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Mais si, Thomas Sotto, le service public regarde les Français

Il ne comprend pas qu'on lui impose d'inviter les "petits" candidats


Mais si, Thomas Sotto, le service public regarde les Français
Thomas Sotto et Léa Salamé dans L'Emission politique, novembre 2018. ©CHAMUSSY/SIPA / 00885537_000018

Le tribunal administratif a ordonné au service public d’inviter trois têtes de liste des élections européennes: Benoît Hamon, Florian Philippot et François Asselineau dans L’Emission politique. Son présentateur Thomas Sotto ne comprend pas: il y voit une limitation de sa liberté éditoriale, quand c’est un droit constitutionnel…


Ndlr: Depuis la publication de l’article, le Conseil d’Etat a annulé les décisions du tribunal administratif, estimant que « ni la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, ni les recommandations du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) n’imposent à France Télévisions, hors période électorale, le respect d’une stricte égalité de traitement entre toutes les personnalités politiques ».

Thomas Sotto, journaliste audiovisuel qui officie sur le service public, est semble-t-il un garçon charmant, mais il lui arrive de faire preuve d’une ignorance parfois épicée d’une touche d’arrogance. Le chagrinant beaucoup, le Tribunal administratif de Paris, saisi séparément en référé par Benoît Hamon, Florian Philippot et François Asselineau a ordonné lundi à France Télévisions d’inviter ces trois candidats déclarés aux élections européennes, au débat organisé ce soir dans L’Émission politique sur France 2 entre les têtes de liste, ou bien à une autre émission sur le sujet avant le 23 avril.

« La programmation de L’Émission politique ne regarde pas la justice »

Thomas Sotto, chargé d’animer l’émission en cause, y a vu une atteinte « à la liberté de la presse » ajoutant : « La programmation de L’Émission politique ne regarde pas la justice. » Bigre, que voilà de fortes paroles ! Et notre journaliste du service public audiovisuel de poursuivre en enfonçant le clou, probablement histoire de faire plaisir au magistrat qui a rendu une décision pourtant clairement motivée : « Aujourd’hui, il y a des gens qui se mêlent de ce qui ne les regardent pas. » Non mais, c’est vrai ça ! C’est vous les contribuables qui payez, c’est vous les téléspectateurs qui regardez, c’est vous les tribunaux qui veillez au respect de la loi, mais c’est nous les journalistes qui commandons, et n’avons de compte à rendre à personne.

Eh bien on va décevoir Monsieur Sotto, et lui dire qu’il a tout faux. Il est loin d’être l’éditorialiste le plus déplaisant de la période, mais un retour à une forme de modestie républicaine ne serait pas de trop. Et, puisqu’il ne semble pas connaître le cadre juridique dans lequel il exerce son métier qui est, on le rappelle, une profession réglementée, nous allons tenter de le lui expliquer.

« Le respect du pluralisme est une des conditions de la démocratie »

Et tout d’abord lui rappeler que le respect du caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion est, tout simplement, un principe constitutionnel. Parce qu’il s’agit d’une liberté fondamentale à laquelle il ne lui est pas permis, tout compétent et brillant soit-il, d’en faire ce qu’il veut.

Ensuite lui rappeler aussi qu’il est journaliste sur le service public, ce qui lui impose des responsabilités particulières vis-à-vis du peuple français. Le Conseil constitutionnel a été très clair en 1986 puis en 1989 : « Le respect du pluralisme est une des conditions de la démocratie » et, plus largement, « le pluralisme constitue le fondement de la démocratie ». Rien que pour cela, il semblerait que Monsieur Sotto devrait y réfléchir un peu, au lieu de revendiquer des prérogatives qui ne sont pas les siennes. D’autant plus que le respect de ce principe est, pour en garantir la sincérité, fondamental à l’approche d’un scrutin national.

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C’est ce que le législateur a prévu dans la loi du 5 mars 2009 qui a réorganisé l’audiovisuel public, loi suivie par un décret d’application qui a approuvé le cahier des charges de France Télévisions. Lequel prévoit très explicitement l’obligation du pluralisme dans son article 2, dont on gage que pas grand monde parmi les journalistes de France Télévisions n’a dû le lire. Au passage, on notera ironiquement que le même article prévoit que le groupe télévisuel public doit garantir « l’expression de tendances de caractère différent respectant l’impératif de l’honnêteté de l’information». Sous la présidence de Delphine Ernotte, grande amie d’Emmanuel Macron, cette obligation légale issue de l’application d’un principe constitutionnel est constamment foulée aux pieds, transformant le service public en une sorte de perroquet du pouvoir macronien. Mais cela ne dispensait pas Thomas Sotto de la respecter à l’occasion de l’organisation de l’émission qu’il organise et anime.

