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«Dans le procès des attentats du 13 novembre, on ne saura jamais la vérité»

Entretien avec Patrick Jardin, père d'une victime du Bataclan


«Dans le procès des attentats du 13 novembre, on ne saura jamais la vérité»
Patrick Jardin D.R.

Ingénieure lumière au Bataclan, Nathalie Jardin a été assassinée à l’âge de 31 ans lors de l’attentat du 13 novembre 2015. Aujourd’hui, son père Patrick Jardin n’a pas renoncé à vouloir connaître la vérité sur les zones d’ombres des attentats qui ont fait 131 morts et 413 blessés. Entretien. 


Causeur. Le 26 novembre, vous avez témoigné à la barre lors du procès des attentats du 13 novembre 2015. Qu’avez-vous dit ? 

Patrick Jardin. J’ai dit qu’évidemment j’en voulais aux assassins de ma fille, mais que j’en voulais autant aux hommes politiques en place à l’époque : François Hollande, Manuel Valls, Bernard Cazeneuve et Jean-Yves Le Drian. J’estime qu’il y a eu énormément de compromissions avec les islamistes, j’estime qu’on aurait très bien pu éviter ces attentats. 

Avez-vous l’impression d’avoir été entendu ? 

Entendu oui, même si ça n’a pas plus au président du Tribunal. Il ne m’a d’ailleurs pas fait de cadeaux. Il m’a fait passer le dernier de la journée, quand il n’y avait plus grand monde dans la salle. Bizarrement, au moment où je suis passé, la salle s’est de nouveau remplie. Des gens chuchotaient mon nom dans la salle quand je l’ai traversée et une nuée de journalistes m’attendait à la sortie. De ce côté-là, il a donc raté son coup. 

En ce moment, vous allez quotidiennement au procès des attentats. Continuez-vous à témoigner ? 

Je ne témoigne plus, on ne peut plus. Je n’avais qu’une seule journée pour témoigner, c’était le 26 novembre. Désormais, j’écoute mais je n’ai plus droit à la parole. Mon avocat fait l’interface entre moi et la cour. Il n’y a que lui qui peut poser des questions, notamment aux hommes politiques. Du moins à ceux qui viennent. Avec mon avocat, c’est nous qui avons fait citer François Hollande et Bernard Cazeneuve à la barre. Le problème, c’est qu’ils manient très bien la langue de bois. Ils disent que ce n’est pas de leur faute, qu’ils ne sont pas responsables. François Hollande a même dit que si c’était à refaire, il ferait exactement la même chose. Heureusement qu’il n’est plus là.

Avez-vous pu parler à Manuel Valls et à Jean-Yves Le Drian ? 

Non. Il n’y a que Hollande et Cazeneuve qui soient venus, même si j’ai fait citer les quatre à la barre le même jour. On m’a dit que concernant Manuel Valls j’avais déposé la demande trop tard, mais j’ai pourtant tout déposé en même temps… J’ai d’ailleurs dit au président du Tribunal que je ne comprenais pas car j’avais tout déposé le même jour, et que je ne voyais pas pourquoi j’aurais fait ça en deux fois. Il m’a répondu que concernant Manuel Valls, je n’avais pas mis la bonne adresse. Pour un quidam comme moi, trouver la bonne adresse d’un ancien Premier ministre qui se promène entre l’Espagne et la France, ce n’est pas évident. Mais je pense quand même que si le Parquet avait vraiment voulu, il l’aurait trouvée. Concernant Jean-Yves Le Drian, j’ai fait adresser la convocation directement au ministère des Affaires étrangères. J’ose espérer qu’au ministère, ils savent quand même qu’il est le ministre !

Que voulez-vous leur dire ? 

J’ai des explications à leur demander. Manuel Valls a refusé d’examiner la liste de tous les djihadistes qui lui aurait été remise par l’ancien chef des services secrets en main propre. Il aurait refusé d’y prêter attention en raison du fait que cette liste avait été établie par les services secrets français en collaboration avec les services secrets syriens. 

Il a dit qu’on ne pouvait pas travailler avec Bachar El Assad. On connaît la suite… Il va donc falloir qu’il s’explique quand même là-dessus. Si le président de la cour daigne le convoquer car maintenant, cela est soumis à son pouvoir discrétionnaire. Si ce dernier n’accepte pas de le convoquer, il y a toute une procédure à faire. Mais vous pouvez compter sur moi pour la faire. 

N’avez-vous pas l’impression d’être seul dans cette bataille ? 

Au fur et à mesure que le temps avance, j’ai l’impression que je suis de moins en moins seul. J’ai lutté contre la tenue du concert du rappeur Médine au Bataclan et j’ai réussi à le faire annuler. À l’époque, j’avais demandé le concours des associations d’aide aux victimes des attentats Life For Paris et 13/11/2015. Elles ne m’ont jamais répondu. En revanche, ils étaient contents et ils ont essayé de tirer la couverture à eux en sous-entendant qu’ils étaient pour quelque chose. dans l’annulation. Cela ne m’a pas plu du tout. 

