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La droite et France Inter: syndrome de Stockholm?

La droite a peur de France Inter


La droite et France Inter: syndrome de Stockholm?
Charline Vanhoenacker face à François Fillon dans "L'émission politique" sur France 2, 27 octobre 2016. © D.R.

Rares sont les responsables politiques de droite à se plaindre ouvertement de la station publique. Certains en disent même du bien. Lorsqu’ils sont invités, ils se trouvent pourtant en terrain franchement hostile.


La direction de France Inter aimerait bien faire taire les critiques incessantes quant à son absence de pluralisme politique à l’approche des élections présidentielles. Le recrutement d’Étienne Gernelle, de Natacha Polony et d’Alexandre Devecchio a été fièrement annoncé par la directrice Laurence Bloch début juillet. Des chroniques hebdomadaires de deux minutes baptisées « En toute subjectivité » sont diffusées depuis la rentrée à heure de grande écoute (7 h 20). Le titre, qui met en garde les oreilles les plus sensibles, sous-entend que le reste du temps d’antenne serait neutre.

« Franchement, Nicolas Demorand et son équipe me laissent carte blanche », indique à Causeur Alexandre Devecchio qui confesse même envoyer parfois son texte au dernier moment. « C’est un exercice nouveau pour moi, je viens de la presse écrite. Ce matin, Léa Salamé m’a fait répéter pour améliorer mon ton. C’était une vraie leçon. De radio ! » Les mécontents n’ont qu’à se rabattre sur la radio de Bolloré, Europe 1, pense-t-on peut-être à la Maison ronde. Mais ce sang nouveau reste idéologiquement impur pour les employés de la radio publique. « Nous considérons qu’offrir aux auditeurs une boîte à outils pour leur permettre de se forger une opinion devrait passer par de la pédagogie, du reportage et non par un panel d’opinions dans lesquelles il faudrait piocher ! » pestait la Société des journalistes le lendemain de l’annonce de Mme Bloch.

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Une grille woke

Pour notre confrère Guillaume Roquette, patron du Figaro Magazine, « l’idée que la droite a détrôné la domination médiatique des bien-pensants est une légende urbaine[1] ». L’information reste largement aux mains de la gauche. Les jours se suivent et se ressemblent : à l’exception des bulletins météo, cette dernière a les coudées franches du matin jusqu’au soir sur France Inter.

La chronique géopolitique de Pierre Haski présente une ligne invariablement pro-UE. Les chroniques économiques de Dominique Seux sont évidemment considérées comme beaucoup trop libérales par le reste de la rédaction, et il se retrouve pour la peine confronté au rouge Thomas Piketty pour « équilibrer ». Quant aux comiques, de Nagui et Charline Vanhoenacker, on dirait qu’ils relèvent d’un programme d’échange avec ceux de Yann Barthès, l’animateur le plus woke de la télé. Matin et soir, deux rations de gauchisme culturel sont servies par Augustin Trapenard et Laure Adler. Parmi les invités de « L’heure bleue » depuis la rentrée : les néoféministes Mona Chollet et Adèle Haenel, l’écrivaine fiévreuse Christine Angot ou la pionnière de l’art performatif Marina Abramović.

Sectarisme de gauche

« Ce problème dure depuis des décennies. Les Français paient avec de l’argent public des journalistes qui ne représentent pas assez leurs idées, et qui font parfois preuve de sectarisme, s’agace la sénatrice LR Valérie Boyer. J’ai du mal à écouter France Inter, car au bout d’un moment, j’en ai marre de cette propagande à sens unique. » Malgré la publicité, elle préfère se brancher sur Radio Classique dans sa voiture. « Pour les questions ayant trait à la justice ou à l’immigration, les Français ne sont pas idiots, ils comprennent ce que la novlangue les enjoint de penser… Pourquoi imposer toujours plus de transparence aux parlementaires, sans en demander autant aux journalistes ? » La sénatrice se souvient de la réjouissante saillie de François Fillon face à Charline Vanhoenacker dans l’émission politique de Léa Salamé sur France 2 en 2017 : « François Fillon avait fait cela avec élégance, rappelant qu’il était présent pour présenter son projet pour la France, ce qui était sérieux, et que s’il avait envie d’aller s’amuser il irait voir le spectacle. Il l’avait remise à sa place, sans méchanceté aucune, ce qui avait plu à notre électorat. » Elle ne s’interdit pas de rêver : « Si on paie une radio publique de gauche, dans ce cas-là qu’on crée une deuxième antenne qui représente l’autre sensibilité ! »

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De son côté, Caroline Parmentier, l’attachée de presse de Marine Le Pen, note plutôt une amélioration bienvenue : « Depuis quelques années, et depuis que certains journalistes qui étaient des militants politiques sont partis, France Inter se comporte de façon professionnelle avec nous. Quand nous avons repris contact avec les programmateurs, notre exigence était que Marine Le Pen soit traitée exactement comme les autres hommes politiques, et que sinon on n’y remettrait plus les pieds. Le message est très bien passé. » L’attachée de presse ne cache pas que le premier pouvoir peut effrayer : « C’est la plus grosse matinale, c’est un peu comme un JT de 20 heures. On prépare France Inter avec plus d’acuité encore, parce qu’on trouve que le niveau d’interview est très bon. Je précise que les questions des auditeurs sont celles que n’osent pas poser les animateurs. » Alors, si la droite nationale arrivait aux responsabilités, les journalistes de gauche devraient-ils s’inquiéter ? « Le RN ne corrigera rien du tout, il n’y aura aucune chasse aux sorcières », promet Mme Parmentier.

Pourtant, quand on écoute France Inter, on a vraiment le sentiment que le pluralisme va de Anne Hidalgo à Jean-Luc Mélenchon. Et qu’en dernier ressort et dans le pire des cas, on soutiendra la majorité présidentielle si les choses tournaient mal politiquement. Quand elle a été au pouvoir, jamais la droite n’a agi pour rééquilibrer les choses. Et il est bien difficile de trouver des personnalités acceptant de commenter cette partialité. C’est que France Inter fait peur.

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Quand Claude Askolovitch évoque notre fameux numéro de septembre sur la démographie dans sa revue de presse, il se garde bien d’évoquer le contenu de notre dossier, et ne parle que de la polémique suscitée par la couverture sur les réseaux sociaux, après avoir fait un lien avec le procès du groupe d’ultra-droite OAS et avec le terroriste suprémaciste Anders Breivik. Cela paie : la députée LREM Aurore Bergé, longtemps raillée férocement pour son opportunisme politique par les humoristes, a finalement refusé de nous parler.

Comment rendre France Inter aux 80 % de Français qui se situent à la droite d’Anne Hidalgo ? Les conservateurs estiment que la citadelle est imprenable, et lui reconnaissent en off bien des qualités face à ses concurrentes. Au lieu de se battre pour rétablir la balance, la droite préfère chouiner comme le plus vil gauchiste, se complaisant dans le rôle de « victime des bien-pensants ». Un rôle qui ne lui va franchement pas si bien.


[1]. Le Figaro Magazine, 23 juillet 2021.

Octobre 2021 – Causeur #94

Article extrait du Magazine Causeur




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Rédacteur en chef du site Causeur.fr

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