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Kosovo: un conflit presque insoluble

Ce que l'on sait du récent regain de tensions


Kosovo: un conflit presque insoluble
La Présidente du Kosovo Vjosa Osmani Sadriu (à droite), et le Premier Ministre du Kosovo Albin Kurti (au centre) rencontrent le Secrétaire d'État américain Antony Blinken à Washington, mardi 26 juillet 2022 © Olivier Douliery/AP/SIPA

En ce tout début de mois d’août, de nouvelles tensions sont nées à la frontière séparant la Serbie du Kosovo. Classiques, les échauffourées entre ces deux États voisins des Balkans ont pris une nouvelle dimension avec le conflit qui oppose la Russie à l’Ukraine, faisant craindre l’apparition d’un deuxième foyer de guerre sur le continent européen. Plus de peur que de mal finalement, mais sommes-nous assurés que demain les Serbes et les Kosovars n’entreront pas de nouveau en guerre? Revue d’effectifs.


L’éclatement de la Yougoslavie de Tito a duré plus de dix ans, opposant entre elles les différentes ethnies de l’ancienne république fédérative socialiste au cours d’une guerre civile dramatique. Les premiers à s’émanciper furent les Slovènes, suivis quatre ans plus tard par la Croatie et la Bosnie-Herzégovine qui ont affronté la Serbie qui entendait conserver le bloc yougoslave d’un seul tenant. Quelques années après, en 2006, le Monténégro finit par gagner son indépendance en mettant fin à la communauté d’États de Serbie-et-Monténégro après que le Parlement du Monténégro proclama l’indépendance du pays conformément au souhait des Monténégrins qui s’étaient exprimés par voie référendaire le 21 mai 2006. Le Monténégro est désormais candidat officiel à l’intégration européenne.

Le cas kosovar est encore plus problématique et complexe. Entre 1999 et 2008, le Kosovo n’avait pas de statut juridique précis, étant toujours attaché à la république fédérale de Yougoslavie puis à la république de Serbie-et-Monténégro en 2008. Finalement, le parlement de la province du Kosovo réuni en session extraordinaire, vota l’indépendance du Kosovo telle que voulue par le Premier ministre Hashim Thaçi. Le précédent kosovar a créé une situation périlleuse pour les pays comptant en leur sein des mouvements séparatistes et des « nations sans Etats ». Il faut se rappeler ici les propos de Vuk Jeremic, ministre des Affaires étrangères de la Serbie de l’époque, déclarant à La Haye : « Si le tribunal soutenait la sécession, aucune frontière dans le monde et dans la région ne serait sûre ».

Le Kosovo, un exemple pour tous les mouvements séparatistes dans le monde

Si, selon le droit international, chaque peuple dispose d’un choix libre et souverain de déterminer la forme de son régime politique, indépendamment de toute influence étrangère, les limites de ce « droit à l’autodétermination » demeurent floues. Les juristes s’opposent sur cette matière complexe, puisque la notion de peuple est évidemment extrêmement difficile à définir avec la précision nécessaire à la stabilité de l’ordre international. Certains critères sont pourtant généralement admis. Pour qu’une région puisse demander son indépendance, il convient ainsi que son peuple soit clairement identifiable et différentiable du peuple majoritaire au sein de l’État de rattachement, et qu’il n’y jouisse pas d’une autonomie suffisante.

Le précédent du Kosovo, dont l’indépendance a été déclarée unilatéralement en 2008, une décennie après l’intervention de l’OTAN contre l’armée serbe, a ouvert une boite de Pandore, inspirant et légitimant les mouvements régionalistes et identitaires dans le monde entier, fragilisant durablement des États modernes dont les contours ont été lentement définis – sans toutefois dédouaner la Serbie des actes qui ont conduit à cet éclatement -. Potentiellement, toute l’Afrique et la majeure partie du Moyen-Orient pourraient s’embraser, révélant les « frontières de sang », selon l’expression du militaire américain Ralph Peters, dont les découpages postcoloniaux n’ont que rarement tenu compte.

