Accueil Culture «Les Monologues d’un hippocampe»: les Danois aussi brûlent de passion…

«Les Monologues d’un hippocampe»: les Danois aussi brûlent de passion…


«Les Monologues d’un hippocampe»: les Danois aussi brûlent de passion…
L'écrivain danois Stine Pilgaard © Alexander Banck-Petersen

Les polars du froid ont gagné nos chaumières, mais de temps en temps – surtout pour cette période que les réacs appellent Noël –, il est bon d’offrir un livre sans meurtre ni viol, sans cadavre dans le placard ni sous la couette. Juste une gentille déclaration d’amour, et l’humour de la savoir obsolète d’ici quelques années… Alors si vous cherchez à dire je t’aime en français, danois ou inuit, Les monologues d’un hippocampe, roman de Stine Pilgaard publié par le Bruit du monde, maison d’édition marseillaise (eh oui, il n’y a pas que Paris…) est le parfait cadeau pour le cocooning des vacances au coin du feu…


Si l’on est d’un naturel bougon, et que l’on a le cœur brisé après une rupture qui se règle sur la répartition d’une bibliothèque commune, que faire ? Courir en parler à ses proches, chercher le réconfort d’une oreille attentive ? Quand on a une mère qui vous assène : « Le fait que tu n’aies pas su marcher avant l’âge de trois ans était un peu embarrassant dans le groupe des mamans », ou un père qui ne souhaite qu’une chose — « que les offices de minuit soient à une heure différente », on peut vivre quelques moments de solitude…

Poésie noire

Et quand on vous propose de venir vous ressourcer à Amtoft où « les crabes du Limfjord sont réputés pour être les plus agressifs de tout le Danemark », il serait tout aussi légitime de choisir la drogue, la prostitution ou l’exil au fond de l’Himalaya. « Ce n’est pas possible », dira la mère aimante « tu n’as aucun sens de l’orientation, imagine comme tu trouves difficile d’aller à Amtoft, tu ne trouveras jamais l’Himalaya. Ton père et moi nous devrons alors te chercher avec Interpol et Perdu de vue, ou je ne sais quoi »… Autant se consoler avec soi-même, avec son propre hippocampe, cette partie du cerveau dédiée à la mémoire émotionnelle. À ressasser, on se guérit et on écrit.

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Les Monologues d’un hippocampe, petit bijou de poésie noire qui faire rire jaune, est une consolation paradoxale. La consolation pour laquelle on souhaiterait se consumer d’amour, se battre froid et se remémorer. C’est le livre parfait pour tous les misanthropes qui s’enflamment de passion et se repaissent de leur idylle passée, rêvant n’avoir jamais connu le bourreau de leur cœur. Mais « parfois, c’est encore plus douloureux de regretter quelqu’un qu’on n’a pas connu… ça donne une étrange sensation de vide de n’avoir nulle part où placer son manque. » Parce que plus que le cœur, c’est le cerveau qui compte. La mémoire des nuits, des rires et des piques. La très belle traduction de Catherine Renaud y rend hommage.

Associations flottantes

Pilgaard construit son récit sur l’alternance entre la reconstruction amoureuse de la narratrice, grande sceptique de l’efficacité cathartique des sourires (« la contraction musculaire la plus surestimée du monde occidental, juste après l’orgasme ») et les « associations flottantes » de son hippocampe bouleversé.


Ensemble, ils savent dire « je t’aime » en libanais (bahibak), en inuit (negligevapse) ou encore en cambodgien (soro lahn nhee ah), mais ils ne savent pas relever la tête. Leurs pauses romanesques et romantiques font sourire et le lecteur qui s’en délecte s’intègre à la narration car à l’intérieur de ce roman, « il y a une bibliothèque avec des crânes alignés sur les étagères… je pense à vous, des démons rieurs tapant et martelant mon corps. Vous êtes la somme de toutes mes défaites, vous êtes tous mes sentiments de culpabilité accumulés. … c’est votre faute si j’avance à reculons à travers le monde » conclut l’hippocampe. Et pour notre plus grand bonheur, c’est grâce à ses monologues si l’on avance.

Stine Pilgaard, Les Monologues d’un hippocampe, Le Bruit du monde, octobre 2023, 150 p.




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Agrégée des Lettres et Docteur ès Lettres des Universités d'Aix-Marseille et Autonome de Madrid.

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