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Etats-Unis: les blancs, une minorité parmi d’autres?

C'est la thèse du dernier essai de Christopher Caldwell


Etats-Unis: les blancs, une minorité parmi d’autres?
Christopher Caldwell Photo: Hannah Assouline

Dans son ouvrage The Age of Entitlement: America Since the Sixties, Christopher Caldwell explique comment les blancs ont fini par se concevoir comme une race – qu’ils le veuillent ou non – et comment ce processus a pris 50 ans et a permis l’élection de Donald Trump.


 

Ceux qui se demandent encore pourquoi Donald Trump a été élu en 2016 et pourquoi il pourrait peut-être l’être à nouveau en 2020 doivent lire le dernier livre de Christopher Caldwell qui vient de paraître. En anglais pour l’instant, en espérant qu’il soit bientôt traduit en français.

Un malentendu vieux de 50 ans

La thèse du livre n’est pas celle d’un caprice d’une population un peu bas du front  qui en aurait soudain eu marre. Les sources de cette révolution dans les urnes remontent aux lois sur les droits civiques des années 1960 et au malentendu sur lequel elles ont été acceptées. Les droits civiques ont institué une sorte de Constitution alternative dépourvue de la légitimité, mais soutenue par les élites du pays.

Ces lois n’ont pas signifié la même chose pour les blancs et les noirs. Pour les blancs, du Nord notamment, il s’agissait de civiliser les États du Sud afin d’en finir avec la ségrégation. Ils n’imaginaient pas que les droits civiques seraient l’occasion de renégocier la culture américaine dans sa totalité. Les noirs y ont vu une sorte de plaider coupable et l’occasion d’un soulèvement.

Affaires de classes sociales

L’extension du domaine de la lutte se fit par le passage des droits civiques aux droits humains. Et, contrairement à ce qu’avaient compris la plupart des Américains, le mouvement des droits civiques fut la matrice d’un nouveau système propre à jeter par-dessus bord n’importe quelle tradition, notamment en matière sexuelle. L’Equal Rights Amendment, équivalent pour les femmes des Civil Rights, présenté à ratification par les États ne rencontra jamais assez de ratifications pour amender la Constitution. Les Américains n’en voulaient pas et craignaient que ce changement constitutionnel n’en entraîne d’autres et mette en péril l’institution du mariage et la vie de famille. Les Américains en étaient venus à identifier ceux désireux de changer la Constitution à une classe, celle d’une nouvelle élite qui s’était cristallisée pendant la lutte contre la guerre du Vietnam. Laquelle avait été aussi une affaire de classe.

À la fin des années 1970, les Américains avaient commencé de saisir le danger que pouvait présenter le projet utopique des années 1960. Ils aspiraient à y mettre un terme et votèrent, avec les élites contestataires qui avaient pris de l’âge, pour Ronald Reagan. Si Reagan changea l’humeur politique du pays pour un temps, il laissa en place les dispositifs des années 1960, notamment l’affirmative action[tooltips content= »La discrimination positive ou action positive ou dédiscrimination est le fait de favoriser certains groupes de personnes victimes de discriminations systématiques de façon temporaire, en vue de rétablir l’égalité des chances »](1)[/tooltips] qu’il s’était engagé à supprimer. Alors qu’il avait promis de fermer la porte à l’immigration, il la laissa grande ouverte et les immigrants furent eux aussi les bénéficiaires de l’extension des droits civiques (IRCA Bill, 1986). Il laissa gonfler la dette car, comme l’écrit Christopher Caldwell, « les droits civiques étaient tellement importants qu’on ne pouvait pas demander aux gens d’attendre, mais trop impopulaires pour qu’on leur demande de payer pour les mettre en œuvre » (p. 111).

Relire, Michèle Tribalat: « L’idée de ‘grand remplacement’ évoque l’effondrement d’un univers familier que vit une partie de la population »

Si l’on y ajoute les transformations culturelles, les politiques préférentielles et l’affaiblissement du contrôle démocratique d’un pouvoir passé dans les coulisses et les cours de justice, on a le cocktail expliquant pourquoi l’immigration a empoisonné le débat public jusqu’à l’élection présidentielle de 2016. La condescendance des élites moquant l’opinion des gens modestes a fait le reste : « Pourquoi argumenter quand il suffit de rouler des yeux d’un air exaspéré ? » (p. 130). D’une certaine manière, on peut dire que la politique reaganienne, par sa duplicité, a favorisé l’exigence radicale démocratique actuelle de mouvements dits populistes qui ne veulent plus se satisfaire de promesses verbales.