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Les réalités religieuses, ethniques ou tribales, pourraient ainsi se substituer aux tracés du XXe siècle, peuples sans nations et nations sans États tentant de se constituer en acteurs d’un ordre mondial de plus en plus protéiforme. L’ère européenne occidentale, confrontée aux politiques menées par des États-continents capables de mobiliser des populations sur la base des affinités culturelles ou du clientélisme, des « minorités » et des diasporas, est aujourd’hui contrainte à la révolution de sa vision stratégique. C’est d’ailleurs sur la base du cas kosovar que la Russie a pu séparer la Crimée de l’Ukraine, utilisant exactement le même procédé à son compte. Hier, en visite en Albanie, le premier ministre espagnol Pedro Sanchez affirmait que l’Espagne ne reconnaissait toujours pas le Kosovo. Et pour cause, les indépendantistes catalans entendaient en 2018 se servir de ce modèle pour déclarer la Catalogne comme formant un État souverain.

Le ministre des Affaires étrangères serbe souhaite « dénazifier » le Kosovo

Terre disputée historiquement, le Kosovo représente pour les Serbes le « foyer » de leur peuplement originel et pour les Albanais du Kosovo le berceau des Illyriens de l’Antiquité. Au cours des siècles, les conflits légaux et territoriaux y ont d’ailleurs été nombreux. Reste que désormais, et bien qu’on puisse déplorer la méthode par laquelle le Kosovo a gagné son indépendance, cet État existe. Si la Serbie venait à l’envahir, la Kfor serait dans l’obligation d’intervenir et de circonscrire au plus vite le conflit. Les Serbes en ont d’ailleurs conscience, les déclarations d’Aleksandar Vucic cette semaine ayant montré la volonté de Belgrade de ne pas tomber dans le piège grossier qui lui est actuellement tendu…

Emmanuel Macron et Aleksandar Vucicron le 15 juillet 2019 à Belgrade © Darko Vojinovic / AP / SIPA Numéro de reportage : AP22357669_000019

Le plus petit évènement peut faire naître la peur d’un retour aux armes dans la région. Les tensions de ces derniers jours ont notamment conduit les Serbes du Kosovo à protester contre l’obligation nouvelle faite par le gouvernement kosovar à toute personne avec une carte d’identité serbe de la remplacer par un document temporaire en pénétrant sur le territoire kosovar. Par ailleurs, tous les véhicules serbes arrivant au Kosovo doivent dorénavant se munir de plaques d’immatriculation temporaires kosovares. De son côté, le Premier ministre du Kosovo Albin Kurti a déclaré : « Nous appelons les forces internationales, les capitales démocratiques occidentales, l’Union européenne et l’Otan à condamner la violence et l’agression des gangs criminels du nord du Kosovo, qui sont clairement organisés et financés par Belgrade ». Le gouvernement kosovar a, par la suite, décidé de reporter d’un mois l’entrée en vigueur de cette nouvelle réglementation, les Serbes faisant un geste en démantelant des barricades installées à la frontière.

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La veille, pourtant, le ministre des Affaires étrangères serbes déclarait que le Kosovo pourrait un jour être « dénazifié » à la manière russe en Ukraine. Le conflit entre les deux entités est insoluble, puisque le Kosovo ne veut pas renoncer à sa souveraineté et que Belgrade ne la lui reconnait pas. Les deux parties entendent d’ailleurs profiter du conflit ukrainien pour faire valoir leurs arguments. N’y a-t-il pas d’autres solutions possibles ? Un détachement de la zone serbe du Kosovo, ou une plus grande autonomie de cette dernière, pourrait peut-être satisfaire Belgrade. L’Europe a besoin de tout sauf d’une nouvelle guerre dans les Balkans, région meurtrie et gangrénée par la corruption et les mafias.

Évidemment, le parallèle entre l’éclatement de l’URSS et de la Yougoslavie, deux entités dominées par le grand frère russe et le petit frère serbe, ne manque pas de pertinence. Il s’agit, dans les deux cas, d’Empires multinationaux basés sur le contrat social qui n’ont pas survécu à la puissance des affects historiques, ethniques et culturels. Gare désormais à ce que la Russie ne cherche pas à réveiller la Serbie… dans un mois, la réglementation entrera en vigueur et le problème restera identique.



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Gabriel Robin est journaliste rédacteur en chef des pages société de L'Incorrect et essayiste ("Le Non Du Peuple", éditions du Cerf 2019). Il a été collaborateur politique

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