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Henri Calet entre en scène

Lire en été


Henri Calet entre en scène
L'écrivain Henri Calet © PHOTO HARCOURT / AFP

Lire en été: au hasard des bouquinistes, des bibliothèques des maisons de vacances, des librairies, le plaisir dilettante des découvertes et des relectures, sans souci de l’époque ou du genre.


Il y a chez Henri Calet (1904-1956) une fragilité et une mélancolie qui émeuvent. L’homme est mort jeune, à cause d’un cœur qui a toujours fait des siennes. Enfant de la Belle Epoque qui ne l’était pas du tout pour les pauvres, il a eu une existence qui aurait pu en faire un héros de Simenon. Son père, un anarchiste, vivant de sac et de corde sur les champs de course, garagiste éphémère, petit trafiquant de fausse monnaie, soldat insoumis de 14, ne l’a pas reconnu mais l’aimait bien, au fond. Sa mère, d’origine belge, était une ouvrière qui a subi les éclipses et les violences de son compagnon. Le couple s’est séparé puis s’est remis ensemble.

La malchance de Calet

Plus tard, Calet enfant qui avait connu les chambres de bonne où l’on déménage à la cloche de bois, vola la caisse de l’entreprise d’électricité où il était aide-comptable et passa la fin des années vingt et le début des années trente dans une longue errance qui l’amena de l’Amérique Latine au Portugal avant de revenir à Paris en clandestin. Quand tout fut prescrit, il apporta à Jean Paulhan, le patron de la NRF, le manuscrit de La Belle Lurette, le premier de ses livres, qui connut un certain succès critique lors de sa parution en 1935.

Entre l’éveil de la sexualité, la misère honteuse, la prostitution et la promiscuité, cette fausse image d’un Calet aimable peintre de la pauvreté pittoresque du vieux Paris en prend un coup…

Lit-on encore Henri Calet aujourd’hui ? Oui et non. Il a son cercle d’amateurs fervents, on le réédite de temps à autre. Depuis quelques années, on ne compte plus les romans qui mettent en exergue la même citation de lui. Il est vrai qu’elle est belle et qu’elle résume bien l’homme et l’œuvre : « Ne me secouez pas, je suis plein de larmes. » On aimerait bien pourtant être certain que ceux qui citent cette phrase connaissent un peu Calet. C’est le problème avec les citations célèbres. On ne les utilise pas pour se placer sous le patronage de l’auteur mais pour montrer l’excellence de sa culture, la sincérité de sa sensibilité, la pertinence de son raisonnement. A la limite, l’auteur gêne.

La malchance de Calet, c’est que l’histoire littéraire a du mal à lui faire la place qu’il mérite. Calet n’est pas surréaliste, Calet n’est pas, après la guerre, existentialiste, ou hussard, ou laborantin du Nouveau Roman. Par commodité, on le classe parfois avec les écrivains populistes comme Eugène Dabit ou Louis Guilloux. Populiste n’était pas une étiquette politique, à cette époque, simplement le nom donné à des écrivains qui parlaient du petit peuple parce qu’ils en faisaient partie.

Un éternel figurant balloté

Alors, à ceux qui voudraient le découvrir, autant commencer par le commencement, par La Belle Lurette. C’est un roman autobiographique mais le je qui est à l’œuvre n’est pas plaintif ni même revendicatif. Il observe une neutralité parfois sarcastique, parfois tendre. Premières lignes de ce premier livre, et tout Calet est déjà là : « Je suis un produit d’avant-guerre. Je suis né dans un ventre corseté, un ventre 1900. Mauvais début. »

A lire aussi, du même auteur: Le requiem de Dominique Noguez

La suite ne sera pas plus brillante mais elle sera parfois amusante, parfois sordide. Pour l’amusant : « Je fus précoce. Sur la fin de ma troisième année, j’étais déjà exhibé par mon père dans tous les bistrots de l’endroit. Il y en avait. Hissé sur les tables de marbre, je braillais : « Vive la Sociale ! » et « Mort aux vaches ! » Babil. » Pour le sordide, on laissera le lecteur le découvrir.

Disons qu’entre l’éveil de la sexualité, la misère honteuse, la prostitution, la promiscuité des soupentes et des ateliers, cette fausse image d’un Calet aimable peintre de la pauvreté pittoresque du vieux Paris en prend un coup et que notre écrivain est un olfactif précis. D’autant plus qu’une longue parenthèse de La Belle Lurette se déroule à Bruxelles sous l’occupation allemande de la première guerre mondiale où la mère abandonnée s’est réfugiée dans sa famille flamande, guère mieux lotie qu’elle. Le narrateur qui avait pourtant quelques dispositions scolaires et aurait pu faire un employé honnête fricote avec le Milieu, en éternel figurant balloté.

Petite musique

À la fin, pourtant, le narrateur joue le jeu. Ou essaie. Il est le premier étonné de sa résignation : « Comme les autres, lavé, peigné, torché, je suivis ma petite route immonde, sous la ville dans le convoi de huit heures et demie des vendeurs, vendeuses,  comptables et dactylos, dirigés sur les piles de madalopam et les additions du Grand Livre. »

Le lecteur se dit que le Calet de La Belle Lurette aurait très bien pu croiser le Céline de Mort à Crédit dans le métro des heures de pointe en route vers les contremaîtres briseurs de grève et les chefs de rayons bilieux.

Mais Calet l’aurait trouvé un peu trop agité, sans doute… Il aurait continué son chemin, avec sa petite musique à lui, rien qu’à lui : « C’est ma jeunesse et je n’en ai pas d’autre. »

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