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Groupes de niveau, retour urgent !

Il faut surtout revenir à l'enseignement vertical


Groupes de niveau, retour urgent !
Manifestation de lycéens contre la réforme Haby visant à instaurer un collège unique, Paris, 13 mars 1975. Photo : AFP

L’instauration du collège unique devait réduire les inégalités et renforcer la cohésion dans les classes. C’est l’exact contraire qui s’est produit. Le rétablissement des groupes de niveau s’impose plus que jamais car l’école prétendument inclusive est devenue « un lieu de séparation, d’injustice et de médiocrité ». Et c’est un ex-prof qui le dit.


Le PISA nouveau est arrivé, avec, comme chaque fois, son lot de déceptions. La France baisse. Et même si cet affaiblissement est « général », « contextuel », que le pays demeure dans la « moyenne » de l’OCDE, les chiffres sont terribles : en mathématiques, la proportion des élèves en difficulté passe de 17 %, en 2003, à 29 %, en 2022 ; celle des élèves les plus performants de 15 %… à 7 % !

Branle-bas de combat au gouvernement ! Gabriel Attal promet un « électrochoc », parle d’« urgence », évoque des « changements radicaux ». Parmi ceux-ci, la création de trois groupes de niveau en mathématiques ainsi qu’en français, dès la rentrée 2024 (en sixièmeet en cinquième), avec une extension au reste du collège en 2025, et des effectifs réduits pour les groupes les plus faibles.

Aussitôt cris, émois et pâmoisons chez les pédagogues en tous genres qui s’entêtent à préconiser les mêmes méthodes, celles qui ne fonctionnent pas, depuis cinquante ans : classer les élèves selon leurs performances, assurent-ils, ce serait discriminer, attenter à la sacro-sainte égalité républicaine, et même contre-productif. Cependant, l’hétérogénéité des classes n’est un dogme que depuis 1977 et la création du collège unique ; or, depuis cette époque, le niveau chute continuellement. Une preuve ? Le nombre moyen de fautes, sur une dictée identique proposée quatre fois à des élèves de CM2 entre 1987 et 2021, monte de 10,7 à 19,4.

Par-delà les raisonnements, il faut avoir été professeur pour comprendre à quel point ces groupes de niveau sont salutaires : l’on n’imagine pas l’ampleur du gouffre qui existe, au sein d’une même classe, entre les élèves les moins bons et les meilleurs. Depuis que Najat Vallaud-Belkacem, par décret, a rendu le redoublement optionnel (2014), des collégiens jusqu’en troisième lisent comme des primaires, et des lycéens, jusqu’en terminale, écrivent comme des collégiens. Les plus forts vont « tirer les plus faibles », dit-on : théorie ! L’écart est tel, en vérité, que le mélange ne prend pas.

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Cela fait des années que l’échec est patent. On aurait pu espérer une prise de conscience moins tardive. C’était sans compter l’inventivité des pédagogues qui, pour maintenir la mixité envers et contre tout, se sont réfugiés dès les années 1970 derrière le concept de « différenciation ». Il s’agit d’adapter l’enseignement à la capacité de chacun, élève par élève, en adoptant des épreuves, des évaluations, et même des notations différentes : en d’autres termes, établir des enseignements par niveau… mais sans groupes de niveau ! Ce « en même temps » injustifiable est, trop souvent, matériellement impraticable, à cause des effectifs et du trop grand écart entre les enfants : alors, nombre de professeurs, démunis, délaissent malgré eux, au choix, les bons élèves ou les mauvais ; et comme les seconds sont foule, ce sont souvent les premiers, les premières victimes de ce vaste système.

L’hétérogénéité des classes, dans l’esprit des pédagogues, poursuivait deux objectifs : réduire les inégalités et renforcer la cohésion. C’est l’exact contraire qui est arrivé. Noter autrement un mauvais élève pour qu’il ait la même moyenne que son camarade meilleur, ce n’est pas égalitaire, c’est injuste, et plutôt inégal. Et nulle cohésion dans la pluralité des niveaux, car le contraste est tel, entre un enfant qui maîtrise la lecture des vers et un autre qui ne sait pas encore lire, qu’il est presque impossible de l’amoindrir, et qu’il faut bien appliquer, finalement, des règles différentes à des individus d’une même classe. À plus grande échelle, ceci n’a-t-il pas comme un air de déjà-vu ? Inclure, c’est soumettre aux mêmes règles ; ce n’est pas permettre de déroger au collectif. Ainsi, l’école, en 2023, derrière la volonté sincère, n’en doutons pas, d’intégration, d’excellence, de bienveillance et d’équité, est devenue un lieu de séparation, d’injustice et de médiocrité.

Tous les professeurs ont constaté les failles de l’hétérogénéité, j’en témoigne, pour en avoir souvent discuté avec des collègues d’opinions diverses. Mais, par une contradiction étrange, un certain nombre d’études maintiennent obstinément, en dépit de toute réalité, que les groupes de niveau ne favoriseraient pas la réussite scolaire : serait-ce idéologique ? On pointerait sans fin leurs incohérences, comme celle de l’IDEE[1], qui regrette que « l’enseignant fini[sse] par baisser ses attentes vis-à-vis des élèves faibles, s’adressant à eux par rapport à leur niveau tel qu’il est », ce qui est l’exacte définition de la différenciation, qu’ils préconisent pourtant ! Ou celle de 1997 de Duru-Bellat et Mingat, publiée dans la Revue française de sociologie, qui reproche aux groupes de niveau d’être plus favorables aux meilleurs élèves, par pur mépris de l’élitisme. Citons encore cette étude de 2019, de Boutchenik et Maillard, qui pointe du doigt « l’exposition à la compétition » (sic) entre les élèves, comme si c’était un crime.

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Un beau pied-de-nez à ces études fort discutables, c’est qu’Andreas Schleicher, l’inventeur du classement PISA, recommande précisément la mesure de Gabriel Attal ; et que les pays de l’OCDE qui l’ont déjà mise en œuvre, tels l’Irlande et le Royaume-Uni, sont montés dans le classement. À bon entendeur !

Alors, les groupes de niveau, bonne ou mauvaise idée ? Bonne sans doute ; mais inutile, certainement. Parions que d’ici la fin du quinquennat Macron, l’école sera toujours aussi médiocre. Il faudrait a minima revenir à l’enseignement vertical, au cours magistral, au certificat d’études, aux enseignements chronologiques, et j’en passe ! C’est-à-dire à une école d’avant 2000, d’avant 1980, et même d’avant de Gaulle, dont les ministres, Peyrefitte et Fouchet, furent les premiers promoteurs d’un préjudiciable réformisme – mais c’est une autre histoire.


[1]. Le programme IDEE (Innovations, données et expérimentation en éducation), partenaire du ministère de l’Éducation nationale, lancé en 2022 et financé par l’Agence nationale de la recherche, vise à « développer la recherche expérimentale à large échelle en éducation, et à promouvoir l’utilisation de ses résultats » (idee-education.org).

Janvier 2024 – Causeur #119

Article extrait du Magazine Causeur




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Ancien étudiant au lycée Henri-IV de Paris, avocat puis professeur de lettres, Paul Rafin a créé le blog Les Grands Articles, consacré à la littérature française et étrangère. www.lesgrandsarticles.fr

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