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Anti-PMA: la manif dont tout le monde ne parle pas

Le camp conservateur reste mobilisé et joyeux, alors que le texte arrive au Sénat


Anti-PMA: la manif dont tout le monde ne parle pas
L'avenue de l'Opéra à Paris, le 19 janvier 2020 © ISA HARSIN/SIPA Numéro de reportage: 00940829_000040

 


Alors que la loi de bioéthique doit être examinée aujourd’hui en séance plénière par le Sénat, les opposants à l’extension de la PMA aux femmes seules et aux couples de lesbiennes, rassemblés sous l’égide du collectif Marchons enfants, défilaient de nouveau ce dimanche dans les rues de Paris. Suivons notre chroniqueuse Gabrielle Périer qui s’était mobilisée…


Dimanche, dans le froid mordant de l’hiver parisien, la deuxième grande manifestation contre la PMA sans père a vu défiler de nouveau plusieurs dizaines de milliers de gens[tooltips content= »41 000 personnes selon la préfecture de police, 26 000 selon le cabinet Occurrence mandaté par plusieurs médias. Les organisateurs, eux, se sont refusés à donner une estimation, pour ne pas se réengager dans les débats de chiffres qui avaient suivi la manifestation du 6 octobre : eux avaient annoncé en effet 600 000 personnes, contre 42 000 selon la police et 74 500 selon Occurrence. »](1)[/tooltips] venus de toute la France, en vue de l’examen par le Sénat du projet de loi déjà adopté par l’Assemblée nationale. Comme le 6 octobre, la foule était joyeuse, familiale et paisible. Place de l’Opéra, lieu de l’arrivée du cortège, une grande tribune avait été installée pour accueillir les représentants des associations formant le collectif Marchons enfants, qui assume la charge de la mobilisation. Inlassablement, ils ont répété le danger de faire les apprentis sorciers avec la filiation au nom de désirs individuels tout-puissants ; ils ont poussé un cri d’alarme face au projet institutionnel de « fabriquer des orphelins de père » ; ils ont dénoncé l’intervention croissante de la technique dans la procréation, impliquant le financement par l’État du « droit à l’enfant ».

Ils marchent contre l’individualisme dominant

Déjà présente à la manifestation du 6 octobre, j’ai décidé cette fois de m’engager au nombre des bénévoles qui aidaient à la logistique de la manifestation. On m’a affiliée à une petite équipe de cinq étudiants et un retraité, tous, sauf un, étant spécialement venus de province. Stationnés à l’arrivée à partir de dix heures du matin, trottant derrière le chef d’équipe, nous avons déplacé quelques cartons et installé des barrières, puis distribué des drapeaux verts et rouges.

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La position du militant de base est très instructive. Le matin, curieux, les badauds nous interpellaient. Après avoir compris qui nous étions, une femme a aboyé : « vous n’êtes pas dans le sens de l’histoire, ni dans celui de la générosité ! » – au contraire d’elle, bien sûr, au comble du bon goût. Dans l’ensemble cependant, la plupart des gens avec qui nous avons discuté n’étaient pas enthousiastes vis-à-vis du projet de loi de bioéthique. Quand on explique en effet que la conjointe d’une femme enceinte via une PMA pourra être désormais instituée, abracadabra, en « mère 2 », la majorité est en effet sceptique. L’abstraction juridique a ses limites, qui sont en premier lieu celles de la vraisemblance. De même, cela ne plaît pas beaucoup que l’État puisse valider et concourir à l’absence de père, drame intime récurrent qui a été traité de long en large par l’art et la psychologie – et dont le dernier exemple en date est celui de Vanessa Springora, qui explique le fait qu’elle se soit laissée prendre à l’emprise de Matzneff par une telle absence. Ces sentiments, assez largement partagés, se heurtent à l’individualisme dominant qui rassure en expliquant qu’il faut laisser les gens vivre comme ils l’entendent, que chacun doit avoir le droit de vivre son amour et d’avoir des enfants, et que ça ne touchera personne d’autre (sauf les « haineux »). Pris dans cette dissonance cognitive, on la résout le plus souvent par le conformisme – qui ne nécessite que de détourner les yeux.

Les hommes effacés

Qu’à cela ne tienne, les manifestants étaient au rendez-vous. Comme d’habitude, il y avait un très grand nombre de familles, qui ont passé leur temps à s’amuser avec leurs drapeaux et leurs pancartes – au cœur de la manifestation, j’ai d’ailleurs passé un bon moment à tenter d’empêcher des enfants qui riaient innocemment de lâcher leurs drapeaux au-dessus d’une bouche d’aération, ce qui les faisait s’envoler et retomber un peu plus loin (seul incident de maintien de l’ordre que j’ai observé).

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Les organisateurs avaient décidé de stratégies de communication assez comiques, dont on n’a malheureusement pas beaucoup fait l’écho : des masques blancs avaient été distribués aux hommes, censés représenter leur effacement dans le projet de loi ; des canons ont lancé des faux billets de 500 euros avec la tête d’Emmanuel Macron et le slogan « non à la marchandisation du corps humain ». Simplicité et candeur potache règnent chez ces gens qui ne revendiquent rien d’autre que l’arrêt des traficotages sur la filiation humaine.

Photo: Gabrielle Perier
Photo: Gabrielle Perier

Le bilan de l’événement est bien sûr mitigé : malgré l’optimisme que doivent bien sûr insuffler les organisateurs, très peu croient encore que la mobilisation pourrait aboutir à un retrait du texte. Les personnalités politiques se sont faites bien rares. Beaucoup de ceux qui étaient là le 6 octobre n’ont pas jugé utile ou politiquement opportun de se montrer dimanche – à l’exception de quelques indécrottables, François-Xavier Bellamy, Agnès Thill, Xavier Breton. Mais aussi bien sur le plan pratique qu’intellectuel, de tels événements consolident la structure d’un courant politique appelé à durer : un des faits notables de la mobilisation contre la PMA restera sans doute la reprise massive de l’argument écologique par les conservateurs, par le biais de l’« écologie intégrale » ou du « principe de précaution en matière de respect de la vie humaine ».

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Ceci de façon d’autant plus réjouissante qu’elle ne fait en cela, bien sûr, que retrouver ses racines : depuis le XIXème siècle en effet, c’est la droite contre-révolutionnaire qui exalte la nature contre les abstractions jacobines – et les écologistes qui prônent le « retour à la terre » devraient trouver de quoi y réfléchir.

La jeune garde conservatrice affûte ses armes. Et on n’a pas fini d’en finir avec elle.



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