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André Pieyre de Mandiargues : en marge

Lectures et relectures d’été


André Pieyre de Mandiargues : en marge
André Pieyre de Mandiargues en 1979 © ANDERSEN ULF/SIPA

Écrivain du surréalisme, Mandiargues parvient à vous toucher au plus profond de votre être depuis sa marginalité.


Vous savez comment ça se passe, l’insomnie. Il faut bien s’occuper. Alors on range – ou on tente de ranger – une partie de sa bibliothèque. Découragé, on arrête. On prend un livre au hasard, dans les piles sur le sol, on feuillette et puis on commence à lire. Et c’est comme cela que l’on s’aperçoit qu’André Pieyre de Mandiargues, que l’on n’avait plus lu, sauf peut-être des poèmes, depuis une éternité, c’est aussi beau que la première fois. On s’est pourtant méfié, au premier abord : on avait découvert ses livres vers dix-sept ans, épaté par le mélange d’érotisme et de fantastique, par la sensualité animale et précieuse à la fois, par les descriptions d’une précision maniaque, ironique et hallucinée.

On a eu tort: ou bien l’on n’a pas vieilli (hypothèse hélas hautement improbable) ou Mandiargues tient la route et peut être lu à différentes saisons de la vie en provoquant l’envoûtement, même si pour le coup cet envoûtement est d’une nature légèrement différente aujourd’hui et se teinte d’une mélancolie qui nous atteint davantage encore, précisément parce que nous avons vieilli.

En pays étranger

La Marge (prix Goncourt 1967) est l’histoire d’un homme qui se perd dans Barcelone après avoir découvert quelques lignes d’une lettre à lui adressée en poste restante, quelques lignes qui suffisent à lui faire comprendre qu’une tragédie est arrivée dans sa vie. Il s’appelle Sigismond et il va désespérément chercher à s’éviter, à s’oublier dans une ville qui n’a pas grand-chose à voir avec la destination hipster qu’elle est devenue. Il ne faut surtout pas qu’il revienne, ni sur ses pas, ni sur sa vie. Alors entre les portraits de Franco, -« le « Furhoncle« -, les bordels, les rues, les bars, les passantes, le ciel bleu impitoyable et la mer, il essaye de « faire comme si ». Avant de s’apercevoir que c’est impossible, bien entendu, et que tout ça n’est qu’un sursis, qu’il est dans la marge.

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« D’un geste (car il est plus sûr de ses mouvements que de ses mots en ce pays étranger), il écarte l’enfant et presse le pas pour se tenir à la hauteur d’une jeune femme qui va dans la même direction que lui, le long du mur opposé. Musclée, les cheveux coupés aussi court que ceux d’un homme et décolorés jusqu’au ton de la paille, elle revient probablement de la plage, si elle porte sous le bras une serviette roulée qui pourrait bien contenir un maillot humide qui aurait contenu son corps. Le soleil a rougi son visage que nul fard n’accentue, ses épaules qui sortent largement d’une étroite robe blanche. Ses pieds, dans les sandales de cuir beige, sont nus; l’une de ses chevilles, la gauche, est écorchée; les ongles de ses orteils n’ont que des traces de vernis. »

Soyons sacrilèges jusqu’au bout : comparons deux écrivains de la même génération qui se sont nourris tous les deux aux mamelles du surréalisme. Il y a celui qui l’a mal digéré, c’est Julien Gracq: il prend la poussière à vue d’œil malgré sa place confortable dans la postérité. Et puis il y a Mandiargues, scandaleusement oublié, dont la puissance subversive (érotisme morbide, humour à froid, science de l’étrange, préciosité ironique) grandit chaque jour.

Quand Gracq explorait le rivage des Syrtes (bon roman au demeurant), Mandiargues, lui, préférait se perdre dans une autre géographie, celle des corps dont il rendit compte avec une sensualité hautaine et une écriture lancinante comme le plaisir. Sous le parrainage assumé du théâtre élisabéthain, des romantiques allemands, de Poe et d’un certain sadomasochisme nippon, Mandiargues est peut-être tout entier dans cette nouvelle intitulée « Le Passage Pommeraye », lieu dont on connaît l’importance pour Breton, Vaché et les surréalistes. C’est une des premières qu’il a publiées, en 1946, dans le recueil Le Musée noir. On y voit les noces entre la monstruosité, le sexe et la mort dans un climat pourtant étrangement attirant.

Lisez Mandiargues pour jouir. On ne jouit jamais assez, surtout par les temps qui courent et les temps qui viennent.

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