2023 vient à peine de commencer que sa traversée s’annonce déjà compliquée pour un certain nombre d’entreprises et de travailleurs français. Plus la classe moyenne sera négligée, plus l’unité du collectif sera amenuisée, met en garde notre contributeur.
Cette nouvelle année coïncide en effet avec l’entrée en vigueur de nouveaux contrats d’électricité, dont les factures au prix sont multipliées par deux, trois, voire dix. L’explosion des prix de l’énergie et des coûts d’approvisionnement a d’ores-et-déjà contraint des entreprises à mettre la clé sous la porte, à l’instar de ces boulangers de la Vienne qui avaient vu leur contrat d’électricité passer de 1 600 à 9 800 euros. Dans le même temps, des grands groupes comme Cofigeo ferment temporairement des sites de production, envoyant ainsi au chômage technique des centaines de salariés. La crise actuelle emporte avec elle le double-risque d’écroulement de notre activité économique et de privations d’emplois pour des milliers de Français. Ce faisant, elle risque de provoquer une étape de plus dans le déclin de la « classe moyenne », lequel est déjà pourtant bien avancé. Or l’importance de cette catégorie de la population pour l’ensemble du corps social impose de la remettre sans attendre au centre des politiques publiques.
Des revenus qui s’étiolent
La classe moyenne, que l’on peut définir comme la part de la population française située entre les 30% les plus pauvres et les 20% les plus riches, est assez hétéroclite, car elle regroupe 50% – et donc la plupart – des Français. Née véritablement au début du XXème siècle, en raison de la croissance des salaires des professions intermédiaires, du déclin du rendement du capital des classes les plus aisées, ainsi que des politiques sociales à partir des années 1930, cette classe moyenne voit, depuis quarante ans environ, ses revenus s’étioler. Prenons l’exemple de la zone OCDE où, à l’exception de quelques pays, les revenus intermédiaires sont à peine plus élevés aujourd’hui qu’il y a dix ans, progressant de 0,3 % tout juste par an, selon un rapport de l’OCDE en 2019. En conséquence, alors que le revenu global des classes moyennes était quatre fois plus important que celui des 10 % les plus riches il y a 30 ans dans cette zone, aujourd’hui il y est moins de trois fois plus élevé. Cette catégorie de la population, dont la conscience de classe en France émergea au moment des Trente Glorieuses, a désormais conscience d’être aux postes avancés du déclassement.
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Le déclin de la classe moyenne traduit la relégation, si ce n’est l’abandon, des revendications de plusieurs catégories d’actifs, retraités et étudiants par une fraction des élites. Dit autrement, le corps central de la société n’est plus… l’objet central de l’attention. Que ce soit en matière de fiscalité, de pouvoir d’achat, d’insécurité, d’accès aux services publics, de fractures territoriales, d’accès à l’immobilier (rendu difficile par la hausse stratosphérique de son coût) : cette classe moyenne n’est plus vraiment écoutée. Il en résulte un profond malaise dans nos sociétés, dont le point culminant (jusqu’alors) en France fut la crise des Gilets Jaunes. En Angleterre, le sentiment de récession chronique depuis les prémices de ce siècle est d’autant plus palpable que la valeur réelle du salaire a diminué de 3,5% en quinze ans.