L’émergence du politiquement correct

Les années qui ont suivi le mandat de Reagan ont été marquées par une envolée de ce qu’on a appelé le politiquement correct (P. C.). Et, avec le XXIe siècle, l’ensemble du système éducatif, y compris l’école primaire, avait absorbé le nouveau narratif dont il avait accouché. Le prix à payer fut celui de la censure et de l’auto-censure. Tout blanc malchanceux pouvait désormais voir son avenir professionnel ruiné par un propos jugé inadéquat sur la race, le genre et la sexualité. Les Américains s’étaient ainsi dotés, par inadvertance, d’une deuxième constitution ayant préséance sur la constitution officielle à peu près dans tous les aspects de la vie. L’affirmative action et le P.C. étaient les deux piliers de cette nouvelle constitution.

C’est en pleine crise financière que Barak Obama fut élu président. D’une certaine manière, situé à l’intersection de la finance et de l’activisme communautaire, là où la crise avait surgi, il était tout désigné pour prendre la suite. D’une certaine manière aussi, son élection aurait pu être l’occasion de mettre fin à l’affirmative action, comme l’avait laissé penser sa campagne de 2004. Avec l’élection du premier président noir, c’était mission accomplie. La manière dont il exerça son mandat fut donc un choc pour beaucoup d’Américains qui furent bien obligés de constater que toute l’ingénierie des droits civiques était là pour durer. Le prolétariat blanc commença à penser qu’il s’était fait pigeonner, comme il l’avait été économiquement.

Si l’intervention grandissante des intérêts privés sur la question des droits civiques a commencé avant Obama, et notamment avec les patrons de la High Tech, il l’a complaisamment encouragée. Ce qui ne choquait pas, à l’époque, les élites intellectuelles et médiatiques. C’était pour la bonne cause.

Les vilains de l’histoire

Alors que la deuxième campagne électorale d’Obama battait son plein, un livre titré Nudge et écrit par Cass Sustein et Richard Thaler, deux de ses conseillers et amis, apportait une justification supplémentaire à la primauté des droits civiques en justifiant les limites imposées à la souveraineté populaire en raison des préjugés inhérents à la nature humaine qui empêchent les hommes de faire des choix éclairés. C’est sans doute pourquoi le mariage gay, qui avait été refusé référendum après référendum par les Américains, mais soutenu par tous ceux qui comptent aux Etats-Unis, fut finalement imposé par la Cour suprême en 2015. Le juge Scalia qualifia cet arrêt de « putsch des classes supérieures ». La force de frappe du mouvement avait fini par retourner l’opinion américaine qui, après la légalisation du mariage gay, le soutenait à 58%.

Avec les droits civiques, les blancs ont été racialisés d’une manière qu’ils ont eu du mal à comprendre. Mais ils ont fini par comprendre que ce n’était pas pour eux que la politique américaine était faite. S’étaient donc recréées deux classes de citoyens, dont l’effacement avait pourtant été le but des droits civiques. Les blancs ont fini par se concevoir comme une race, qu’ils le veuillent ou non, et leur mise en mouvement a pris 50 ans. Si les droits civiques ont accompli beaucoup, leur coût fut élevé: de nouvelles inégalités, des décisions moins démocratiques et la fin de la liberté d’expression. Ceux qui ont le plus perdu avec la politique des droits civiques sont les hommes blancs, les vilains de l’histoire. Mais gouverner par la honte, comme le fit Obama, présente bien des inconvénients. Cela ne fait pas disparaître les opposants mais les rend indéchiffrables. Pendant un temps, les blancs ont pu se consoler de leur statut inférieur par un niveau de vie convenable. L’érosion de ce dernier a rendu le compromis insupportable, sans que les élites n’en prennent conscience. Christopher Caldwell, qui a réussi la gageure d’écrire ce livre sur ce qui a conduit à l’élection de Donald Trump sans jamais prononcer son nom, le termine sur l’éclat de rire général qui a accompagné les propos d’Ann Coulter sur une probable victoire de Trump lors de l’émission de Bill Malher en juin 2015.

>>> Retrouvez une analyse détaillée de ce livre sur le blog de Michèle Tribalat <<<

The Age of Entitlement: America Since the Sixties, Christopher Caldwell

Michèle Tribalat, démographe, avait signé la préface de l’ouvrage précédent de Christopher Caldwell Une révolution sous nos yeux

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Démographe. Retraitée depuis 2015, Madame Tribalat continue à s’intéresser au phénomène migratoire, notamment sur son site http://www.micheletribalat.fr

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