Accueil Édition Abonné Avril 2021 Hidjab mon amour!

Hidjab mon amour!

La plume au vent


Hidjab mon amour!
© Soleil

Le voile islamique est devenu un marqueur culturel et identitaire – un phénomène de mode. Un acte de défi envers la République? Un premier pas vers le séparatisme? Et si c’était, sous le manteau de la piété, une ruse du féminin autant qu’une idéologie?


Je ne suis pas du tout d’accord avec Oussama Ben Laden… Que le voile soit imposé par un père à sa fille ou par un mari à son épouse, cela ne sera jamais acceptable ici ou ailleurs[tooltips content= »Le port du voile n’est pas, on le sait, une prescription du Coran qui en appelle seulement à la pudeur (XXXIII, 59 et XXIV, 31). »](1)[/tooltips]. Que le voile soit librement choisi par certaines femmes qui se disent émancipées de toute autorité patriarcale, à l’université ou dans leur vie professionnelle, c’est un fait nouveau qui doit nous alerter. À se contenter d’une condamnation radicale, on ne comprend pas tout. On ne fait qu’opposer un dogme à un autre dogme. On vante les Lumières – mais plutôt par un usage aveugle qui dispense de s’interroger. On répudie la complexité. On abdique le mystère.

Être voilée pour séduire 

Autant qu’un acte de défi envers la République (ou envers l’Occident), le voile est aussi devenu un accessoire de mode, c’est-à-dire un signe ostensible de féminité et une arme de séduction. Comme si, au-delà d’une coutume moins religieuse que sectaire, le glamour affleurait sous le doctrinal. Comme si la coquetterie, la fashion – et le business – s’introduisaient en douce dans les plis d’un islam austère, archaïque et puritain.

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La tendance se confirme dans les classes aisées de certains pays et dans les villes – au Maroc, en Iran, en Turquie, mais aussi à Londres ou à Montréal – où les hijab shops poussent comme des champignons. Pour de nombreuses jeunes filles aujourd’hui (mais une Arabe ne fait pas le printemps, fût-elle une hirondelle !), le hidjab, le tessetür à la mode turque, ne semble pas incompatible avec un maquillage appuyé, un chemisier moulant ou des talons aiguilles, voire un jean taille basse laissant entrevoir un tatouage sur la hanche ou un piercing dans le nombril. On cache ses cheveux pour mieux souligner l’arc d’un sourcil ou l’ombre d’une paupière. On arbore le voile comme une parure – on le customise. À quand le bibi à voilette de Jeanne Lanvin qui fit fureur à la Belle Époque !

Si ça continue, le voile cessera d’être un devoir pour les plus pures et une consolation pour les moins jolies. C’était une tenue ancestrale, rituelle, héritée de l’Antiquité païenne, puis de la cour de Byzance – un attribut de la Sainte Vierge, mais aussi de la mariée, de la veuve ou de la religieuse dans la tradition catholique – jusqu’à la mantille de nos grand-mères ! Si ça le reste en islam pour les plus bigotes et les converties – et à la campagne, pour les vieilles dames, à l’instar des coiffes en Bretagne jadis –, c’est aussi devenu en ville pour les plus jeunes (et les plus fortunées) un article de prêt-à-porter (ou de haute couture), susceptible d’infinies variations. On le porte serré sur le front comme un fichu, fixé par un Velcro ou percé d’une broche. En soie ou en coton, il s’agrémente de franges, de perles, de motifs variés – pois, carreaux, rayures, faux léopard[tooltips content= »Il suffit de consulter l’élégant catalogue de Tekbir ou le site thehijabshop.com pour comprendre. Ou encore le magazine turc Ala, une sorte de Marie-Claire islamique, créé en juin 2010. »](2)[/tooltips] !

Girl power 

Rien de moins frivole que ce retour du voile, rien de moins anodin que ce qui s’y délace et ce qui s’y noue. Faut-il y voir un pied de nez à la stricte observance religieuse – un comble ! Une subversion raffinée ? Une victoire à la Pyrrhus des filles et la revanche silencieuse de Shéhérazade ? Mais ce n’est pas si simple. On sait depuis les Grecs ce que les islamistes préfèrent ignorer : la femme est un principe d’incertitude. On pourrait dire du voile ce que le sociologue Jean Baudrillard, disait de l’objet de consommation : éternellement versatile, réversible, ironique, décevant et se jouant de toutes les manipulations. On peut lui tendre un miroir, il ne s’y réfléchit qu’en apparence puisqu’il est le miroir même où le sujet féminin s’absorbe et se dissout dans une succession de reflets.

Le voile contre la servitude 

On ne se hasardera pas à donner ici une définition du féminin. Ce que l’on sait, c’est que le féminin se situe toujours ailleurs, il n’est jamais là où on le pense. Qu’opposent les femmes à la domination masculine ? Un charme. Un écart, une parade, un pas de côté. Un autre usage de leur corps. D’ailleurs, elles ne s’opposent pas, elles se taisent, elles acquiescent, elles font semblant d’obéir. Car il n’y a que deux façons de combattre la servitude : soit la révolte frontale, violente et désespérée ; soit la réappropriation, la ruse narcissique, le détournement. Et ce qui s’ensuit : une métamorphose. Il suffit de se promener dans une rue des beaux quartiers à Berlin ou à Istanbul pour s’en convaincre – l’habit ne fait pas le moine, ni le hidjab la djihadiste !

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Entre la coquetterie et la crise de nerfs, certaines femmes ont choisi. Plutôt que hurler en brandissant leurs griefs et leurs jolis poings, elles préfèrent baisser les yeux – discrètement fardés – et contourner l’interdit. Ce ne serait pas la première fois dans l’histoire que la pire soumission se mue en acte de protestation et de défi[tooltips content= »Le christianisme nous en a offert le plus bel exemple : par un renversement hardi, incompréhensible pour un Romain, la mort d’un homme sur une croix, un châtiment réservé aux esclaves, est devenue une bonne nouvelle – et l’instrument de son supplice, l’emblème d’un rachat. Crucifié is beautiful… phrase totalement intraduisible en arabe et en yiddish ! »](3)[/tooltips].

Que nous disent certaines de ces jeunes filles en riant sous cape au nez et à la barbe de leurs juges ? Ceci : « Je ne suis pas aliénée. Je suis définitivement autre. Je revendique moins la loi du désir que je ne désigne devant toi l’artifice et l’arbitraire de ta règle. Je suis exotique. Regardez-moi tous ! Je suis belle. Je suis femme. Et musulmane. Soumise ? Mais oui, messieurs, et je vous le montre ! N’est-ce pas ce que vous voulez ? » En clair : « Je vous emmerde ! » Car le pouvoir masculin n’est que politique (ou religieux), il ne s’exerce que dans le monde réel, par exemple sur la question du sexe (ou du genre) ; le féminin en revanche – les femmes n’en ont pas le monopole – détient les clefs de l’univers symbolique, là où tout est ruse, trompe-l’œil, icône, séduction, surprise. Les procureurs n’y voient que du feu, les ayatollahs en perdent leur latin.

Et si elles cherchaient un maître – ou un imam ! – pour mieux le dominer, comme disait Lacan qui était d’une étrange façon féministe ?

 

Avril 2021 – Causeur #89

Article extrait du Magazine Causeur




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est écrivain, essayiste et journaliste littéraire

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