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La jurisprudence Mitterrand

Le billet de Dominique Labarrière


La jurisprudence Mitterrand
Le socialiste Jérôme Cahuzac à l'Assemblée nationale, décembre 2012. Capture YouTube.

Le retour en politique de Jérôme Cahuzac nous rappelle les acrobaties du cascadeur des jardins de l’Observatoire


Il se dit que Monsieur Cahuzac, l’homme qui s’était fait une réputation en instituant le principe éthique inédit de ne mentir qu’en regardant droit dans les yeux, se sentirait des fourmis dans l’ego et préparerait son retour sur la scène politique. Avec lui, le terme de scène convient fort bien, puisqu’elle s’applique également aux pitreries et aux farces les plus grossières. En la manière, on se souvient de la scène à l’Assemblée, poignante en diable, théâtrale à souhait : « Je n’ai pas, je n’ai jamais eu de compte à l’étranger… » On connaît la suite. C’était en 2012-2013. Dix ans ont passé. L’intéressé estime probablement que dix années de purgatoire, c’est plus qu’il n’en faut et que le pays ne saurait se passer plus longtemps de ses mérites et talents. Les yeux dans les yeux, il s’est regardé un matin dans son miroir et sa décision a bien vite été prise. J’y retourne !

Mourir peut attendre

Je me plais à croire que, à cet instant précis, celui où il a décidé de remonter sur les planches médiatico-politiques, il a eu présent à l’esprit l’éblouissante réussite de François Mitterrand en son temps. Réussite à partir de laquelle s’est instaurée une sorte de jurisprudence qu’on a pris l’habitude de résumer par ces mots : « En politique, on ne meurt jamais vraiment. »

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Or, à l’automne 1959, pour tout le monde et partout, dans les palais de la République, dans le dernier bistrot de fin fond de la province, dans les rédactions enfumées et fébriles des journaux, François Mitterrand est bel et bien mort, politiquement s’entend, flingué à vue par le cocktail ô combien délétère de l’imposture et du ridicule.

Pour un politique, rien de pire que les quolibets de ses concitoyens

La cause : la désopilante affaire du faux attentat de l’Observatoire. Dîner chez Lipp après quoi l’intéressé prend le volant de sa 403, une Dauphine – promue en l’occurrence bolide de référence des terribles tueurs à gage – le file. On arrive à hauteur des jardins de l’Observatoire, non loin du domicile de Mitterand qui se trouve à l’époque rue Guynemer. Là, tentative d’assassinat. Mitraille en bonne et due forme. N’écoutant que son courage, selon la formule consacrée, et n’ayant pour seule arme qu’un sang-froid de mafieux d’envergure, le ciblé abandonne son véhicule, saute par-dessus la clôture du jardin, s’enfouit dans la verdure. Le Mitterrand d’alors est plutôt dodu, replet. Pas vraiment le physique athlétique d’un adepte du cent dix mètres haies. Qu’à cela ne tienne ! On s’ébahit. L’héroïque rescapé fait la une de toute la presse. Il est interviewé à la télé. Il y est très mauvais, mais que voulez-vous, on ne peut pas maîtriser tout à la fois le saut d’obstacle et la technique de l’interview télé, alors à ses commencements… Hélas, voilà bien que, badaboum, quelques heures plus tard, parvient une lettre, postée avant même la cascade prodigieuse, expliquant dans le détail que le rescapé n’est autre que l’instigateur et l’organisateur de la pantalonnade. On n’a jamais su très bien s’il en était vraiment le « cerveau » ou s’il s’était fait balader comme un gamin. Une chose est certaine, il savait. Il connaissait le scénario par le menu. Horaire, lieux, où exactement jouer l’athlète accompli, etc. Dès la mascarade éventée, c’est l’effondrement. Mitterrand est à terre. Mitterrand n’est plus rien. On lui tourne le dos. Le pays entier rit de lui. Il y a de quoi. Le nom même des supposés barbouzes – l’un au volant, l‘autre à la pétoire – prête à cela, des noms qui auraient pu inspirer un Audiard au mieux de sa forme : Dahuron et Péquignot. L’arme du crime : une vieille mitraillette Sten rescapée des parachutages de la guerre et récupérée dans une grange des profondeurs du Perche-Vendômois. Oui, le pays rigole de bon cœur. Pour un politique, il n’y a pas pire sanction que le ricanement des populations. Très rares sont ceux qui ne rompent pas les liens avec le héros déchu: Mendès-France qui se dit peut-être qu’un gaillard capable d’aller aussi loin pour satisfaire ses ambitions sera capable de bien d’autres prouesses du genre, et François Mauriac, dont l’âme chrétienne se refuse probablement à se joindre à la lapidation générale.

Il n’empêche : personne ne s’aventurerait à mettre un franc, même dévalué, sur l’avenir politique de l’acrobate de l’Observatoire. Or, à peine six années plus tard, il met en ballotage le général de Gaulle, prend ensuite la tête de la Fédération de la Gauche Démocrate et Socialiste avant de s’emparer du PS au  Congrès – historique – d’Épinay, parti dont il n’aurait même pas été membre à jour de cotisation au moment où il en devient le chef ! Enfin, l’apothéose, en mai 1981. Après avoir franchi maints autres obstacles autrement redoutables que des clôtures de jardin et mené campagne une rose à la main – rose dont je me suis toujours demandé si elle ne venait pas des massifs de l’Observatoire ? –  il fait, triomphalement, son entrée à l’Élysée. Chapeau l’artiste ! Que dire d’autre ?

Et là est bien la question qui se pose à propos de Monsieur Cahuzac. Est-il lui-même un artiste ? Un artiste de ce niveau, oserait-on avancer… Pour ma part, je me permets d’en douter.

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Ex-prof de philo, auteur, conférencier, chroniqueur. Dernières parutions : "Marie Stuart: Reine tragique" coll. Poche Histoire, éditions Lanore. "Le Prince Assassiné – le duc d’Enghien", coll. Poche Histoire, éditions Lanore.

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