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Pluralisme à géométrie variable


Pluralisme à géométrie variable
Le président Emmanuel Macron, hier soir, lors du débat télévisé © ISA HARSIN/SIPA

Macron ne choisit pas ses journalistes. Mais choisirait-il ses médias?


Le 12 avril, au cours d’une conférence de presse sur les institutions, Marine Le Pen est interrogée sur le refus d’accréditer les journalistes de l’émission Quotidien pour sa soirée électorale. Elle assume: « Je suis chez moi, je décide qui vient. » Des membres de la profession s’indignent qu’elle choisisse les journalistes qui la suivent. « Il n’y a pas de journalistes chez Quotidien, ce sont des amuseurs », répond-elle, suscitant divers étranglements dans l’assistance. « C’est vous qui décidez qui est journaliste ? »

Pour ce que ça vaut, je pense personnellement qu’elle a tort et qu’on a toujours intérêt à parler à ses adversaires. Cela dit, s’agissant de son QG de campagne, elle est effectivement chez elle. Et son culot ne manque pas d’un certain panache.

Quotidien, l’incarnation du Bien?

Bien entendu, toute la corporation se répand en déclarations indignées. Voilà comment Marine Le Pen conçoit la liberté de la presse. Autant dire que, si elle arrivait à l’Elysée, les médias seraient muselés, les journalistes arrêtés et pourchassés… Bref, la France serait transformée en Chine populaire, voire en Russie stalino-poutinienne.  

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Quelques jours plus tard, le candidat-président est interviewé par un journaliste de Quotidien. Un grand amoureux de la liberté de la presse qui l’accuse d’avoir contribué à la montée de l’extrême droite. Comment ? En donnant une interview à Valeurs Actuelles (en 2019). « Vous les normalisez… » Or, c’est bien connu, ces gens-là ne sont pas normaux. Le confrère ne précise pas quel sort il faudrait réserver à la rédaction de Valeurs Actuelles – Un camp de rééducation ? Un contrôle fiscal ? Le boycott ? Ou peut-être l’interdiction du titre ? Dans la foulée, il s’étonne que le président ait laissé ses ministres parler avec Jean Messiha sur CNews (sans doute Messiha est-il contagieux) ou qu’il ait lui-même posé en photo avec Philippe de Villiers (c’est pas pour balancer, mais ils se sont même parlé). 

Antifascisme d’opérette

Rien de très nouveau il est vrai. La bonne conscience de ces gens est tout de même sidérante. Ils sont tellement convaincus d’être l’incarnation du Bien qu’ils demandent sans sourciller que le président de la République cesse de parler à des journalistes dont les opinions ne leur reviennent pas. Il s’agit de ressortir le vieux cordon sanitaire anti-FN et de le dérouler autour des médias qui ne pensent pas bien (demandez à Quotidien, ils vous fourniront la liste). Tout cela, évidemment au nom de la tolérance. Je ne partage pas vos idées et je me battrai pour que vous ne puissiez plus jamais les exprimer. 

Réponse d’Emmanuel Macron: « Il faut aller chercher les gens qui ne sont pas d’accord avec vous. Moi, je ne choisis pas les journalistes. Marine Le Pen elle dit: ’je ne veux pas de quelqu’un comme vous car vous êtes de Quotidien (…)’ J’ai fait une interview avec Valeurs Actuelles, ce ne sont pas des journalistes qui pensent comme moi, mais je parle à tout le monde. Un responsable politique, c’est son devoir. »

L’intervieweur insiste : « Vous les considérez comme des journalistes comme les autres ?! » Là encore, on aimerait savoir quelle lettre écarlate il propose d’afficher au plastron des journalistes-méchants. Un « F » (comme facho) ? 

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Macron ne lâche pas : « Ils ont une carte de presse. L’une des différences essentielles entre Madame Le Pen et moi, c’est que moi, je ne fais pas le tri. » Le Huffington Post s’étonne de cette façon « peut-être un brin hasardeuse, de tirer un trait d’égalité entre les journalistes du programme de TMC et ceux de Valeurs actuelles ». Oui, oui vous avez bien lu. Pour ces grands démocrates, si férus d’égalité en tout domaine, il existe donc clairement une hiérarchie des journalistes. Malheureusement, ils ne précisent pas non plus le traitement qu’ils aimeraient réserver aux unterjournalistes. Faut-il les enfermer au nom la liberté de la presse ou se contenter de leur interdire l’exercice de cette noble profession ? En tout cas, on l’aura compris, quiconque ne communie pas dans l’antifascisme d’opérette et n’appelle pas à faire barrage s’exclut de l’humanité. Peut-être faudrait-il interrompre le processus électoral ? 

Une malencontreuse coïncidence

La réponse du candidat Macron est plutôt rassurante. Voilà un homme qui aime le pluralisme, se dit-on. L’ennui, c’est que sa pratique n’est pas totalement conforme à ces belles proclamations. En effet, à en croire un connaisseur des arcanes élyséens, Emmanuel Macron aurait décidé de n’accorder aucune interview aux médias du groupe Bolloré. Certes, nous n’en avons pas la preuve – il ne l’a pas crié sur les toits. Force est de constater qu’il s’est rendu sur toutes les chaînes d’info sauf CNews, qu’il a fait les matinales de France Inter, France Culture, RTL, mais pas celle d’Europe 1, et que dans sa tournée des popotes médiatiques, le candidat a trouvé le temps de causer à Konbini et Elle (propriété de CMI, le groupe de Daniel Kretinsky) mais pas à Paris Match. Bref, on a quelques raisons de subodorer que, si Macron ne choisit pas ses journalistes, il choisit ses médias. Mais peut-être s’agit-il simplement d’une malencontreuse coïncidence, d’un oubli qu’il aura à cœur de réparer en acceptant l’invitation de C News. Puisque, parait-il, il aime aller au contact, il y rencontrera des gens qui ne partagent pas nécessairement ses opinions et n’approuvent pas nécessairement sa politique. Ça le changera… Chiche ? 



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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