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Mollusques et pédantocratie

Le billet de Dominique Labarrière


Mollusques et pédantocratie
Nathalie Loiseau et Emmanuel Macron, Helsinki, 30 août 2018. Madame Loiseau a dirigé l'ENA de 2012 à 2017 © Jacques Witt/SIPA

Même si l’ENA a été dissoute en 2021 par Emmanuel Macron, la bureaucratie se porte à merveille dans notre pays.


En bons petits soldats que nous sommes, ou, si l’on préfère, en vertueux citoyens que nous nous efforçons d’être, nous suivons (assez) scrupuleusement les interventions – prédications ? – du Chef de l’État, les péroraisons de Mesdames et Messieurs les ministres et même jusqu’à leur interviews cousues de fil blanc sur les médias de référence. Ce faisant, je crois pouvoir prétendre que nous aussi nous méritons bien de la patrie, tant il est vrai que, parfois – pour ne pas dire souvent – accorder tant d’intérêt et surtout tant d’attention à ces prestations frise l’épreuve, le pensum.

Cependant, certains parviennent de-ci de-là à atteindre une forme particulière de drôlerie, notamment lorsqu’ils nous donnent l’impression de vouloir continuer à parler jusqu’à ce qu’ils aient trouvé quelque chose à dire. On pourrait livrer des noms. Ce ne serait pas charitable.

En fait, dans leur grande majorité ils ne savent s’adresser à nous qu’avec cette condescendance forcée qui demeure la marque, la signature, des faux beaux esprits. Ils parlent au vulgum pecus que nous sommes sans nourrir le moindre espoir d’être compris. Pire  encore, on est en droit de penser que s’ils venaient à être compris – compris pour de bon – ils se considèreraient mauvais, très mauvais. Le pensum serait alors pour eux.

On ressent quelquefois ce renoncement à être accessible chez le chef de file, le Jupiter de cet Olympe de l’intelligentsia républicaine. En règle générale, les sept à dix premières minutes de son propos sont abordables, puis on s’enlise assez vite dans la sophistication, l’artifice, la pensée contente d’elle-même. Complexe, la pensée, ainsi qu’on s’est employé à nous le faire savoir dès les premiers temps… Mais parler, causer à la plèbe étant un des impératifs du job, il faut bien en passer par là, n’est-ce pas…

Le phénomène n’est pas nouveau. Il a toujours été – plus ou moins – le fait de cette aristocratie à diplômes que John Stuart Mill et son aîné de quelques années Auguste Comte appelaient, avec une impertinence des plus pertinentes, les Pédantocrates. Ce sont donc eux, ces Pédantocrates, qui, toujours, tiennent le haut du pavé, le haut de l’estrade politique. Eux qui nous gouvernent. À moins que ce pouvoir ne soit que de façade et que ce soit en fait la bureaucratie, l’inusable, l’indéboulonnable, l’impérissable, l’inoxydable bureaucratie qui, en sous-main, veille à tout, dirige tout, décide de tout. Du moins de l’essentiel.

Puisque nous folâtrions du côté de la Grande Bretagne avec Stuart Mill, restons-y un instant, en compagnie de Charles Dickens, cette fois. Dans une de ses fictions cousues d’ironie roborative – La Petite Dorrit, me semble-t-il – il se paie la tête de ces bureaucrates les affublant du sobriquet de Mollusques. Il y a les Mollusques chefs, les Mollusques sous-chefs, les Mollusques du tout-venant, et bien sûr toute la cohorte des Mollusques contrôleurs de Mollusques. Bref, on le devine, une hiérarchie pléthorique aussi complexe que paralysante. Mais tous, du haut en bas de l’échelle, se rejoignent sur une chose, une seule, perdurer dans leur être de Mollusques et leur immobilisme de lémuriens appointés.Dans la fiction de Swift, ces Mollusques ont pour base opérationnelle le Ministère des Circonlocutions. Géniale trouvaille ! Et vous aurez compris que c’est là que nous assistons à la jonction fascinante du savoir-faire du Pédantocrate et du savoir ne pas faire du Mollusque!

De nos jours, cette union de l’un et de l’autre se trouve magnifiquement incarnée, me semble-t-il, en la personne du technocrate, le deus ex machIna de nos démocraties libérales avancées, très avancées. Il tient des deux, en effet. Un mixte quasi parfait. Pédantocrate ascendant Mollusque. Ou le contraire. Au choix.

Une pensée nous vient. Pour alimenter en beaux esprits ce Ministère des Circonlocutions ne faut-il pas une filière, une faculté, une université, une Grande École ? Réjouissons-nous, nous l’avons. Cela s’appelait récemment encore l’ENA. L’intitulé a disparu. Non le moule.

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Ex-prof de philo, auteur, conférencier, chroniqueur. Dernières parutions : "Marie Stuart: Reine tragique" coll. Poche Histoire, éditions Lanore. "Le Prince Assassiné – le duc d’Enghien", coll. Poche Histoire, éditions Lanore.

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