Justement, quels rapports avez-vous avec ces associations ? 

Lors du procès, le président de Life For Paris est venu me voir pour me féliciter. Pour me dire que bien qu’on ne soit pas d’accord sur tout, j’avais eu moins eu le courage de faire annuler ce concert. Le président de 13/11/2015 s’est publiquement indigné du fait que les enquêteurs belges ne donnaient pas les détails de leurs investigations. Sur ce point-là, je suis évidemment d’accord avec lui car c’est un scandale. J’estime qu’en tant que parents de victimes, nous avons droit à la vérité. En revanche, ce que je ne comprends pas, c’est qu’il ne s’indigne pas du silence de François Hollande et de Bernard Cazeneuve. Encore une fois, Hollande et Cazeneuve noient le poisson, ils ne veulent pas qu’on remue trop les zones d’ombre dans ces attentats. Et cela, ce n’est pas correct. 

Vous avez l’impression que la Justice ne fait pas son travail ? 

J’estime que dans ce procès, on ne saura jamais la vérité. Jamais. Je trouve cela lamentable car il s’agit quand même de l’attentat le plus meurtrier depuis la Seconde Guerre Mondiale. Les enquêteurs belges n’ont rien à envier aux enquêteurs français. J’ai fortement l’impression qu’Oussama Atar [1] était de connivence avec les services belges. Au travers de ce que disent les enquêteurs belges, je crois que ce monsieur a quand même été employé comme indicateur pour les services belges. Et maintenant, les services belges sont bien embêtés pour nous dire la vérité. Je pense que les services belges ont tout intérêt à ce que l’on ne la sache pas, la vérité. Lorsque les avocats -que ce soit de la défense ou de parties civiles- posent des questions, ils s’arrangent pour ne pas répondre. Par exemple, ils se renvoient la responsabilité les uns sur les autres. Un avocat a fini par leur faire remarquer qu’ils n’arrêtaient pas de se renvoyer la balle. Voilà où on en est aujourd’hui. 

Et à votre avis, pourquoi en est-on là ? 

Je pense que les politiques se couvrent entre eux. Je pense qu’ils ne veulent pas que l’on parle des erreurs des uns et des autres. Je suis scandalisé du fait que le 4 mars 2016, le président Hollande soit allé remettre la Légion d’Honneur à Mohammed Ben Nayef, prince d’Arabie Saoudite, alors que l’on sait que l’Arabie Saoudite est un des principaux financiers du terrorisme. Mais ça, c’est un fait qu’on ne peut pas mettre sur la table au procès. C’est une des questions que nous n’avons pas pu poser à François Hollande parce que les avocats de la défense s’étaient, au départ, opposés à ce qu’il témoigne. Résultat de l’opération : le président de la cour a accepté d’entendre François Hollande, mais à condition qu’on ne lui pose des questions que sur les attentats et pas sur les choses annexes. J’ai donc dû oublier cette question. Les débats sont dirigés de façon à ce que personne ne puisse vraiment savoir ce qui s’est passé. C’est un véritable black-out dans ce procès. 

Suite à un portrait paru dans le journal Le Monde, dont le titre originel « Au procès des attentats du 13 novembre, la colère d’un père haineux » a été modifié, vous avez porté plainte pour diffamation. Pourquoi ? 

La journaliste du Monde a fait un portrait de moi uniquement à charge. Elle a notamment soutenu que j’avais fait partie d’un mouvement qui s’appelle l’AFO [2]. Elle s’est complètement leurrée, je n’ai jamais fait partie de ce mouvement. Annoncer des choses comme ça quand on est journaliste, j’estime que c’est grave. J’ai donc déposé plainte, en effet. Et le 8 décembre, j’ai une audience au Tribunal de Paris pour mise en accusation. 

Malgré tout, avez-vous un peu d’espoir ? 

Je ne sais pas. Je me sens blessé par le peu d’empathie vis-à-vis des victimes. Avec un peu de courage et d’honneur, il est certain que ces attentats auraient pu être évités. D’ailleurs, j’ai chargé mes avocats d’examiner la Constitution afin de voir s’il est possible de déposer une plainte pour haute trahison et non-assistance à personne en danger. Concernant le procès, j’espère que les djihadistes prendront les peines maximales prévues pour ces délits. Au niveau des indemnités, on sait très bien que rien ne sera reversé aux victimes. Je crois que les politiciens ne seront jamais mis en cause je trouve cela absolument anormal. Je sais que malgré mon action, je ne ferai plus jamais revenir ma fille. Mais si par mon action, je peux ouvrir les yeux des Français et empêcher que ça recommence, au moins ma fille ne sera pas décédée pour rien.

[1] Djihadiste belgo-marocain, haut responsable du service de renseignement de l’État islamique et cerveau des attentats du 13 novembre 2015

[2] Action des forces opérationnelles, organisation d’extrême droite




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Enseignant, auteur du roman "Grossophobie" (Éditions Ovadia, 2022).

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