Les politiques ne gèrent que le court terme
Or les réformes actuelles du Gouvernement ne sont pas en mesure de répondre, véritablement, aux attentes des Français « moyens », c’est-à-dire de la plupart des Français. Une loi sur le pouvoir d’achat, des ré-indexations, des politiques ou modifications réglementaires partielles, ou des chèques ad hoc ne peuvent effectivement suffire à contrecarrer les évolutions brutales des prix, pas plus que le panier anti-inflation, récemment annoncé par le gouvernement dans Le Parisien et confirmé le 15 janvier à l’AFP, en cours d’élaboration. Ce panier, qui concernerait « une vingtaine de produits de première nécessité, que la grande distribution s’engagerait à vendre presque à prix coûtant », dixit le ministère du Commerce, aurait des effets positifs limités. En effet, dans une grande surface, on peut compter jusqu’à 20 000 références. 20 produits, cela représenterait donc seulement un millième de l’offre de la grande distribution (notons d’ailleurs que ce dispositif déjà en vigueur en Grèce concerne, quant à lui, 51 produits : ce n’est pas la même ampleur !). Les retombées pour les familles seraient donc relatives, et ce, bien qu’on ne puisse pas écarter une possible stabilisation des prix pour les produits de première nécessité concernés. En définitive, les mesures précitées peuvent, au mieux et durant un temps seulement, maintenir à flot le budget de certains ménages ; mais elles ne peuvent annihiler la spirale de la paupérisation qui touche, tout à la fois, les classes moyennes et les classes populaires de la société.
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Les classes moyennes demandent en effet à l’État considération et reconnaissance. Elles appellent de leurs vœux des politiques qui ne s’arrêtent pas à des visions court-termistes, mais envisagent aussi de répondre aux maux globaux du corps social sur la durée. Soit des politiques qui permettent un retour durable à l’emploi et à une activité de pointe, conditio sine qua non pour renouer avec la prospérité. Pour cela, il nous faut en priorité retrouver une industrie. Notons que si nous avions eu une industrie plus forte, nous n’aurions pas été aussi affectés par les crises récentes. Un emploi créé dans l’industrie, c’est quatre autres de créés derrière, c’est une activité productive facilitée et revigorée pour de nombreuses petites et moyennes entreprises, c’est la souveraineté et l’indépendance sur des secteurs-clés.
La faillite symbolique des Maisons Phénix
Pour sortir de cette spirale décliniste, l’État doit aussi faire de la lutte contre les iniquités sociales et fractures territoriales une priorité. Pour satisfaire à ces exigences, l’équité, et donc la prise en compte de la diversité des situations particulières selon Aristote, doit redevenir la boussole de l’État. En effet, c’est aussi cette classe moyenne qui peine à accéder aux services publics de première nécessité dans les territoires, qui est écartée des pôles émergents, qui ne parvient plus à accéder à un logement décent. La fermeture récente de Maisons Phénix, symbole de l’accession à la propriété des classes moyennes et du rêve pavillonnaire, est à cet égard très révélatrice. Obtenir un logement décent, y fonder une famille, avoir un travail stable : telles sont d’ailleurs des revendications majoritaires, au sein des 18-30 ans.
Il est fort dommageable que la classe moyenne soit aujourd’hui si peu considérée, car son déclin risque d’entraîner le délitement du corps social. La classe moyenne constitue en effet le maillon fort et central, par essence, de la société, sans qui cette dernière ne peut tenir dans la durée. Plus cette classe moyenne est ignorée, plus l’unité du collectif sera amenuisée. Si cette catégorie de la population continue d’être réduite à la portion congrue, l’ascenseur social, rendu possible par la Révolution et l’émergence du caractère fondamental du mérite dans nos sociétés, sera encore plus précarisé. En effet, l’écart de ressources entre les classes populaires et les classes aisées sera tel que la mobilité sociale sera bloquée. Cette classe moyenne, esseulée et impuissante face au déclassement économique, est donc si essentielle ; de sa survie, dépend l’avenir des classes populaires. Or personne ne souhaite que les classes pauvres soient cantonnées à le rester, ni ne soient délaissées.
Dans No Society, Christophe Guilluy écrit que « la disparition de la classe moyenne occidentale nous fait entrer dans une période chaotique où tout ce qui faisait le commun, de l’État providence au partage des valeurs, est peu à peu démantelé ». Tout est dit. Il est donc bel et bien temps d’y répondre, pour garantir l’unité du corps social et sa prospérité commune. Demain, la poursuite du déclin ou le sursaut ?
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