu’Allende, qui ne fut d’ailleurs pas un dictateur. Il ne daigna pas prononcer le nom de sa Némésis le jour où le Nobel lui fut attribué, donnant libre cours à son délire verbal habituel contre « la sorcière diabolique ». Le président cubain Miguel Díaz-Canel le soutenait, bien sûr, se scandalisant que « quelqu’un qui incite à une intervention armée » puisse être récompensé par un prix aussi prestigieux.

Les Cubains peuvent pourtant regretter que l’invasion de la Baie des Cochons, organisée par la CIA en 1961 avec des exilés cubains, ait échoué : la dictature castriste en sortit renforcée. Au Nicaragua aussi, la CIA échoua à renverser le régime sandiniste, l’une des pires dictatures du continent.

Le rôle exact de l’agence américaine dans les tentatives, souvent dérisoires, de rébellion au Venezuela reste incertain. Est-ce qu’un jour « Maria Corina » fera son entrée au palais présidentiel de Caracas tandis que Maduro fera la sienne dans une prison aux États-Unis ? Si cela devait se produire, la gauche latino-américaine maudirait sans doute la « sorcière de la CIA » et pleurerait le sort de son président « bien-aimé »…




Article précédent Astérix, Champignac, Corto, Lefranc et Cosey sont de retour
Article suivant La peur du peuple, dernier programme politique à la mode
Journaliste hollandais.

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération