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Schubertiade à Gaveau

La beauté sauvera le monde


Schubertiade à Gaveau
Les pianistes David Kadouch et Guillaume Bellom. D.R.

Notre chroniqueuse s’est rendue salle Gaveau, lundi soir, où un concert, «Schubert ou le génie romantique», présenté par Franck Ferrand de Radio Classique, accompagné par les pianistes David Kadouch et Guillaume Bellom, était donné. Oui, la beauté sauvera le monde!


La salle Gaveau était pleine à craquer. Sur la scène, avant que le concert —paroles et musique— commence, un piano, un canapé à l’ancienne et deux fauteuils, un guéridon avec des verres de vin rouge. L’hôte est là qui bavarde avec ses deux invités— deux pianistes— le temps que le public prenne place. Quand nous sommes tous bien calés, depuis le haut jusqu’en bas, l’hôte des lieux s’adresse à nous avec humour en montrant le décor : « Voyez comme nous nous sommes embourgeoisés ! » Et d’ajouter combien il avait voulu, par les temps que nous vivons, créer un climat schubertien de convivialité, de paix, d’amitié.

Hommage amical à un compositeur mort à 31 ans

Pour Schubert, la joie de la musique résidait dans celle du partage, dans l’intimité des cœurs et des âmes. « Grâce à lui, nous devenions tous frères et amis » disait de lui son ami intime, Joseph von Spaun. Doté d’un physique ingrat, malheureux en amour mais riche en amitié, il avait la nostalgie de ce temps où, « nous encourageant les uns les autres, un effort unique vers le beau nous attirait tous. » C’est ainsi que, toute sa vie, il aura rêvé d’une « communauté » chère à son cœur et source de son inspiration — d’un paradis perdu. De là ces schubertiades, ces moments musicaux auxquels il participait à Vienne, dans les salons de la bourgeoisie, avec une prédilection pour les lieder et les œuvres au piano à quatre mains. N’étant lié par aucune commande de personnalités, il passera sa vie, ignoré du grand public et mourra très tôt, rongé par la maladie.

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Cette musique à quatre mains fut interprétée par deux pianistes d’exception, David Kadouch et Guillaume Bellom qui rendirent magnifiquement le romantisme propre à Schubert, fait de bourrasques intérieures et de phrases, miraculeuses de tendresse venue d’un autre monde. Quant au maître de maison, on pouvait compter sur lui pour associer avec charme la salle à la conversation. C’est ainsi que les deux pianistes évoquèrent les caractéristiques du jeu à quatre mains fait de communion amicale et de dialogue. Le dernière sonate, écrite la veille de la mort du musicien, résonna dans un silence impressionnant. Lui qui n’aura connu aucune gloire mondaine, il aura réuni, ce 6 novembre, trois siècles après sa mort, non plus une petite « communauté » mais un public nombreux qui communiait dans sa musique.

Un moment salvateur

Ce n’était pas mon premier concert. Et j’écoute régulièrement la voix de Franck Ferrand à Radio Classique. Pourquoi, alors, ce moment a-t-il paru, à moi comme à beaucoup, si bénéfique, pour tout dire : salvateur ? C’est qu’il évoquait un temps non pas « d’avant » mais d’aujourd’hui, de toujours. Face à ce qui paraît un effondrement de tout, ne nous contentons pas d’analyser ni de dénoncer ou de désespérer. Il ne suffit pas de parler de « valeurs » mais de faire vivre des œuvres. Notre langue, la musique, les places de nos villes, l’art de la conversation, une schubertiade, un aria d’opéra, une certaine manière de vivre, c’est cela l’Europe.

Tout récemment, Franck Ferrand est venu à Saint-Etienne du Mont évoquer Port-Royal où Pascal est enterré non loin de Racine. Leurs œuvres ne sont pas des « valeurs », leurs auteurs sont des êtres toujours vivants dont les voix traversent les siècles. Dans ses billets hebdomadaires à Valeurs Actuelles, Franck Ferrand mène aussi un beau combat pour notre langue. Avant-hier, à Gaveau, comme au théâtre de Poche, après le spectacle de Fossey et de Laval[1], j’ai mieux compris la vérité de cette phrase attribuée à Dostoïevski qui m’agaçait parfois, dite à tout bout de champ,  et qui me paraissait abstraite : « la Beauté sauvera le monde. »


[1] https://www.causeur.fr/la-fontaine-en-fables-et-en-notes-theatre-de-poche-269222



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Marie-Hélène Verdier est agrégée de Lettres classiques et a enseigné au lycée Louis-le-Grand, à Paris. Poète, écrivain et chroniqueuse, elle est l'auteur de l'essai "La guerre au français" publié au Cerf.

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