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Noces de papiers?

Béziers: un mariage et l’enterrement du vivre-ensemble


Noces de papiers?
Emmanuelle et Robert Ménard. Photo: Hannah Assouline.

Soupçonnant un mariage blanc, Robert Ménard a refusé de marier vendredi une Française de 29 ans à un jeune Algérien de 23 ans. Habitué à une communication locale tapageuse qui fait parler jusqu’à Paris, il a récemment obtenu le soutien inattendu de Daniel Cohn-Bendit, arbitre idéologique des élégances dans le camp progressiste.  Le maire septuagénaire de Béziers a-t-il un avenir politique national ?


« Le dimanche à Bamako c’est le jour du mariage ». Ce tube d’Amadou et Mariam avait égayé les ondes au milieu des années 2000. Vendredi, on n’a pas entendu ce refrain retentir du côté de Béziers (34) ! Deux Biterrois avaient pourtant prévu de se marier et avaient publié les bans dans ce but. Il y a parfois, dans les feuilletons américains, un casse-pieds pour gâcher la scène de mariage au moment de la phrase rituelle : « Si quelqu’un s’oppose à cette union, qu’il parle maintenant ou se taise à jamais ». Vendredi matin, à Béziers, en ne se rendant pas à la cérémonie qui devait unir une Biterroise à un Algérien sous le coup d’une obligation de quitter le territoire (OQTF), le trouble-fête, c’était lui. Robert Ménard, 70 ans, bien connu des services médiatiques pour dérapages incontrôlés. Depuis, la gauche et l’ex future épouse poussent des cris d’orfraie. La conjointe, de six années l’ainée de son compagnon, et déjà mère de trois enfants, a beau jurer son grand amour, rien n’y fait. Robert Ménard n’arrive pas à y voir autre chose qu’un mariage blanc. « Le gouvernement se plaint de ne pas retrouver les individus qui doivent être expulsés du territoire, et là il va y en avoir un dans ma mairie, et je vais devoir le marier ? Il n’en est pas question ! ». Au ministère de l’Intérieur, on assure que le mariage n’aurait en rien empêché l’expulsion. Pour la mariée, c’est le maire qui est dans l’illégalité, « c’est lui le voyou ». Le jeune homme, pour sa part, est connu des services de police pour vol, recel et agression. On aura beau nous expliquer que Robert Ménard a fait une entorse à l’article 12 de la Convention européenne des droits de l’homme (combien de divisions ?), le triste sort de l’époux éconduit et (peut-être) bientôt reconduit à la frontière aura du mal à émouvoir dans toutes les chaumières, encore sous le choc des affaires mêlant OQTF et réfugiés ces derniers mois.

Ménard, lanceur d’alertes et compagnon de route critique de la droite nationale

L’affaire intervient au moment même où Daniel Cohn-Bendit a déclaré dans Le Point que le président Macron devrait rappeler pas mal de monde. Jean-Louis Borloo, mais aussi… Robert Ménard, « pour qu’il lui explique ce qu’il a fait à Béziers ». Baromètre idéologique de ce qu’il est convenable de faire et de penser depuis près de 60 ans, Cohn-Bendit semble prêt, crise des banlieues oblige, à tendre le bras vers une certaine droite, plutôt musclée. Et c’est ainsi que Robert Ménard n’est désormais plus qu’à quelques encablures de la fréquentabilité, et peut-être du gouvernement. Depuis une douzaine d’années et son coming-out droitier à l’occasion de la sortie du petit pamphlet Vive Le Pen, Robert Ménard est un compagnon de route critique de la droite nationale, à la lisière du Rassemblement national et de ce que l’on appelait il y a quelques années « la droite hors-les-murs ». Élu maire de Béziers en 2014 grâce au soutien du FN mais sans en avoir l’étiquette, Ménard critique à l’époque la ligne « sociale » du parti alors sous l’influence de Florian Philippot. Il fait de la petite ville du Midi un laboratoire et un point de rencontre, en recevant Philippe de Villiers, Eric Zemmour… La mairie ne fait pas l’économie d’une communication tapageuse, qui arrive jusqu’aux oreilles du Tout-Paris.

Des revirements nombreux sur l’accueil des immigrés

Depuis 2022, il semble s’être assagi. Quand débarque le flux de réfugiés ukrainiens vers l’Ouest, Béziers prend sa part. Le maire regrette rétrospectivement d’en avoir trop fait au moment de la crise syrienne. « Quand il y a eu la crise en Syrie, j’ai fait des déclarations, le journal municipal a fait des Unes, des affiches… que je ne referais plus. Pour tout vous dire, que j’ai honte d’avoir faites » ; « Cette attitude-là, c’est une faute, et je me l’applique. […] Je le dis pour nous, pour le courant de la droite, on a eu tort, j’ai eu tort ». On était alors en pleine zemmourmania, le discours dominant à droite était radical. Premier partisan d’une candidature Zemmour, Ménard en devient vite le premier contempteur. Dans son dernier livre, le patron de Reconquête le qualifie de « Judas de Béziers ». Arrivé en politique et à la tête de Béziers par les marges de la droite, Robert Ménard est peut-être finalement las de devoir vivre d’outrances répétées. La tentation de la notabilité a existé chez d’autres édiles étiquetés frontistes dans le Midi, par exemple Jacques Bompard à Orange, qui, après quelques mandats marqués par une communication « punk », avait voulu un temps adoucir son image. Ménard, lui, ne cache plus qu’il entrerait volontiers au gouvernement. 

Alors, faux-pas dans la folle ascension vers les cimes du pouvoir, ce mariage avorté ? Pas sûr. Au moment historique où même Cohn-Bendit est à deux doigts de revenir sur ses slogans de jeunesse, l’entrée de Ménard, comme celle de Darmanin jadis, dans l’équipe Borne, serait un signal, disruptif quelques temps (puis on passerait à autre chose…), et qui aurait le mérite de faire hurler Blast et Guillaume Meurice.




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