Le service public est réglementé par la loi

Parce que, oui, celui-ci a violé la loi en faisant le tri entre les candidats têtes de liste pour les élections européennes et, en général, le viol de la loi relève de l’appréciation du juge. Je comprends qu’il puisse trouver cela terrible, mais nous sommes contraints de lui rappeler que, quand on ne respecte pas la loi, cela « regarde » pas mal le juge quand même.

Rappelons enfin les conditions dans lesquelles le juge administratif est intervenu. Il a été saisi de ce que l’on appelle un « référé liberté », procédure particulièrement solennelle utilisable lorsqu’une liberté fondamentale est gravement et manifestement violée par la puissance publique ou l’un de ses instruments. Compte tenu de l’urgence qu’il y a à faire cesser cette violation, le juge doit statuer dans les 48 heures. La décision qui a été prise a été parfaitement motivée, et l’on peut en retrouver les termes sur le communiqué du Tribunal administratif : « Le tribunal administratif a fait droit à ces demandes en estimant que les décisions de ne pas inviter ces trois candidats au débat du 4 avril sont susceptibles de porter une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le respect du principe du caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion. »

Il serait peut-être utile que les journalistes comprennent qu’intervenir sur le service public financé par les citoyens leur impose des responsabilités particulières. L’Émission politique n’est pas un débat sur une WebTV ou sur Facebook, sur laquelle ne reposent pas les obligations d’un cahier des charges particulier spécifiquement prévues par la loi.

Thomas Sotto, journaliste singulier

Passons maintenant à l’arrogance dont Thomas Sotto a souhaité orner son ignorance du cadre juridique dans lequel il exerce son métier. Celle qu’il a exprimée avec cette phrase consternante : «Aujourd’hui, il y a des gens qui se mêlent de ce qui ne les regardent pas.»

On va rappeler à ce journaliste qui n’aime pas que l’on se mêle ce qu’il considère être ses affaires et n’estime n’avoir aucun compte à rendre, que nous sommes en période électorale, ce qui, dans une république démocratique, est un moment très important. Et que les organes de contrôle mis en place, et en particulier le juge sont là pour veiller scrupuleusement à ce que l’on ne porte pas atteinte à la « sincérité du scrutin ». Il peut y avoir une Commission nationale des Comptes de Campagne, un Conseil supérieur de l’Audiovisuel, mais au bout de la chaîne c’est toujours le juge qui vérifie si les principes et la loi ont été respectés et si on peut considérer l’élection légitime. Si ce n’est pas le cas, le juge a le pouvoir considérable d’annuler le scrutin et d’en provoquer un nouveau.

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Et il se trouve que pour les élections européennes, ce sera le Conseil d’État, c’est-à-dire la juridiction administrative à laquelle appartient le Tribunal de Paris. Celui-là même à qui Thomas Sotto reproche de se mêler de ce qui ne le regarde pas. Hélas pour lui, ça le regarde, et il a accompli son devoir en veillant au respect des libertés fondamentales, et notamment celle du respect du pluralisme essentiel à l’organisation de scrutins sincères et légitimes.

Démacroniser Thomas Sotto ?

Notre pays traverse une phase délicate, probable conséquence des conditions anormales et non sanctionnées dans lesquelles s’est déroulée l’élection présidentielle de 2017. Le rejet d’Emmanuel Macron trouve aussi sa source dans le trouble qu’a laissé dans l’opinion l’arrivée au pouvoir d’un parfait inconnu, porté et médiatisé par les grands intérêts. Depuis deux ans, la liberté d’expression a subi des attaques très inquiétantes, que ce soit par le vote de lois liberticides, ou la confiscation des grands médias par une certaine oligarchie. Et la couverture du mouvement des gilets jaunes a suscité rejet et rage dans l’opinion. Il ne serait pas sérieux de le nier, ou de le sous-estimer.

Les journalistes, et notamment ceux qui officient sur le service public, seraient avisés de se rappeler quelle est leur mission et quels sont leurs devoirs. Thomas Sotto, qui est loin d’être le plus caricatural, a probablement perdu une occasion de se taire.



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