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Du bon usage du reniement


Du bon usage du reniement

François Hollande TVA mariage gay

« J’ai dit ce qu’il fallait pour gagner, je fais ce qu’il faut pour gouverner. » C’est par cette heureuse formule que Gil Mihaely, mon PDG et néanmoins ami, résume le revirement de François Hollande sur la compétitivité. Contrairement à certains – voire à certaines –, Gil n’est pas du genre à s’énerver pour rien, mais là, il est colère. Il faut dire que ce revirement s’apparente sacrément à un reniement. Après avoir expliqué urbi et orbi que le coût du travail n’était pas le problème et proclamé que, lui Président, jamais on ne toucherait à la TVA, cet impôt dégoûtant parce que tout le monde le paie même les pauvres, François Hollande s’apprête à faire adopter des mesures qui ne sont guère éloignées de la TVA sociale, jusque-là honnie puisqu’elle a été défendue, trop tard d’ailleurs, par le précédent gouvernement. On est donc très au-delà du « seuls les imbéciles ne changent pas d’avis ».[access capability= »lire_inedits »]

Sur le fond, on a eu droit à l’un de ces débats théologiques dont la France raffole (et parfois votre servante aussi). C’est ainsi qu’en « une » de Marianne, Jean-François Kahn classe l’affaire : Vous avez dit « compétitivité » ? « Pensée unique ! » Fermez le ban. Pour enfoncer le clou, l’hebdo s’interroge : assisterait-on au triomphe de la « gauche patronale » ? « Patronal », c’est mal, non ? (Si on ajoute que, selon Marianne, les « réacs se déchaînent » sur le mariage homo – car cela se passe d’argumentation il faut être atrocement réac pour s’opposer à cette avancée qui va dans le sens de l’Histoire –, on conservera ce numéro dans le formol comme mètre-étalon de la bienpensance de gauche.)

S’agissant de la compétitivité, on a en effet l’impression d’assister à une controverse entre coureurs automobiles dont les uns seraient partisans du virage à gauche et les autres avocats du virage à droite[1. Qu’on me pardonne l’usage peut-être trop abondant de cette métaphore pêchée dans L’Illusion économique, excellent livre d’Emmanuel Todd.]. En somme, parler de l’offre serait « de droite » et s’inquiéter de la demande « de gauche ».
Si l’on admet que la contraction de la demande mondiale a quelque chose à voir avec le libre-échangisme ébouriffé qui sert de dogme à tous nos gouvernants depuis trente ans, cette assignation est pour le moins discutable. De fait, pour enrayer cette spirale dépressive, il ne suffit pas de sauter comme des cabris en répétant que tout est de la faute de l’Europe et de l’euro (ce qui est en partie vrai), encore faut-il expliquer quelles tortures on devra faire subir à Madame Merkel et à quelques autres pour les en convaincre – ce qui permettrait par exemple de recourir à la dévaluation[2. Dévaluation préconisée dans le même numéro de Marianne par Jean-Luc Gréau, de préférence à l’usine à gaz imaginée par Gallois.]. En attendant, reconnaître l’existence d’un grave problème de demande interdirait-il de s’interroger sur l’offre ? Cela reviendrait à ne rien faire au prétexte qu’on ne peut pas tout. De ce point de vue, rien de tel que la gestion d’une petite boutique (même si l’on s’en remet à plus compétent que soi pour la mettre en oeuvre), pour sortir de l’idéologie (qui n’est certes pas un gros mot mais ne résout pas tout). Si le chômage de masse est le pire fléau de notre société, on n’a pas le droit d’écarter le moindre début de solution, aussi imparfaite soit-elle. Si, demain, le coût du travail baisse significativement, Causeur créera au moins un emploi. Mais en même temps, si le travail est de moins en moins rémunéré, personne n’achètera notre beau journal et l’emploi disparaîtra aussi vite qu’il est apparu. Il serait donc intelligent de tenir les deux bouts de la chaîne.
Mais revenons à la question initiale : est-il tolérable de faire le contraire de ce qu’on a dit ? Moralement, sans doute que non, et Gil observe justement que cela ne peut qu’entretenir la défiance à l’égard de la politique. L’ennui, c’est que ce cynisme est peut-être inhérent, sinon à la démocratie tout court, du moins à notre démocratie d’opinion dans laquelle le bon peuple, passé maître dans l’art de la double injonction, demande qu’on lui dise à la fois la vérité et ce qu’il veut entendre. Avec
ça, allez-vous faire élire ! Ajoutons que les deux camps doivent donner l’impression à leurs ouailles qu’ils sont le jour et la nuit pour mener la même politique une fois au pouvoir.

Bref, en politique comme en amour, il n’est pas sûr qu’on puisse être comptable des promesses murmurées ou proférées – parfois sincèrement – pour gagner les coeurs et les corps. Alors, au risque de paraître cynique à mon tour, je dirai qu’en politique comme en amour, le bon reniement est celui qui va dans mon sens. Ainsi, en attendant que l’on prenne le cap de la démondialisation, la résurrection de la TVA sociale, même au prix d’un tête-à-queue, me paraît être plutôt une bonne chose. J’apprécierais assez qu’en prime, le gouvernement se reniât sur le mariage gay – en réalité sur l’adoption – et pas seulement parce que cela ferait enrager Audrey Pulvar qui, dans un édito récent et hallucinant, invitait chacun à traquer l’homophobe qui sommeille en lui. Aussi profonde soit la rupture anthropologique que créerait cette loi (rupture que nombre d’électeurs, y compris de gauche, ont sans doute sous-estimée), celle-ci ne serait pas illégitime puisqu’elle avait été clairement annoncée. Il n’empêche : oui, cela me déplaît que l’on s’apprête à semer la pagaille dans la filiation, et les bons sentiments égalitaires qui tiennent lieu d’argumentation aux partisans du « mariage pour tous » me paraissent consternants de sottise satisfaite. Alors, s’il y a une chance d’aider nos dirigeants à changer d’avis et même à se renier (chance à laquelle je ne crois guère), autant la saisir. Voilà pourquoi, à titre personnel, j’irai
manifester le 17 novembre[3. Ne vous trompez pas : le 17, c’est la manif des gentils, contre le mariage gay et contre l’homophobie ; le 18, vous serez peut-être en moins bonne compagnie.] derrière notre amie Frigide Barjot.

Quand la gauche n’avait pas ses vapeurs à l’idée que l’on puisse tenter d’obtenir dans la rue ce qu’on avait perdu dans les urnes, elle appelait ça « créer un rapport de force ».[/access]

*Photo : Affiche du P.S pendant la campagne présidentielle de 2012

Novembre 2012 . N°53

Article extrait du Magazine Causeur



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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