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Epidémie: à quoi a donc servi le rapport sénatorial de 2010 ?

Le Sénat inactif


Epidémie: à quoi a donc servi le rapport sénatorial de 2010 ?
Roselyne Bachelot, image d'archive © IBO/SIPA Numéro de reportage: 00544185_000006

Après la séance des questions de contrôle du gouvernement qui s’est tenue mercredi 25 mars au Sénat et à laquelle assistaient quatre ou cinq sénateursles autres pouvaient suivre cette séance sur la chaîne parlementairele Président Gérard Larcher a demandé à ses collègues de profiter de la suspension des travaux parlementaires pour poser des questions écrites au gouvernement. 


Alors qu’ils ont des élections sénatoriales en septembre prochain, comment les sénateurs pourraient-ils se dispenser de montrer à leurs grands électeurs qu’ils sont en alerte ? Puisque le cafouillage gouvernemental inquiète nos concitoyens, feignons d’en être la solution ! C’est la sempiternelle petite comédie politique, à mille lieues des préoccupations des Français.  

En face du nombre de morts que les Français découvrent chaque soir sur leurs écrans de télévision, cet appel de Gérard Larcher est choquant. Comme si les ministres n’avaient rien de mieux à faire aujourd’hui que de se laisser accaparer par des questions qui n’ont qu’un intérêt électoraliste.

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Le Président du Sénat devrait plutôt recommander à ses collègues la lecture du rapport de la commission d’enquête sénatoriale qui lui fut remis le 29 juillet 2010. Cette enquête concernait la gestion par le Gouvernement de la grippe H1N1. Etant donné les informations qui se trouvent dans ce rapport, on se demande à quoi ce travail a bien pu servir. Et à qui ? Sûrement pas aux Français qui ne comprennent toujours pas la pénurie de masques à laquelle le pays se trouve confronté. 

Une absence de réaction

L’Organisation Mondiale de la Santé s’était-elle trompée en 2009 au sujet de l’importance de l’épidémie de grippe H1N1 et avait-elle, par des décisions trop alarmistes, conduit Roselyne Bachelot, ministre de la santé et des sports, à engager des dépenses excessives ? En prévision de l’épidémie, celle-ci avait notamment constitué un stock d’un milliard de masques chirurgicaux et de 700 millions de masques FFP2.  

A la lecture de ce rapport sénatorial qui rappelle ce que furent les recommandations de l’OMS en matière de prévention des risques épidémiologiques, on ne peut être qu’abasourdi par l’absence de réaction du gouvernement face à l’épidémie de Covid-19. Comment le ministère des Solidarités et de la Santé a-t-il pu être aussi imprévoyant, aussi négligentces dernières semaines, ces derniers mois mais également ces dernières années ? Et l’opposition, qu’a-t-elle fait, qu’a-t-elle dit ? Et, de manière plus générale, le Parlement, dont un des rôles essentiels est de contrôler l’activité du Gouvernement, qu’a-t-il contrôlé ? 

C’était écrit

Dans le Plan mondial OMS de préparation à une pandémie de grippe, document qui fut adressé en 2005 aux États et auquel il est fait référence dans ce rapport sénatorial, on lit ceci : « Les voyages aériens pourraient accélérer la propagation d’un nouveau virus et diminuer le temps disponible pour préparer les interventions. Les systèmes de soins de santé pourraient être rapidement surchargés, les économies mises à rude épreuve et l’ordre social ébranlé. Si l’on estime qu’il est quasiment impossible d’arrêter la propagation d’un virus pandémique, il devrait être possible d’en réduire les conséquences au minimum en se préparant à l’avance à relever le défi ».  

Comment le président du Sénat, a-t-il pu déclarer le 12 mars dernier au micro d’Europe 1 : « Je ne crois pas beaucoup aux barrières des douaniers » ? Et le Président Macron, le même jour, à la télévision : « Nous devons éviter le repli nationaliste. Ce virus, il n’a pas de passeport »? 

La surdité de nos responsables politiques à ce que dit l’OMS sur la propagation du virus par les voyages aériens n’a d’autre cause que l’idéologie libre-échangiste qui est la leur. Cette conception des échanges s’efforce, depuis des années, de dépouiller l’homme de sa citoyenneté pour en faire un sujet économique sans saveur et sans frontière. Ce projet est le leur depuis si longtemps que, malgré les dégâts économiques qui s’annoncent, ils peinent, aujourd’hui encore, à en voir la folle absurdité. « Notre esprit, expliquait très justement Bergson, a une irrésistible tendance à considérer comme plus claire l’idée qui lui sert le plus souvent. » Cette « irrésistible tendance » à croire à la « mondialisation heureuse » caractérise le politiquement correct qui sévit jusque sur les bancs des grandes écoles où leshumanités, et la liberté d’esprit qu’elles garantissaient, ont été depuis longtemps passées au karcher. 

Le rapport sénatorial rappelle ce à quoi les pays membres sont tenus : « Chaque pays est instamment prié d’élaborer ou de mettre à jour un plan national de préparation à la grippe conformément aux recommandations figurant dans ce document ». Il précise ensuite que le plan français de 2009 préconisait notamment « la constitution de stocks nationaux de produits de santé et de matériels de protection et le renforcement des capacités de production de masques par l’industrie française ». De même que les raisins étaient trop verts pour le renard de la fable qui ne pouvait les attraper, de même les masques étaient inutiles aux yeux du Gouvernement et de ceux qui ne voulaient pas l’embarrasser. Or, le rapport précise non seulement le rôle et l’importance des masques mais également quels sont les personnels qui doivent impérativement en être équipés. 

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On n’entend pas beaucoup le sénateur (LR) Alain Milon depuis le début de la crise du Covid-19. C’est pourtant lui qui fut le rapporteur de la commission d’enquête sur le H1N1. Médecin de profession, il préside la commission des Affaires sociales du Sénat. Sans doute ce partisan de la PMA et de la GPA fut-il plus préoccupé par les problèmes sociétaux que par celui de la sécurité sanitaire des Français. 

Si les sénateurs voulaient à tout prix interroger le gouvernement, leurs questions gagneraient à s’appuyer sur ce rapport dont personne ne parle, sur ses conclusions et ses préconisations. Depuis 2009 que sont devenues ces dernières ? Ont-elles eu un début de réalisation ? 

« Il est inutile, écrivait Montesquieu, d’attaquer directement la politique en faisant valoir combien elle répugne à la morale, à la raison, à la justice. Ces sortes de discours persuadent tout le monde et ne touchent personne ». Si Montesquieu a raison, cette raison n’est certainement pas suffisante pour baisser les bras. C’est ce que nous montrent tous les jours les personnels soignants, les pompiers, les salariés chargés des transports et du ravitaillement, les policiers et les militaires. 



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Ancien collaborateur parlementaire, Jérôme Serri est journaliste et essayiste. Il a publié Les Couleurs de la France avec Michel Pastoureau et Pascal Ory (éditions Hoëbeke/Gallimard), Roland Barthes, le texte et l'image (éditions Paris Musées), et participé à la rédaction du Dictionnaire André Malraux (éditions du CNRS).

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