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Non au passeport à points !


Non au passeport à points !
Nicolas Sarkozy.
Nicolas Sarkozy
Nicolas Sarkozy.

Ça démarrait pas mal. « Les forces de l’ordre ont fait leur travail ». « Si on ne veut pas d’ennuis avec la police, on ne tire pas sur la police ». « La délinquance ne provient pas d’un mal-être mais d’un mépris pour les valeurs fondamentales de la société. » Le président parlait clair. Il est vrai que l’effet du verbe s’use et qu’on aimerait un peu moins de discours et un peu plus d’action. Ce discours-là, pourtant, s’imposait. Avec les affrontements de La Villeneuve, avec les menaces proférées contre les hommes de la BAC, quelque chose a changé et beaucoup de gens le sentent. Qu’un voyou tire sur un flic est déjà inquiétant. Quand une partie de son quartier, sous l’emprise de la peur ou du ressentiment, fait bloc autour de lui, quand la loi du groupe l’emporte sur celle de la République, ce n’est plus seulement la sécurité des individus qui est menacée, mais celle de la société en tant que telle. Seulement, il est bien plus gratifiant de dénoncer en chœur « l’obsession sécuritaire » de Sarkozy que de se demander pourquoi elle est si largement partagée.

Le président, bien sûr, en a un peu trop fait, allant jusqu’à vanter son bilan depuis 2002. Que personne n’ait de recette miraculeuse, d’accord, mais il n’y a pas de quoi pavoiser. Dans le registre « l’Etat mènera une guerre sans merci contre le crime et les criminels », les résultats devraient inciter à une certaine sobriété. Et puis, il y a cette énervante obsession du chiffre. « J’ai demandé au ministre de l’Intérieur d’arriver à un taux de 40 % de coupables arrêtés ». Et une fois l’objectif atteint, on lance un tournoi de belote dans les commissariats ?

Quoi qu’il en soit, le président devait parler. Et il avait l’occasion de parler vrai. Le bon peuple n’a pas besoin de coups de menton ni de contes pour enfants, il veut, a minima, qu’on reconnaisse qu’il vit ce qu’il vit. Quand le réel est l’objet d’une entreprise permanente de recouvrement, nommer les choses, c’est déjà agir. Mais mal les nommer, comme le disait, me semble-t-il, Albert Camus, « c’est ajouter au malheur du monde ».

On attendait donc que Nicolas Sarkozy dise les choses comme elles sont. Et à la dix-septième minute, la faute inexcusable. Une énormité qui se drape dans la dignité d’une vérité-difficile-à-affronter. Laisser entendre qu’on pourrait déchoir de leur nationalité française les « Français d’origine étrangère » qui auraient porté atteinte à la vie des forces de l’ordre est moralement déplorable et politiquement irresponsable. D’abord, c’est faux. Dans la vraie vie, on sait à peu près si on est « d’origine étrangère » ou « de souche » – encore qu’on ne sait pas à quel moment et comment on passe de l’un à l’autre et tout notre problème est là. La loi de la République connaît elle, des Français et des étrangers, mais elle ne sait pas ce qu’est un « Français d’origine étrangère ». Et elle n’a pas à le savoir. L’égalité devant la loi est l’un des piliers de notre identité nationale contemporaine. Et le président en est le garant. Quelqu’un qui tire sur un flic doit être jugé et sanctionné. Sévèrement. Mais un Etat de droit ne peut se débarrasser de ses citoyens, aussi déplaisants soient-ils.

Quand on est français, c’est pour toujours

On ne naît pas forcément français, on peut le devenir. Mais quand on l’est, sauf exception rarissime, c’est pour toujours – qu’on aime la France ou qu’on la déteste, qu’on soit délinquant ou bonne sœur, amateur de parties fines ou de femmes en burqas. Il n’y aura pas de passeport à points et Sarkozy le sait. Il peut dénoncer cinquante ans de politique migratoire incontrôlée – inspirée par de raisonnables préoccupations économiques puis par de légitimes considérations humanitaires –qui ont abouti à la faillite de l’intégration (où est-il allé pêcher que nous étions fiers de notre système d’intégration ?). On ne reviendra pas en arrière. Comme le disait il y a vingt ans Christian Jelen, un sociologue aujourd’hui disparu, nous n’avons pas d’autre choix que d’en faire « de bons Français ».

Le pire est que le président a ainsi donné à tous ses adversaires une excellente raison pour se pincer le nez et refuser avec la dernière énergie d’examiner les pistes proposées, toutes marquées du sceau de l’infamie. Or, si la nationalité française ne se reprend pas, il devrait être permis de réviser les conditions dans lesquelles on l’octroie. Ou en tout cas d’en discuter. De même qu’il devrait être possible de revoir un système d’allocations dont tous les praticiens savent qu’il favorise une immigration illégale d’assistance qui pénalise au premier chef les immigrés légaux et les Français d’origine étrangère. On pourrait parfaitement envisager de rétablir la « double-peine » (abolie par Sarkozy quand il nous la jouait « de gauche ») et d’expulser les étrangers condamnés pour crime grave à l’issue de leur peine. La France n’a pas à accueillir toute la violence du monde. Mais de tout cela, évidemment, il ne sera pas question, sinon sous la forme d’un festival d’invectives dans lequel chacun prendra la pose supposée plaire à son électorat.

Chacun joue sa partition, la gauche poussant les hauts cris attendus. Quant à mes excellents confrères, ils se contentent de répéter avec des airs outrés ou entendus que le président s’adresse aux électeurs du Front national. Je l’avoue, ça ne me gêne pas qu’on parle aux électeurs frontistes, ce qui me gêne, c’est plutôt qu’on ne leur parle pas. Devrait-on les déchoir de leur nationalité pour vote non-conforme ? Les envoyer sur la planète Mars ? Oui il faut les entendre et leur parler. Mais il est indigne de leur dire n’importe quoi.



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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